Après l’alcoolisme et le tabagisme
Le "carnivorisme"…

« On transporte dans l’alimentaire les crises que l’on vit », observe Bruno Hérault, directeur du Centre d’étude et de prospective. Lors de la Convention nutrition animale, organisée par Coop de France le 9 novembre, il est revenu sur la consommation de viande, signe, selon lui, d’une profonde mutation de la société.
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« Nous sommes en train de construire un nouveau problème public : celui de manger de la viande », a d’emblée annoncé Bruno Hérault, directeur du Centre d’étude et de prospective lors de la Convention nutrition animale, organisée par Coop de France nutrition animale le 9 novembre. Il parle de « carnivorisme », de « zoophagie », voire de l’« omnivorisme » qui passe « du stade de normal au pathologique ».
Après la Deuxième guerre mondiale, manger de la viande ne suscitait pas en effet de question. Au contraire même, « la viande incarnait une réussite sociale, un pouvoir d’achat, la bonne vie », rappelle-t-il, jusqu’à ce que « le consommateur voie son steak comme un animal mort ! ». Entre-temps, la société a de fait changé : « le travail physique était bien plus important qu’aujourd’hui et tout le monde avait des grands-parents agriculteurs », note-t-il. La représentation d’un "animal matériel" était bien ancrée, un animal « que l’on peut couper ou trancher » sans problème.
Or, aujourd’hui, selon lui, « la société n’a pas du tout la même capacité d’analyse ». De nouveaux rapports sociaux se sont établis avec le travail des femmes, le mélange des cultures, la montée de l’individualisme… Et plus l’animal se rapproche de l’Homme, moins on le mange. Il cite le cheval mais aussi et pour bientôt « les poules sur le balcon », « le porc dans l’appartement » ou encore « la vache avec qui faire du trekking »… Le rapport à l’espace, au genre, à l’âge et au temps a considérablement changé.

« Je mange du sens »


Bruno Hérault évoque la même évolution pour la cigarette ou l’alcool. Fumer était bien vu auparavant alors que cela est devenu du « tabagisme ». L’alcool, signe de l’homme fort durant la dernière guerre, tend aujourd’hui à « l’alcoolisme ».
« Dans les années 65, l’échec scolaire cantonné au monde ouvrier n’était pas un problème de société. Il l’est devenu lorsqu’il a commencé à toucher les enfants de médecins, d’avocats ou d’architectes », enchaîne-t-il pour continuer les comparaisons. Bruno Hérault parle d’un « rapport presque pathologique à ce que le consommateur mange alors qu’avant ce rapport était familial ou religieux ». « L’alimentation est de plus en plus considérée comme un élément de marquage social. Je mange du sens », continue-t-il évoquant les végans, mais aussi les "Sans gluten", les "Sans lactose", les "Sans viande" mais aussi les "pro-viandes".
Bref, « manger a perdu de l’intérêt. Manger est devenu un acte fonctionnel. Faire les courses est devenu l’activité effectuée après toutes les autres », relève-t-il. Et de constater : « jamais, nous n’avons aussi bien mangé et pourtant jamais nous n’avons eu si peur de manger mal ». Il reprend : « jamais nous n’avons eu si peur de mourir en mangeant et pourtant jamais ce que nous mangeons n’a été aussi sûr. Jamais les animaux n’ont été aussi bien traités et pourtant jamais il n’y a eu autant de réactions au sujet du bien-être animal ! »