Viande charolaise
Une remise en question s’impose

Dans la foulée des assemblées générales de l’Institut charolais et de Charolais de Bourgogne, les chercheurs Jean-François Hocquette et Patrice Veysset de l’Inra sont venus livrer le fruit de leurs travaux respectifs sur la filière allaitante. La conclusion s’impose : il faut se remettre en cause et vite…
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Le 30 mai dernier à Charolles, répondant à l’invitation de l’association Institut charolais et de Charolais de Bourgogne, dont les assemblées générales avaient eu lieu le matin même, Jean-François Hocquette et Patrice Veysset de l’Inra étaient venus présenter le fruit de leurs travaux respectifs. En introduction, le président de l’Institut charolais, Henri Guillemot, justifiait la conférence en ces termes : « si on est encore une référence mondiale aujourd’hui, il ne faut pas s’endormir ! Depuis la rupture survenue avec la crise de l’ESB d’il y a vingt ans, j’ai peur que l’on ait géré cela plus avec notre orgueil qu’avec la raison, car nous avons toujours oublié le consommateur… ». Et celui-ci de poursuivre, « avec l’avènement des nouvelles technologies, c’est un bouleversement sans précédent qui nous attend. Des concurrents comme les Etats-Unis vont bientôt nous attaquer sur nos propres points forts en créant un marketing basé sur des conduites à l’herbe, sans antibiotique, sans hormone… ». Une démarche commerciale qui saura utiliser toutes les potentialités des nouveaux moyens de communication… « Il faudra bien être capable de se remettre en cause ! », introduisait volontiers dérangeant Henri Guillemot.

Des consommateurs exigeants…


Le ton était donné. Et le contenu de la conférence qu’ont ensuite animée les deux chercheurs de l’Inra n’a pas dérogé à ce parti-pris percutant. A commencer par cette mise en garde sans complaisance : « oui vous pouvez rester une référence mondiale, mais non vous n’êtes pas les meilleurs au monde ! », introduisait Jean-François Hocquette. En interpelant ainsi l’assistance, le chercheur avait en tête les attentes nouvelles et montantes des consommateurs ainsi que la riposte imaginée par certains pays et qui est en train de faire des émules partout dans le monde.
Bref, il faut réagir ! Parce que le consommateur n’a plus du tout les mêmes attentes en termes de qualité de sa viande. A la qualité intrinsèque du produit, s’ajoute désormais une qualité extrinsèque où l’on retrouve pêle-mêle la notion d’appartenance à une communauté, l’estime de soi et ce besoin de s’accomplir pour des causes nobles comme le bien-être animal, la protection de l’environnement…, expliquait Jean-François Hocquette. C’est dans ce contexte philosophique nouveau que surgissent des préoccupations quant à la supposée nocivité de la viande ou encore la dérégulation de l’environnement, voire la mise à mort des animaux pour les manger… Cela conduit inexorablement à l’idée de produire de la viande artificielle. Des chercheurs hollandais l’ont fait et ont même eu droit au prix de l’innovation avec la caution salutaire d’offrir une solution pour nourrir la planète… Au rythme où vont les choses, il n’est pas interdit d’imaginer d’ici une trentaine d’années des barquettes de viande éco-taxées et estampillées « des animaux ont souffert pour produire cette viande bovine ! », prophétisait le chercheur.

Un système révolutionnaire


Dans le même temps, mieux vaut avoir en tête que « dans une dégustation à l’aveugle, un consommateur appréciera davantage une viande bovine grasse issue d’animaux élevés en feed-lots qu’une viande maigre à l’herbe ! », rapportait Jean-François Hocquette devant des représentants d’une filière charolaise médusés. Une façon d’introduire de manière certes brutale un système révolutionnaire de valorisation des viandes imaginé il y a vingt ans en Australie. Pour tenter d’enrayer une baisse de consommation de viande bovine sur son territoire, ce pays a alors mis au point un système de prédiction de la qualité sensorielle des viandes dénommé "MSA, pour meat standards australia". Dédié à la qualité objective des viande, il repose sur le jugement réel des consommateurs et se traduit par un système de notation d’une à cinq étoiles. La clé du dispositif est de reposer sur un étalonnage auprès d’un panel de 60.000 consommateurs lambda avec une quarantaine de muscles différents sous différents modes de cuisson… Chaque morceau dégusté est caractérisé de l’élevage à la transformation (origine, conduite…) permettant d’établir des équations de prédiction entre un morceau de viande donné et sa qualité présumée à la consommation. Sur les étals australiens, « la viande est vendue en fonction de la qualité prédite par le système MSA et non les caractéristiques de la carcasse », expliquait Jean-François Hocquette. Et le procédé s’est immédiatement avéré efficace puisque la consommation de viande bovine a repris des couleurs en Australie et la plus-value est au rendez-vous pour les éleveurs. Aujourd’hui, le système australien est à l’origine d’un véritable élan international, rapporte le chercheur. Il a été testé avec succès en Corée, au Japon, aux Etats-Unis, en Irlande, en Pologne et même en France… « On pourrait aller vers un système européen - Eurobeef -, voire mondial », confiait l’intervenant. Le système MSA pourrait même être pris en compte dans les schémas génétiques.

Prêts à changer de système économique ?


Le problème, c’est que l’idée bouscule complètement les habitudes de la filière française. Là où certains y voient une menace pour les signes officiels de qualité et les marques, Jean-François Hocquette répond que le système MSA « aide au contraire ces derniers à élever leur image ». En fait, il s’adresserait plutôt aux marchés de masse, pas au haut de gamme. Si devant de tels propos, les craintes et les questionnements sont légitimes, il faut tout de même bien avoir en tête les enjeux qui se profilent. « Si jamais un jour les Australiens arrivent à importer leurs viandes à étoiles, ils pourraient bien nous laminer », mettait en garde Henri Guillemot. Pour Jean-François Hocquette, la question se résume ainsi : « seriez-vous prêts à changer de système économique pour répondre à la demande gustative du consommateur ? ». C’est osé !


35 ans de progrès et des éleveurs perdants !


Dans le registre décapant, les propos de Patrick Veysset ne manquaient pas non plus de sel. Il s’agissait pourtant des enseignements tirés de trente-cinq ans d’étude de la productivité des systèmes bovins allaitants charolais. Or au regard des constats économiques dressés par l’Inra, le bilan n’est pas vraiment glorieux… La forte incitation à l’agrandissement - induite par la Pac - a certes décuplé la productivité des exploitants, mais elle a aussi provoqué une simplification des pratiques favorisant la production d’animaux standards, avec davantage d’intrants et de capital, une perte d’autonomie et, finalement, une baisse de la valeur ajoutée des élevages. Résultat, en dépit des gains de productivité prodigieux - de l’ordre de +200 % en kilo de viande vive par unité de travail - le revenu n’a fait que stagner !

« Où sont passés ces gains de productivité ? »


Au fil des ans, les chercheurs ont constatés qu’il fallait toujours plus d’intrants pour produire le même kilo de viande. De même, le volume du capital n’a fait qu’enfler tous les ans, mécanisation notamment. En clair, tandis que le revenu des éleveurs stagnait, ce sont les filières aval (fournisseurs divers…) qui ont capté les gains, de même que le client final qui en a bénéficié. En gros : « l’Etat finance, l’aval gagne et l’exploitant est perdant ! », résumait Patrick Veysset.
Si la productivité du travail a bel et bien augmenté, en revanche celle des exploitations s’est détériorée. En résulte une baisse de l’efficience des systèmes de production, selon Patrick Veysset. L’idée d’une économie d’échelle est un leurre, estime le chercheur qui constate « que l’agrandissement et la simplification s’opposent à l’efficience des pratiques. 35 ans de progrès n’ont servi qu’à compenser la baisse d’efficience des exploitations… ».

Retour à l’herbe…


Pour sortir de cette spirale infernale, il semble qu’il faille prendre ses distances avec la voie de l’agrandissement arithmétique et de la productivité à coup d’intrants… Cela milite pour un retour à l’autonomie, tout en incitant à l’agro-écologie qui, au-delà des formules à la mode, serait avant tout une réhabilitation des fondamentaux.
Pour Patrick Veysset, l’herbe et les systèmes herbagers ont l’avantage de n’être ni en compétition avec l’alimentation humaine, ni en opposition avec les attentes sociétales. C’est donc cette ressource qu’il faut valoriser et valoriser vraiment ! Un plaidoyer pour un engraissement « vraiment » à l’herbe et qui crée véritablement de la valeur ajoutée…