Agriculture de précision
La révolution des capteurs ?

Publié par Cédric Michelin
-
Début novembre à Beaune, Arvalis - Institut du végétal a fait un point sur l’agriculture de précision à l’aide des capteurs. Si les cultivateurs sont déjà sensibilisés à l’autoguidage, la modulation des doses d'azote ou le désherbage doivent constituer une seconde étape. Mais des développements sont encore attendus côté matériels et logiciels… sans oublier le retour sur investissement de ces outils pas encore destinés au plus grand nombre.
131081--2674_arvalis_capteurs_precision.jpg
« Tout est lié au GPS qui permet de positionner un tracteur dans une parcelle », débutait Caroline Desbourdes, chargée de l’agriculture de précision (auto-guidage, capteurs…) chez Arvalis. La dépendance à ce système américain est donc grande. Galileo, le projet européen de système de positionnement par satellites, n’est annoncé au mieux qu'en 2020. La guerre des étoiles pourrait donc avoir des conséquences bien réelles sur terre…
En attendant, les constructeurs de matériels agricoles et de capteurs pour les cultures font avec le seul système GPS. Depuis maintenant une bonne décennie (2003), les usages les plus fréquents sont le guidage et l’auto-guidage « pour éviter les manques et les recouvrements ». 30 % des cultivateurs français font d’ailleurs appel à ces systèmes lors des moissons. Rapidement, l’agriculture de précision doit donc permettre de réduire les surfaces travaillées de -13% pour le travail du sol.

Matériels bio-informatiques



Mais une deuxième phase doit bientôt permettre la modulation des doses « pour apporter la bonne dose au bon endroit ». Pour se faire, les équipements agricoles doivent avant intégrer un certain nombre de données informatiques. « Il faut caractériser les populations de végétaux grâce à des capteurs embarqués sur des vecteurs ». Caroline Desbourdes reprenait sa phrase à l’envers pour bien détailler la triple problématique. En effet, il existe différents vecteurs, différents capteurs, différents modèles informatiques. Sans compter la biodiversité et les différents stades de développement des végétaux et autres adventices…
Dans la famille des capteurs, on retrouve donc « comme votre appareil photo » des caméras (RVB pour rouge-vert-bleu) avec différents objectifs ou, « plus complets », des imageurs multi-spectrales. Ce qui les différencient est le nombre de longueurs d’onde enregistrés : 256 bandes sur satellite contre 4 à 6 sur tracteurs ou drones. Pour cause, un capteur hyper-spectrale sur satellite coute 250.000 € ! Commercialisant cette solution, Arvalis mettait alors en perspective le prix de revente de Farmstar autour de 8 €/ha en moyenne.

Couple capteur et vecteur



Reste qye le capteur ne fait pas tout, loin de là. « C’est bien le couple capteur-vecteur qui permet de se poser la question de ce qu’on veut et peut faire ». Mettre une caméra basique sur un satellite n’aurait pas d’utilité agricole. « Il faut trouver le bon compromis entre la couverture, la surface exploitée et la précision du pixel dans l’image avec, à une extrémité un satellite (90.000 km2/seconde), puis les ULM (30.000 ha/jour), les drones (300 ha/jour et enfin, les mesures manuelles en champs ». Entre les deux, après les avions, les ULM, les satellites, des capteurs embarquent désormais sur tracteurs et sur drones (voilure fixe ou multicoptère). Si ces derniers se démocratisent pour le grand public, en agriculture, « le problème est la reproductibilité, avec des difficultés pour le drone à repasser exactement au même endroit », insistait Caroline Desbourdes. Même avec un plan de vol pré-enregistré. Des vols qui sont d’ailleurs de plus en plus encadrés réglementairement (aéroport, zone urbaine…) pour obtenir une autorisation de voler.

L’intelligence des algorithmes



Dernier paramètre à considérer et pas des moindres, les algorithmes pour "traiter" toutes ces données. Les algorithmes sont ces fameux calculs informatiques permettant de décrypter les données contenues ici dans les images. Ces données biophysiques doivent aboutir à un diagnostic et « des pronostics ». De nombreux « modèles mixtes » sont donc en train d’être testés pour prendre en compte et neutraliser, par exemples, l’effet du soleil et son rayonnement sur la végétation ou encore, tout simplement, les ombres des nuages. Données qui dépendent également du couple capteur-vecteur comme expliqué auparavant.
A cela se rajoute à nouveau d’autres calculs informatiques. Ceux des modèles agronomiques. « Il faut alors que le modèle agronomique prenne en compte toutes les données rentrées pour ne pas avoir d’imprécisions », expliquait l’ingénieur, soulignant par là que des constructeurs de capteurs ou de vecteurs n’ont pas forcément les modèles agronomiques et le recul des tests et essais d’Arvalis. « Même avec le meilleur capteur du monde, si le modèle n’est pas bon, le résultat ne le sera pas plus », mettait en garde Caroline Desbourdes.
Résultat, pour l’heure, peu de réelles applications existent : pour les techniciens faisant de la sélection variétales et, encore en cours de développement, des applications pour les agriculteurs (voir encadré) avec des retours sur investissement à relativiser dans les deux cas…


Quels seront les applications et surtout les gains ?





Arvalis a listé les applications qui découleront de ces "nouveautés" pour les agriculteurs. « Ce sont les imageurs multi-spectrales qui seront les plus utilisés », que ce soit sur drones ou sur tracteurs. Ils permettent de comprendre le développement de la végétation, savoir le statut azoté/chlorophylle ou encore connaître le stress dans une parcelle. Reste que ces données sont déjà disponibles via les offres satellite (Farmstar) ou les estimations des capteurs embarqués sur avions/ULM.


A chaque fois, les agriculteurs reçoivent des cartes avec les doses à apporter s'ils sont équipés d’une console de guidage. Le portail web va lui renvoyer sa parcelle pour diriger son pulvérisateur en respectant la dose (phytos, engrais…) en fonction de la carte de préconisation (modulation).


Trois sociétés dominent le marché agricole pour les capteurs embarqués sur drones (Airinov ; Drone Agricole ; Delta Drone). Au dernier Sima, Arvalis a proposé à ces "dronistes" « de rentrer leurs cartes dans les modèles d’Arvalis, toujours sous condition que leurs capteurs aient bien été validées avant », puisque l’Institut les testent aussi actuellement. Sur drones, les capteurs ont entre 4 et 6 bandes, nettement moins que par satellites, avions ou sur tracteurs. Justement, côté capteurs embarqués sur tracteurs, seulement deux matériels ressortent : le N-Sensor de Yara et le Greenseeker de Trimble. En revanche, ce dernier – s’il permet de faire de la modulation en temps réel en étant fixé à l’avant du tracteur - « fait comme les autres une estimation de la fraction de la couverture verte mais pas de la teneur en chlorophylle. C’est une régression… », jugeait Caroline Desbourdes.



Un gain 3 q/ha maximum





Mais concrètement, quels sont les gains potentiels pour un agriculteur ? Selon une étude d’Arvalis, menée dans le Nord de la France, une parcelle sur deux est modulable « avec des zones de taille suffisante » concernant des apports tardifs d’azote sur blé. En revanche, 85 % des parcelles pour un 2e apport d’azote sur colza. En effet, il faut que la parcelle soit homogène et bien structurée. « Si la parcelle donne une carte (de modulation, NDLR) pleine de taches de léopard, on peut faire pire que si on n’avait pas modulé », met en garde Arvalis. Pour les parcelles bien structurées et avec de belles variabilités distinctes, le gain peut alors atteindre 3q/ha, pour une modulation des doses d’azote sur blé via des images satellites (Farmstar). Même gain via le N-Sensor de Yara. « En France, seul 90 appareils de type N-Sensor (et quelques unités pour Greenseeker de Trimble) équipent des tracteurs puisque leur prix d’achat varient entre 20.000 à 30.000 € », relativisait Caroline Desgourdes.


Une autre application possible est de détecter des adventices en vue du désherbage. « Le drone permet de faire des images avec des pixels de petites tailles pour repérer les mauvaises herbes mais rien d’autre, pas la variété ni le stade de développement. C’est vert et c’est tout ! » Un gros travail reste donc à faire pour développer des algorithmes permettant d’identifier ses mauvaises herbes à différents stades « mais rien n’est fonctionnel pour l’instant et encore moins pour mettre le bon produit dessus ! » Il faudrait alors transporter différentes cuves de produits et les moduler selon. Si tout cela va dans le bon sens, reste que la révolution annoncée attendra encore…