Statut de l'animal
Entre la personne et la chose

Publié par Cédric Michelin
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Pour le professeur émérite de droit Gilles Martin, la proposition de loi de la députée socialiste Geneviève Gaillard, concernant le statut animal, conduirait à la création d'une nouvelle qualification juridique dans le Code civil. L'animal serait situé à mi-chemin entre la personne et la chose. Ce texte pourrait également renforcer le régime de protection des animaux de rente.
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Les animaux resteront-ils des choses au regard du Code civil français ? Pas pour longtemps, semble répondre le professeur de droit à l'Université Nice-Sofia Antipolis, Gilles Martin, qui a décrypté pour le think tank Saf Agr'idées, le 9 juillet, deux récentes propositions parlementaires, dont l'objectif commun est de réviser le statut de l'animal dans le Code civil. La première, qui est la moins ambitieuse et pourrait être retoquée comme cavalier législatif par le Conseil constitutionnel, émane de l'ancien ministre de l'Agriculture, aujourd'hui député socialiste des Hautes Pyrénées, Jean Glavany, qui a déposé, le 11 avril, un amendement surprise au « projet de loi de modernisation et simplification du droit dans les domaines de la justice et des affaires intérieurs ». Il propose d'inscrire dans le Code civil que les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité, tout en précisant que ceux-ci restent «soumis au régime des biens corporel s». Plus ambitieuse, la députée socialiste Geneviève Gaillard, épaulée de députés UMP comme Patrick Balkany ou Lionnel Luca, a déposé, le 29 avril, une proposition de loi visant à « rétablir la cohérence des textes en accordant un statut juridique particulier à l'animal ». Elle souhaite introduire dans le Code civil l'idée que les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité, et que ceux-ci devraient être traités selon les « impératifs biologiques de leur espèce assurant leur bien-être / bien-traitance ».


Entre la personne et la chose



Aujourd'hui l'animal est une chose pour le Code civil, « le code préférentiel des qualifications », explique Gilles Martin. C'est une chose, autrement dit, un élément matériel et/ou économique, qui n'a pas de droits subjectifs, contrairement à une personne. Mais l'animal n'est pas une simple chose, précise ce spécialiste du droit. Il bénéficie d'un régime de protection spécifique au titre du Code rural, qui le considère déjà comme « un être sensible » qui « doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce ». L'animal est une chose spéciale, de la même manière que la Joconde est un objet particulier, qui bénéficie d'un régime de protection spécifique au titre du Code du patrimoine. La proposition de loi Gaillard pourrait non seulement renforcer le régime de protection des animaux mais elle sortirait l'animal du domaine des « choses », telles que définies par le Code civil : « Elle introduit une révolution dans la Code civil, mettant fin au diptyque chose–personne, en lui substituant un triptyque chose– animal–personne ». En revanche, l'amendement Glavany ne change rien à cette qualification, puisqu'il soumettrait l'animal au régime « des biens corporels », autrement dit, des choses.


Soumis aux mêmes lois que les choses



Si elle sort l'animal de la qualification de chose, la proposition de loi Gaillard maintient l'idée d'attachement à un fonds agricole, d'appropriation, de transmission et de louage. Les animaux ne seraient plus des choses, mais seraient soumis aux mêmes lois. « C'est une proposition à double détente », analyse Gilles Martin. Seule incidence pressentie pour les éleveurs, les animaux pourraient bénéficier d'un régime de protection renforcé, au titre du respect des « impératifs biologiques de l'espèce », qui serait inscrit dans le Code civil. Toutefois la proposition « n'entend pas du tout faire obstacle aux activités économiques ou de loisirs », rappellent les parlementaires. Pour l'avocat Pierre Morrier, cette proposition est comparable à la réforme qu'a connue l'Allemagne en 1990, sur le statut civil de l'animal. Cette réforme qui introduisait la phrase « les animaux ne sont pas des choses » dans le Code civil allemand (Bürgerliche Gesetzbuch), a été qualifiée à l'époque de « refonte cosmétique du Code civil par les amoureux des animaux » par une députée écologiste, explique Pierre Morrier. Si bien qu'aujourd'hui, en Allemagne, l'animal « n'est pas une chose, mais les lois relatives aux choses s'appliquent à lui ». Pour Gilles Martin, l'amendement Glavany n'aurait, lui, aucune incidence sur l'agriculture, et pourrait tout au plus « fonder un régime de protection absolue, une interdiction, pour certaines activités dites de loisir comme la corrida ».