Patrick Desbrosses
« Il fallait réagir ! »

Le projet de Gènes Diffusion de créer un second Organisme de sélection au sein de la race charolaise fait couler beaucoup d’encre. Président de la section charolaise de cette entreprise, Patrick Desbrosses, éleveur à Saint-Vincent-Bragny, explique les raisons de cette initiative inédite. Un projet motivé, selon lui, par la révolution génomique et l’urgence de redynamiser la race charolaise.
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Depuis deux ans environ, les instances dirigeantes de la race charolaise s’inquiètent d’un risque de scission de la première des races à viande. De fait, l’entreprise coopérative de sélection Gènes Diffusion (GD) a déposé un dossier d’agrément pour la création d’un second Organisme de sélection (OS) pour la race. Une initiative inédite, rendue possible par le nouveau Règlement zootechnique européen (RZE), en vigueur depuis juillet 2016 et applicable fin 2018. Cette décision est mal vécue par les responsables de Charolais France, l'actuelle OS raciale unique qui se veut le parlement de la race (1). Début 2016, une charte pour sauver l’unité raciale a été signée par tous les partenaires historiques de Charolais France, à l’exception toutefois de Gènes Diffusion. « Nous n’avons pas été invités », tient à préciser Patrick Desbrosses, président de la section charolaise de l’entreprise de sélection et par ailleurs vice-président de Charolais France.
L’éleveur de Saint-Vincent-Bragny livre ici sa vision du projet de Gènes Diffusion. A la veille de prendre sa retraite, l’ancien président de la coopérative d’insémination de Verdun, de l’Ucef et de Charolais Optimal tient à défendre un projet qu’il juge mûrement réfléchi, répondant à un constat inquiétant et porté par et pour les éleveurs, argumente-t-il.

Au service des éleveurs


« Avant tout, il faut rappeler que Gènes Diffusion est une union de coopératives d’insémination. A ce titre, elle appartient aux éleveurs ; elle est managée par eux et elle est au service des éleveurs et rien d’autre », défend fermement celui qui a longtemps incarné le mouvement coopératif en Saône-et-Loire. Pour Patrick Desbrosses, le projet "Charolais +" - c'est le nom de la nouvelle OS que souhaite créer GD - est un peu la continuité des travaux menés depuis plusieurs décennies par le schéma de sélection charolais coopératif. « Du temps de l’Ucef, nous avons travaillé sur le "Vêlage facile", puis sur les qualités maternelles. A partir de 1992, nous nous sommes lancés dans le "Sans corne" puis est arrivée la génomique. En 2014, nous avons dévoilé nos premiers index génomiques GD Scan », rappelle Patrick Desbrosses qui se souvient qu’à l’époque, « l’Inra ne croyait pas trop à la génomique en races allaitantes, au motif que la population de référence était trop faible… ». L’entreprise de sélection s’est alors associée avec l’université de Wageningen aux Pays-Bas qui lui a permis d’accéder à la méthode de génotypage "One Step".

Un outil génomique fiable


« A l’époque, Gènes Diffusion avait proposé aux autres membres de l’OS charolaise de s’associer à ces travaux de génotypage », informe Patrick Desbrosses. Mais faute d’avoir pu s’entendre, l’association ne s’est pas faite et « avec l’université de Wageningen, Gènes Diffusion a développé les premiers index génomiques en charolais ». Des index qui ont rapidement fait leurs preuves puisque « sur les cinq premiers taureaux muscularité précoce mis en marché, quatre figurent parmi les tout premiers de la race », indique-t-il. Depuis, le testage des futurs taureaux d’insémination a complètement été abandonné par Gènes Diffusion. Au fur et à mesure du déploiement de GD Scan, les coefficients de détermination des index (c'est-à-dire leur précision) ont beaucoup progressé. Aujourd’hui, 14.000 bovins charolais ont été génotypés avec GD Scan, de quoi « alimenter la base », assure Patrick Desbrosses. Le génotypage permet de calculer les index d’un animal dès sa naissance. Une indexation génomique précoce et prédictive qui doit être corroborée plus tard par les index classiques (Iboval) récoltés à la lumière des performances de la descendance de l’animal. La comparaison entre prédicteurs génomiques et index calculés sur la descendance montre ainsi que 55 % des index GD Scan sont parfaitement corrélés ; 25 % sont sous-évalués ; 19 % sont surévalués et seulement 5 % sont incohérents, rapporte le représentant de Gènes Diffusion. Des chiffres qui, estime-t-il, prouvent bien que « notre outil génomique est fiable ».

Une mauvaise passe


La génomique a complètement rebattu les cartes de la sélection bovine. Et cela intervient à un moment où la race charolaise traverse une mauvaise passe, constate Patrick Desbrosses. « On assiste à une baisse du nombre de vaches charolaises en France. On est passé de près de 1,7 million à 1,4 millions de vaches. Seulement 130.000 de ces vaches sont inscrites et ce chiffre ne progresse plus car certains éleveurs détenteurs d’animaux inscriptibles considèrent que l’inscription, ce n’est pas pour eux », explique-t-il. Le responsable évoque aussi les reproches récurrents de la filière sur l’excès d’os des carcasses charolaises… Il cite aussi des données présentées par l’Institut de l’élevage indiquant que de 2008 à 2015, les facilités de naissance, la finesse d’os se sont dégradées chez les diffuseurs de reproducteurs. L’aptitude au vêlage demeure inférieure à 100, signe d’un caractère détériorateur et peu d’élevages diffuseurs de reproducteurs sont indexés à plus de 100, rapporte le président de la section charolais de GD. « Il faut réagir ! », conclut-il.

Génotyper la monte naturelle


C’est en quelque sorte ce qu’a choisi de faire Gènes Diffusion lorsque le RZE est entré en vigueur. Concernant la nécessaire amélioration génétique mise en lumière par ces chiffres, Patrick Desbrosses pointe le fait que la diffusion de taureaux testés (par insémination), qui représente aujourd’hui 10 % des accouplements, ne dépassera pas 20 % dans le meilleur cas. Aussi, les responsables de Gènes Diffusion estiment-ils qu’avec la génomie, il serait désormais possible de diffuser des taureaux de monte naturelle dotés d’indexations précoces. Une petite révolution dans la reproduction traditionnelle. Et Patrick Desbrosses de s’insurger contre les soupçons de mercantilismes dont fait l’objet Gènes Diffusion. « Les taureaux appartiennent aux éleveurs ! Bien sûr, si le taureau est très bon, Gènes Diffusion peut proposer de le racheter. Mais sur le terrain, les coopératives d’insémination sont avant tout là pour proposer des services ». Pour lui, ce scénario aurait pour seul « risque d’élargir la base de sélection à des éleveurs non inscrits et d’y trouver des reproducteurs génotypés correspondant au marché ».
Et c’est là qu’intervient le projet de "Charolais +". Un moyen, selon le responsable, « de faciliter l’accès aux éleveurs non inscrits sans que cela ne leur coûte aussi cher ». Ce sont en effet les élevages détenteurs d’animaux inscriptibles qui sont visés. Des bovins qui remplissent toutes les conditions (cinq générations, de pères et mères connus…), mais qui ne vont pas jusqu’à l’inscription souvent pour motif économique, répète Patrick Desbrosses. « Pour ces animaux inscriptibles, le génotypage permettrait de trier les meilleurs qui, seuls, pourraient alors être confirmés par un inspecteur. L’inscription ne serait alors plus systématique, d’où des économies pour l’éleveur », argumente-t-il.

Dédramatiser…


Quant à l’inscription au Livre généalogique qui donne droit au statut "Inscriptible", le président de la section charolaise de GD fait remarquer qu’elle n’est « pas très coûteuse puisque seulement déclarative auprès du service état civil de l’EDE ». Quant au risque de voir apparaître deux livres généalogiques au sein de la race, le responsable estime que cela ne change pas grand-chose dans les faits. Au fond, dans son ambition de créer un second OS, Gènes Diffusion préfèrerait conserver un seul et unique Livre généalogique, mais le ministère ne semble pas favorable à cette option. Ceci dit, l’existence de deux livres généalogiques « ne constituerait pas un problème », estime Patrick Desbrosses qui évoque l’échange de taureaux charolais entre pays étranger et la possibilité de passerelles permettant le passage d’animaux d’un livre à l’autre. « En aucun cas, nous ne voulons faire deux races ! », défend le représentant de Gènes Diffusion. « D’ailleurs, dans notre dossier, nous avons repris le standard de race actuel ».

Perspectives


« La charolaise demeure une très bonne race », poursuit Patrick Desbrosses qui rappelle « qu’elle est la meilleure pour valoriser les fourrages grossiers, qu’elle résiste plutôt bien aux crises, qu’elle a cette aptitude à supporter mieux que les autres quelques impasses… ». Il évoque aussi l’efficacité alimentaire de la charolaise et les promesses des études actuellement menées dans ce domaine et rappelle le succès du programme "Sans corne" avec des taureaux désormais « à qualité égale avec les cornus ». Il évoque aussi la gestion des anomalies génétiques désormais permise par le génotypage des animaux. C’est le cas du gène culard, intéressant pour la production de viande ou encore l'"Ataxie", une tare génétique qu’il sera possible d’éliminer. Autant d’exemples qui promettent de nouvelles perspectives aux éleveurs charolais et ce grâce à l’innovation technologique. Avec l’automatisation de certaines opérations (pesées), les données - propriété des éleveurs - deviennent une véritable richesse, estime encore Patrick Desbrosses. C’est une révolution que décrit le responsable arrivé au terme de son engagement professionnel. Une nouvelle donne qui a motivé le choix de Gènes Diffusion d’agir. Pour l’avenir.


(1) Charolais France est composée du Herd-book charolais, des entreprises de sélections charolaises (Gènes Diffusion, Charolais Univers, Ucéar), des filières et prestataires (Conseil Elevage, Chambres d’agriculture, coopératives/groupements, stations, Charolais Label rouge, AOC Bœuf de Charolles, Institut charolais, Charolais Expansion, Elvea France…).