Plan protéines Bourgogne
La Bourgogne gonfle ses muscles

Publié par Cédric Michelin
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Le 23 janvier à Chalon-sur-Saône, la Bourgogne a lancé son “Plan protéines”. La Région -avec les chambres d’agriculture et les services de l’Etat- entend ainsi encourager la culture des protéagineux et des légumineuses. Objectif double : réduire à terme les importations destinées à l’alimentation animale et améliorer les pratiques agroenvironnementales. Mais si la structuration de la filière se dessine, des questions restent en suspens…
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« L’histoire dira si cette date est historique ». Solennel, volontaire, mais encore avec une pointe d’incertitude, le vice-président du conseil régional, Jacques Rebillard, lançait ainsi le “Plan protéines Bourgogne”, troisième du genre. Alors la Bourgogne a-t-elle tiré quelques « leçons du passé » ? Le « contexte global n’a jamais été aussi favorable », se voulait, lui aussi optimiste, Vincent Lavier, vice-président de la chambre régionale d’agriculture de Bourgogne. Et de lister les points positifs de telles cultures protéagineuses ou légumineuses : être autonomes et ainsi maîtriser les fluctuations des prix des matières premières pour l’alimentation animale ; approvisionner les marchés de soja non-OGM pour les produits sous signes de qualité ; gagner en intérêt agronomique dans les zones de plateaux ou en système de cultures simplifiées ; ou encore contourner les phénomènes de résistances de certaines graminées difficiles à désherber.
A ces besoins de terrain concrets se rajoute aujourd’hui le plan agro-écologique voulu par le ministre de l’Agriculture. Reste que les aides du 1er et 2nd pilier de la Pac (paiements verts, MAEC, Ambition Bio, production semences et légumineuses fourragères, modernisation des outils de récoltes…) ne sont pas encore arrêtées, ni connues à ce jour... ! Les cultivateurs, éleveurs et coopératives de production d’alimentation animale présents dans la salle restaient donc sur leur faim ! « Un guide des aides sera bientôt disponible, promettait Vincent Lavier, qui reconnaît que « pour que ça avance, il y aura besoin d’encouragements » toutefois.

Deux ans d’avance ?


En attendant ces arbitrages, la Bourgogne compte bien profiter du temps d’avance qu’elle a accumulé puisque sa réflexion « a démarré il y a deux ans » déjà. C’est ainsi que Christophe Lecompte, de l’Inra Dijon, présentait les nouveautés variétales de pois Hr - qui indiquent le gène de sensibilité à la durée du jour (photopériode) permettant notamment de meilleurs remplissages avec des cycles avancés - et anticipant les possibles changements climatiques à venir. Les pois d’hiver recouvrent actuellement 20 % des surfaces arables en France. La Bourgogne représente 50 % de ce total. La Saône-et-Loire ne pèse que pour 9 % des surfaces régionales en 2013-2014. L’Yonne fait course en tête, suivi par la Côte d’Or « souvent dans des terres à cailloux ou sensibles au stress hydrique ».

La recherche : publique ou privée ?


Sauf que la culture qui progresse le plus en Saône-et-Loire est le soja. Lionel Borey, pour la chambre d’agriculture de Saône-et-Loire, interrogeait donc l’Inra de Dijon quant à l'état d'avancement de ses recherches sur les variétés. Réponse décevante de l’Inra Dijon : « le Canada et les Etats-Unis sont très en avance. Sa génétique est connue. Ce n’est pas le rôle de l’Inra de développer des variétés ». Le président de la coopérative Bourgogne du Sud, Didier Laurency, rétorquait que « alors que la région est adaptée, qu’Extrusel existe depuis 1990, on ne ressent pas d’intérêt de la recherche sur le soja en France. L’Inra Dijon travaille très bien sur l’inoculant, mais pas sur la graine, c’est aberrant ! ». Et le directeur, Michel Duvernois de rajouter : « l’alimentation animale ne veut pas des graines, mais des tourteaux de soja non OGM », ce qui n’intéresse pas les Américains. L’après-midi, lors de la visite d’Extrusel, Michel Duvernois expliquait qu’Avril (ex-Sofiproteol) compte de ce fait « redévelopper des variétés ».

Creuser la valorisation


La conclusion de la matinée était donc mitigée. Vincent Lavier admettant que le « Plan protéines n’est pas figé. Il faudra pousser la réflexion sur le potentiel de développement des surfaces et les caler sur les besoins de la filière » aval. Jacques Rebillard, toujours volontaire, positivait : « le développement du soja n’a pas attendu ce plan. La filière est mûre. On est tous convaincus du besoin de créer une vraie dynamique régionale ». Il reconnaissait en guise de conclusion qu’« avant de mettre des chiffres, il nous faut creuser la valorisation pour être viable économiquement ».
La Bourgogne a donc gonflé ses muscles, mais il lui faut encore faire preuve d’un peu de patience pour consolider ce « dénominateur commun » entre production animale et végétale, qu’elle rêve depuis longtemps.


Soja : une implantation liée à l’année



Technicien grandes cultures à la chambre d’agriculture de Saône-et-Loire, Antoine Villard insistait sur « l’opportunité » que constitue le soja « pour diversifier les assolements ». Mais « son succès ou son non succès est souvent lié aux primes », rappelait-il lucide, montrant que d’un plus haut fin 1990 à 134.000 ha, les surfaces ont diminué ensuite. Un « redémarrage » est constaté actuellement avec 75.000 ha l’an dernier. En Bourgogne, le soja représente 20 % de ses surfaces, principalement en Côte-d’Or (51 %) puis en Saône-et-Loire (43 %). Ces rendements évoluent mais « sa rusticité permet des pertes plus faibles qu’en maïs ».Les excès d’eau en 2013 ont également rappelé son intérêt pour être semé « plus tard ». Mais sa grande force réside dans les charges économiques pour le cultiver : 300 €/ha contre 500 €/ha en maïs. Résultat, les marges brutes par hectare sont supérieures à celle du maïs ces deux dernières années.



Un calcul qu’a bien intégré, Damien Jeunon, du Gaec du Meix Roussot à Verjus. Sur ses 160 ha (80 ha en alluvion-argileuses, 80 ha argilo-limoneuses), « partiellement » inondables, il a été « poussé à faire du soja », sur 25 % de ses surfaces, lui qui avoue « ne pas avoir de rotation type », hormis des orges d’hiver derrières ses blés. C’est en voyant avec quelle facilité son voisin implantait ses blés après un soja, récolté facilement sans ornière ni résidus, qu'il a été convaincu. Et l’intérêt agronomique indéniable en terme d’intrant économisé également. Il sème une variété 00 (ES Mentor) après un décompactage en septembre. Son semoir combiné avec vibro permet de couvrir la graine et avoir une meilleure maîtrise des adventices, même si le « séchage est plus long » à la fin.



Antoine Villard parlait également de la possibilité des cultures dérobées. Une « opportunité » là aussi derrière une orge d’hiver récoltée tôt, dixit Damien. Un atout également en terme d’azote, de couverture du sol et pour diminuer les traitements, « voire arriver à ne pas en faire », souligne le technicien. En revanche, les rendements avec une variété 000 sont là, plus « aléatoires » aux alentours de 20 qtx/ha, récoltés au mois d’octobre. Sa culture est tout de même conseillée avec système d’irrigation car si le sol est ressuyé rapidement, il peut être aussi très sec. Une culture permise également avec des itinéraires simplifiés. Gare toutefois au « problème de la concurrence d’adventices plus rapide », observe Damien, lui qui ne bine pas ses sojas (écartement de 50 cm), contrairement à ses tournesols et maïs. Pour lui, le soja « reste lié à l’opportunité de l’implanter » en fonction de l’année.






Extrusel se positionne sur le tourteau de soja non-OGM



Sur le site de Bourgogne du Sud à Chalon Nord, les silos d'une capacité totale de 92.000 t font face à un autre outil, l'usine de trituration de la Sica Extrusel. Construit en 1988, l'idée était de produire de l'huile de colza pour la flotte des camions de la coopérative alors que les experts s'accordaient sur un prix du pétrole à 200 € le baril. Depuis 2013, la trituration de graines de colza (60.000 t) et de tournesol (15.000 t) permet la fabrication d'huile et de tourteaux plaquettes. Aujourd'hui, une réflexion est lancé autour de la filière soja non-OGM. La France n'en produit que 200.000 t pour un besoin annuel de 500.000 t. Extrusel compte donc ouvrir une troisième ligne pour porter sa capacité de transformation à 120.000 t/an et transformer dès l'an prochain entre 30.000 et 40.000 t de soja, selon le développement des surfaces. Les graines récoltées à 36-40 de taux de protéines peuvent donner des tourteaux à 51-52. " Cette fois, j'y crois car il y a un vrai schéma national, avec un seul produit (avec Sofiprotéol) " côté débouché, note le directeur. L'an dernier, sur le secteur de la coopérative, 7.000 ha de soja avaient été récoltés. Au delà de l'alimentation animale, l'huile est également bien valorisé (Lesieur).