Traité transatlantique (TTIP)
L’élevage français en péril

La rencontre des élus avec les professionnels de la filière Viande bovine au Sénat le 1er février a débouché sur un constat sans équivoque : la ferme France est en danger. A la crise agricole s’ajoute l’ouverture programmée d’un marché transatlantique (TTIP) amenant avec elle les risques d’une déferlante d’importations de produits "Made in USA"…
131634--2688_Elevage_TTIP_Feedlot.jpg
Quel avenir pourrait-on dessiner à la filière Viande bovine française dans ce contexte global des plus hostiles ? La question mérite d’être posée tant les facteurs exogènes indésirables s’accumulent irrémédiablement sur cette filière. La crise agricole profonde actuelle pourrait n’être que les prémices d’une nouvelle ère. A en croire les élus et les représentants de la filière élevage réunis le 16 février au Sénat, l’accord transatlantique en cours de négociation entre les Etats-Unis et l’Union européenne pourrait s’avérer bien plus dévastateur pour l’élevage et l’agriculture française dans son ensemble.

Un risque plus que sérieux


Près de 300.000 à 600.000 tonnes de viandes en provenance du marché américain (Etats-Unis, Canada et pays du Mercosur inclus) pourraient ainsi pénétrer le marché de l’Union européenne (UE) sans aucun droit de douane, avertit Guy Hermouët, président d’Interbev Bovins, qui développe : « le prix US deviendrait le prix de référence mondial et serait de 5 € moins cher que le prix européen pour un kilo d’aloyau ». Cette situation engendrerait une baisse de revenus de l’ordre de 40 à 50 % chez les éleveurs et mettrait en péril rien moins que près de 50.000 emplois directs et indirects en France sur les 260.000 que comptait la filière bovine en 2015.

La question des normes…


Mais au-delà des questions tarifaires au menu des négociations, c’est bien la question des normes qui pose problème. Tout semble opposer les deux continents :
- aux Etats-Unis, la traçabilité n’est pas obligatoire, les démarches sont axées sur le curatif lorsqu’en Europe elles s’orientent sur le préventif ;
- les hormones et les antibiotiques pour engraisser les animaux sont autorisés outre-Atlantique ainsi que le recours aux farines animales ;
- les modes de production américains à l’image des "feedlots", les parcs industriels d’engraissement de bovins, contenant en moyenne 30.000 têtes de bétail nourris à 90 % d’OGM, feraient face aux exploitations familiales françaises.
Faut-il rappeler que l’élevage et l’agriculture façonnent les territoires ruraux en structurant les paysages. A ce titre, l’élevage bovin français entretient près de 13 millions d’hectares de prairies et 700.000 kilomètres de haies. « Sans élevage, les sols se convertiraient en friches », faisait remarquer Guy Hermouët. Dans l’Hexagone, le bétail est en effet nourri à 80 % d’herbe et près de 90 % des aliments du troupeau sont produits sur l’exploitation même.

L’enjeu de la sécurité alimentaire


« Le combat de la compétitivité est perdu d’avance pour la France », reconnaît aisément Guy Hermouët. Mais la joute de pouvoir entre les deux blocs - qui s’annonce de longue haleine - ne fait que débuter.
Député européen Auvergne-Centre-Limousin, Jean-Paul Denanot a pourtant tenté de rassurer, évoquant un processus long. Il parlait aussi d’« un certain nombre de garde-fous » qui ont été « posés comme, par exemple, le caractère sensible de certaines productions », s’en suivra un droit de véto du parlement européen et enfin l’accord des parlements nationaux.
« La ferme France brûle et plus particulièrement pour l’élevage », déclarait, de son côté, Gérard Bailly, sénateur du Jura et président du groupe d’étude Elevage au Sénat, regrettant la baisse continuelle des prix d’un côté et l’augmentation des normes de l’autre. Le sénateur y a exprimé sa « déception » vis-à-vis des GMS qui continuent de jouer leurs jeux de « gagne-petit » lorsque d’autres jouent leur survie, vis-à-vis des « mesurettes » proposées par les pouvoirs publics et vis-à-vis de l’Europe et de sa léthargie.
L’enjeu concerne tout bonnement la sécurité alimentaire du "pays France" où l’exigence de qualité est reconnue mondialement. La 12e table-ronde de négociations à Bruxelles se tiendra jusqu’au 26 février prochain…




Revenu des éleveurs bovins
Le coup de grâce…


« Un accord de libre-échange signé avec les États-Unis, c’est de 40 à 50 % de revenu en moins pour les éleveurs, soit une disparition de 50 % des éleveurs », a alerté Guy Hermouët, président de la section bovine d’Interbev. Un contingent de 300.000 tonnes de viandes pourrait être accordé aux seuls Etats-Unis, lesquels exporteraient alors massivement de l’aloyau, une pièce noble en Europe, mais dévalorisée aux États-Unis, pays très friand de steak haché. « Le prix américain deviendrait alors le prix de base », met en garde Guy Hermouët. Un prix estimé à 8,60 €/kg carcasse, « en cas de contingents à droit nul significatif », selon Interbev. À titre de comparaison, le kilo d’aloyau produit et vendu en Europe est à 13,70 €… « Un tel choc de prix sur le marché européen entraînerait une baisse de 9,60 % du prix du jeune bovin payé au producteur français, soit de 30 à 60 % du résultat courant des exploitations spécialisées bovin viande », analyse Interbev. Un phénomène qui entraînerait à lui seul 25.000 à 30.000 emplois d’éleveurs en moins. « Il existe un véritable océan entre nos normes et nos modes de production qui provoquerait un vrai différentiel de compétitivité », dénonce Guy Hermouët. « Le marché de l’aloyau est le marché le plus rémunérateur pour les éleveurs français » rappelle-t-il.





Face à la menace du TTIP
L’heure est à la mobilisation


Le manifeste "Pour un élevage bovin viande européen durable" lancé par Interbev en début d’année a déjà récolté plus de 600 signatures d’élus, a annoncé Bruno Dufayet, éleveur dans le Cantal et représentant à Interbev. Présenté lors d’une rencontre au Sénat le 16 février, ce manifeste entend alerter sur l’impact d’une ouverture massive du marché européen à la viande bovine américaine en cas de signature du partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP).
Une pétition pour tous les citoyens a été également mise en ligne (http://bit.ly/ViandeBovinePetitionTTIP).
Pour Jean-Pierre Fleury, président de la section viande du Copa-Cogeca, ce TTIP représente « l’affrontement entre deux modèles de production qui n’ont rien à voir ». Selon lui, six pays seraient « derrière la France », dont la Belgique, l’Irlande ou l’Espagne. D’après Sophie Primas, sénatrice des Yvelines, « le volet agricole n’est qu’une petite partie » des négociations. « Un accord a été trouvé sur 97 % » des éléments globaux de la négociation et « Barack Obama, en fin de mandat, pousse à un résultat », d’où l’importance d’alerter la population sur les risques pour la France d’un tel accord (emploi, agriculture…).