Daniel Desvignes à Vitry-sur-Loire
Les vertus du grand épeautre

Depuis une quinzaine d’années, Daniel Desvignes cultive du grand épeautre. Les graines sont distribuées telles quelles aux veaux au pré. Une complémentation économe qui convient particulièrement bien aux jeunes broutards.
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En juin dernier à Vitry-sur-Loire, dans le cadre des journées Innov’Action organisées par la chambre d’agriculture de Saône-et-Loire, Daniel Desvignes témoignait de son utilisation de l’épeautre pour l’alimentation de ses bovins. Son exploitation couvre 190 hectares sur lesquels il fait naître environ 120 veaux charolais. Converti au bio depuis une vingtaine d’années, l’éleveur produit des broutards légers, un peu de reproducteurs de 18 mois, des femelles grasses et, dans une moindre proportion, des femelles maigres. 25 hectares sont consacrés à de la prairie temporaire. Daniel cultive également 9 hectares d’un mélange d’orge et de triticale. Depuis une quinzaine d’années, il emblave aussi du grand épeautre. Six hectares étaient consacrés à cette céréale la saison passée. « J’avais eu connaissance que cette céréale faisait moins ballonner les animaux. Je me suis procuré les premières semences chez mon ancien maître de stage qui les ramenait de Belgique », racontait l’éleveur. Dans les années 2005 à 2007, ce choix a été conforté par une nette augmentation du prix des céréales bio. L’alimentation bio du commerce était devenue trop chère pour complémenter des veaux sous la mère, rapporte Daniel. D’autant plus que, faute de débouchés, les mâles bio se retrouvent payés au prix des broutards standards, ajoutait-il.

« Une céréale-fourrage »


« A la mise à l’herbe, je donne de l’épeautre à tous mes veaux au pré, puis principalement aux veaux mâles jusqu’au sevrage début novembre. Ils le consomment à volonté - jusqu’à 4 à 5 kg par jour - mélangé avec de la luzerne déshydratée pour un tiers », expliquait l’éleveur. La luzerne est ajoutée très tôt car « l’épeautre étant très appétent, les veaux ne mangeraient que cela », faisait remarquer Daniel. Ce dernier n’a constaté aucun problème digestif. « L’épeautre est en fait une céréale fourrage ! », résumait-il.

Rustique


Cousin rustique du blé, « l’épeautre n’est pas une culture très délicate en soi », indiquait l’éleveur. Il est implanté généralement derrière une prairie temporaire. Lorsque cette dernière « manque de trèfle », Daniel apporte du compost à raison de 15 tonnes par hectare avant le retournement. Le semis est effectué à la même époque qu’un triticale vers le 15 octobre, « ni trop tôt ni trop tard », commente l’éleveur. Ce dernier produit sa propre semence fermière, obtenue à partir de semences achetées de la variété Poème. « J’ai remarqué que quand on ressemait ses graines, on renforçait la rusticité de la plante », faisait part Daniel. Le semis se fait à raison de 180 à 200 kg par hectare.
« En première culture, l’épeautre ne se salit pas trop », rapportait l’éleveur. Ce dernier intervient en principe avec une herse étrille. Ce désherbage mécanique est effectué juste après le semis - avant la levée - et jusqu’à une feuille ou bien après trois feuilles lorsque la météo est favorable. Autrement dit « une année sur deux ou trois », confiait l’agriculteur bio qui ajoute qu’au printemps, il est très rare qu’il soit possible de herser, précisant aussi que « l’épeautre va mieux concurrencer les adventices qu’un blé, mais moins bien qu’un triticale ».
Côté maladie, « l’épeautre serait moins sensible que le blé, mais peut-être un peu plus sensible à la rouille que le triticale », complétait Daniel Desvignes qui précisait qu’en bio, « on ne peut bien souvent que constater… ».

Graines vêtues de leurs balles


Lors de la moisson, il est recommandé de « ne pas trop serrer le batteur » pour ne pas décortiquer les graines, « ni avoir trop de vent » dans la machine, indiquait l’éleveur. La graine d’épeautre a en effet la particularité de demeurer vêtue de sa balle. Ce peut être un inconvénient au semis où il est recommandé de disposer de semoirs dotés de « grosses descentes » et de préférence « mécaniques ». C’est aussi un handicap à la récolte car l’épeautre non décortiqué prend le double de volume par rapport à un blé. Il faut compter davantage de bennes à rouler et de place pour le stockage. Par contre, l’épeautre chauffe moins que le blé car l’air circule mieux dedans. Cette céréale craint aussi moins l’humidité à la récolte. En bio, Daniel récolte entre 25 et 30 quintaux d’épeautre à l’hectare.
L’épeautre a l’avantage de pourvoir être distribué aux animaux telle quelle, sans être aplatie ni moulue, avance Daniel Desvignes. Cette céréale permet ainsi « de simplifier le travail, tout en limitant les intrants - l’épeautre étant moins gourmand en azote que le blé ou le triticale - et avec des animaux qui se portent tout aussi bien », concluait l’éleveur.


Grand épeautre




Des variétés belges ou suisses


L’épeautre ou "grand épeautre" appartient à la même espèce que le blé tendre dont il est très proche. Il ne faut pas le confondre avec le "petit épeautre" ou engrain, un autre membre de la famille des blés, plus spécifiquement attaché aux régions méditerranéennes, notamment en Haute-Provence où il bénéficie d’une IGP.




Les variétés de grand épeautre proviennent de Suisse et de Belgique. Les variétés suisses sont plus adaptées à la panification alors que les variétés belges sont davantage fourragères. L’épeautre se comporte mieux qu’un blé dans les terres difficiles (froides, humides et montagneuses). Ses besoins en azote sont plus faibles que le blé : 2 unités par quintal contre 3 pour le blé. La dose totale d’azote peut ainsi être réduite de 30 à 40 % par rapport au blé. Rustique, l’épeautre est peu sensible aux maladies. La culture peut même être conduite sans protection fongicide. Néanmoins, il peut bénéficier des mêmes produits phytosanitaires que le blé, informe Antoine Villard de la chambre d’Agriculture. A noter que l’épeautre est plus sensible à la verse que le blé ou le triticale. En Belgique, certains agriculteurs le cultivent pour la vente avec des rendements proches de 80 quintaux par hectare.



« Sécuriser » la ration


« Avec 0,8 à 0,9 UF, l’épeautre a une valeur alimentaire légèrement inférieure au triticale », indiquait Fabien Deschizeaux de la chambre d’Agriculture. Un kilo d’épeautre équivaut à 300 grammes de paille dans la ration, d’où son excellente aptitude à faire ruminer les jeunes bovins ; de quoi remplacer de la pulpe déshydratée, faisait même remarquer le technicien. Avec un taux de cellulose de 12 %, l’épeautre « donne de la structure à la ration » qu’il sécurise, en faisant saliver et ruminer les animaux, les protégeant ainsi des risques d’acidose, explique-t-on.




« L’épeautre peut être distribué en graines entières, mais il est recommandé de l’aplatir au-delà de 4 mois d’âge », conseillait Fabien Deschizeaux. « Antiacidose », il convient à toutes les catégories d’animaux. La céréale est par ailleurs riche en vitamine A, phosphore et albumine.