Biotechnologies
La révolution de la méiose

Publié par Cédric Michelin
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L’avancée des connaissances sur le fonctionnement de la méiose - une étape clé de la reproduction végétale et animale - laisse augurer des technologies de rupture, notamment de bonds dans la sélection variétale. Les travaux de Raphaël Mercier permettent de connaître les mécanismes augmentant la diversité génétique. Ils participent aussi à la compréhension de l’évolution biologique.
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Raphaël Mercier, lauréat 2016 du prix du "défi scientifique" qui lui a été remis par l'Inra le 13 décembre, a contribué avec son équipe à caractériser depuis 2001 une soixantaine de gènes impliqués dans la méiose. La méiose est ce mécanisme universel (car il agit chez les végétaux, les animaux et donc les humains) qui permet de brasser et de distribuer les chromosomes dans les cellules reproductrices. Chez l’Homme, « des défauts de déroulement de la méiose expliquent les cas de trisomie 21 et jusqu’à 40 % des fausses couches », indique le chercheur généticien. Chez les plantes, la compréhension avancée de ce mécanisme permettrait une nouvelle révolution dans la sélection variétale pour favoriser la diversité génétique ou pour créer des graines clonales.
Certains des gènes identifiés ces dernières années réduisent le brassage chromosomique, autrement dit la diversité génétique, quand d’autres le favorisent. « Le génome, c’est l’encyclopédie, les chromosomes les tomes, les gènes sont les mots. L’ADN, c’est l’encre », illustre Raphaël Mercier. Grâce à l’identification de ces gènes qui régissent le déroulement de la méiose, plusieurs voies s’ouvrent ainsi à la sélection végétale.

Bloquer le brassage chromosomique…


D’une part, dans le cas des gènes qui réduisent le brassage chromosomique, les chercheurs obtiennent une graine strictement identique à la plante mère, un résultat qui permet en particulier de multiplier des variétés hybrides « sans avoir à refaire le croisement entre les deux parents », explique Raphaël Mercier.
Mais pourquoi donc produire de tels clonages ? Parce que les plantes cultivées d’intérêt agronomique, qui combinent un grand nombre de caractères, sont très souvent de composition génétique complexe. Leur descendance - du fait de la reproduction sexuée qui mélange l’information génétique à chaque génération - ne conserve pas l’ensemble des caractères recherchés. Si l’on souhaite conserver d’une génération à l’autre les recombinaisons intéressantes obtenues par croisement, il est nécessaire de les fixer. Appelée apomixie, ce mode de reproduction par graines conformes à la plante mère, c’est-à-dire sans brassage génétique, serait un moyen efficace de propagation de nouvelles variétés contenant des chromosomes recombinés cumulant les caractères d’intérêt agronomique. Cela éviterait notamment le recours à des plans de multiplication compliqués et onéreux pour maintenir les variétés hybrides, détaille le chercheur.

…et aussi l’augmenter


D’autre part, dans le cas où les gènes stimulent le brassage chromosomique, « on augmente la diversité génétique, donc la possibilité d’avoir des génomes intéressants pour différentes applications agronomiques ». Ces travaux sur la méiose laissent donc présager un vaste potentiel d’incidences pour l’agriculture, selon l’Inra. En effet, l’amélioration des espèces végétales et animales repose sur le brassage génétique, en créant des combinaisons qui présentent les caractères recherchés.
Dans la nature, la recombinaison réciproque entre deux chromosomes homologues au cours de la méiose est faible, limitant ainsi le nombre de combinaisons et donc la diversité génétique au sein d’une même espèce. Or, des chercheurs de l’Institut Jean-Pierre Bourgin (unité mixte dédiée à la recherche sur le végétal impliquant l’Inra, AgroParisTech et le CNRS), notamment Raphaël Mercier, ont découvert que trois voies distinctes - reposant sur trois gènes (leurs noms : FANCM, RECQ4 et FIGL1) - limitent la recombinaison méiotique. Face à ce défi, les chercheurs ont obtenu une mutation ciblée de ces gènes, qui entraîne une forte augmentation de la fréquence des recombinaisons chez la plante modèle Arabidopsis thaliana, qui est très courante dans l’hémisphère nord, y compris dans toute la France. Dans les serres du centre Inra de Versailles, le chercheur a planté des dizaines de mutants d’Arabidopsis et a repéré ceux qui sont stériles du fait d’un défaut de méiose. Après, « avec les progrès du séquençage, ce n’est plus un problème d’identifier le gène muté ».


Un intérêt pratique


Le travail sur la méiose revêt un intérêt de recherche appliquée, mais aussi d’approfondissement des connaissances, résume Raphaël Mercier. L’augmentation de la recombinaison méiotique « est d’un grand intérêt pour l’amélioration des espèces végétales ». Elle permettrait « de trouver de nouvelles combinaisons cumulant plus de caractères recherchés ». Et plus fondamentalement elle permettrait d’augmenter la puissance de détection et de cartographie génétique de gènes d’intérêt. Et surtout, le champ d’application d’une meilleure compréhension de la méiose peut également concerner la médecine. En effet, une mauvaise répartition des chromosomes au cours de la méiose est à l’origine de nombreux avortements spontanés ainsi que de syndromes génétiques tels que la trisomie 21. Enfin, « à l’avenir, mon rêve, après les découvertes de la génétique il y a cent ans, c’est de percer de nouveaux mystères », notamment sur l’information génétique, a évoqué Raphaël Mercier.