Agriculture française
Une histoire très dense

Publié par Cédric Michelin
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L’agriculture française a une belle et riche histoire. Celles des femmes et des hommes qui ont fait de la France un des premiers pays de productions agricoles du monde, mais aussi celle de ses organisations, de ses courants… Pierre Le Roy vient de lui consacrer un ouvrage.
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L’ouvrage "L’histoire de l’agriculture française de 1867 à nos jours" de Pierre Le Roy* est d’abord l’histoire de la politique agricole depuis cent-cinquante ans. L’auteur l’a fait démarrer avec la naissance de la première organisation professionnelle agricole, la Société des Agriculteurs de France (SAF), sise rue d’Athènes à Paris, qui existe toujours et qui occupe toujours ses locaux d’origine. A l’origine de sa création, ce sont des notables ruraux, représentatifs de la droite catholique porteurs des idéaux de la doctrine sociale de l’Eglise ; « des ducs et des marquis », dira d’eux - et très caricaturalement - Léon Gambetta qui s’empressera, lui, de créer quelques années après la Société d’encouragement à l’agriculture (SNEA), installée boulevard Saint-Germain à Paris, autre société de notables mais aux valeurs républicaines, en 1880. Il vise ainsi à neutraliser l’influence de l’Eglise et imposer la République dans les campagnes. L’enjeu électoral dans les campagnes françaises est alors un enjeu stratégique… C’est Léon Gambetta qui fut l’artisan de la création du ministère de l’Agriculture en 1881.

Le protectionnisme agricole


Ainsi toute la IIIe République sera marquée par la rivalité entre ces deux organisations et les deux courants idéologiques qu’elles représentent et portent. L’une et l’autre s’impliqueront dans la création de coopératives et de mutuelles, d’inspirations philosophiques très différentes : la doctrine sociale de l’Eglise et la méfiance vis-à-vis de toute intervention de l’Etat pour la rue d’Athènes, la proximité avec les radicaux socialistes de l’époque et l’acceptation du rôle de l’Etat en agriculture pour le Boulevard Saint-Germain. Le clivage ira même jusqu’à la création de deux fédérations concurrentes dans le secteur coopératif, le groupe Mac Mahon pour les coopératives "de gauche" et le groupe Lafayette pour les coopératives "de droite", ainsi appelés à cause de l’adresse de leur siège. Dans notre département de Saône-et-Loire et plus largement dans notre région, ce sera l’émergence et la confrontation des Organisations du Sud-Est avec les Organisations dites départementales : le Crédit agricole du Sud-Est contre celui de Saône-et-Loire, Muta Sud-Est contre l’Est central…
Néanmoins, cette IIIe République ne marquera guère l’agriculture, si ce n’est par le protectionnisme agricole. Initié par Jules Méline, l’un des principaux ministres de l’Agriculture qui cherche alors protéger les agriculteurs des importations à bas prix de céréales du Nouveau Monde, il constituera l’alpha et l’oméga de la politique agricole à cette époque.
C’est cependant sous la IIIe République que finiront par voir le jour les Chambres d’Agriculture en 1924 après une douloureuse et longue gestation. La Caisse nationale de crédit agricole sera créée en 1926, puis l’Office du blé (OniBlé) en 1936 pour neutraliser l’effondrement des cours des céréales. C’est aussi l’époque où les agriculteurs se prennent en main. Les premiers syndicats sont lancés à la fin des années 1880 pour faire le poids vis-à-vis de négociants quelque peu malveillants et qui profitent alors de la dispersion des paysans. Quelques années plus tard seront créés les syndicats par produit : la Confédération nationale des vignerons du Midi en 1907, la Confédération des producteurs de lait en 1920, la Confédération générale des planteurs de betterave en 1921 ou encore l’Association générale des producteurs de blé en 1924.

Le temps des réformes


Après l’épisode douloureux de la Corporation paysanne dans laquelle nombre de dirigeants agricoles seront impliqués avec le régime de Vichy, la IVe République entend jeter les bases d’une nouvelle organisation de l’agriculture, la Confédération générale de l’agriculture (CGA). L’initiateur de cette réforme, le ministre de l’Agriculture, François Tanguy-Prigent, sera également à l’origine du Statut du fermage et de la création des Cuma.
De son côté, la FNSEA verra le jour en 1946 sur les décombres de la CGA, la Confédération générale de l’Agriculture, et s’imposera par la suite comme la seule organisation agricole représentative des agriculteurs. Son leitmotiv : l’augmentation des prix agricoles ! Elle se heurtera assez rapidement aux jeunes responsables du CNJA (Cercle national des jeunes agriculteurs, devenu depuis Centre national des jeunes agriculteurs), dont les responsables sont issus notamment de la Jeunesse agricole catholique (Jac). Sous l’impulsion de leur leader, Michel Debatisse, ils préconisent une autre politique agricole basée sur la réforme des structures et non plus sur la revalorisation des prix. Ces derniers trouveront un écho favorable chez les dirigeants de la Ve République : le général De Gaulle, son Premier ministre, Michel Debré, et leur ministre de l’agriculture, Edgard Pisani.
Ces politiques s’appuieront sur cette nouvelle génération pour faire adopter les lois d’orientation agricole de 1960 et 1962. Si l’objectif initial était la parité entre l’Agriculture et les autres activités économiques, les mesures mises en œuvre, l’Indemnité viagère de départ pour favoriser l’agrandissement des exploitations et l’installation des jeunes, les Safer pour éviter la concentration des terres, les groupements de producteurs pour renforcer le poids économique des agriculteurs vis-à-vis de l’aval, les Gaec pour rationaliser les investissements et améliorer les conditions de vie sont autant d’éléments qui marqueront l’évolution de l’agriculture française pendant près de trente ans. Si on y ajoute la mise en place de la Politique agricole commune (Pac) dans les années 1960, la politique agricole de la Ve République sera à l’origine du formidable essor de l’agriculture française jusqu’aux années 1980.

La rupture…


L’auteur fixe la rupture de cette dynamique à 1986. C’est en effet cette année-là où la France et l’Europe donnent leur accord à l’intégration de l’agriculture dans les négociations du Gatt (General agreement on tariffs and trade, qui deviendra l’OMC, l’organisation mondiale du Commerce) et à la libéralisation du commerce agricole.
Cette décision aura une fâcheuse conséquence : la réforme de la Pac en 1992 qui consacrera le désarmement de la protection aux frontières, c’est-à-dire l’exposition de l’agriculture européenne aux marchés mondiaux et à la volatilité des prix ainsi que l’introduction des aides directes. En outre, dès les années 1990, les agriculteurs seront de plus en plus confrontés à la critique du "productivisme agricole", à la montée en puissance des préoccupations environnementales et de santé. L’irruption des citoyens consommateurs dans le champ de la politique agricole interpelle ainsi de plus en plus les agriculteurs et constitue une source d’incompréhensions : comment peut-on leur demander simultanément d’être à la fois performants, de produire de la nourriture abondante, de qualité et bon marché tout en leur imposant des contraintes environnementales de plus en plus drastiques, des exigences sanitaires de plus en plus sévères, souvent plus élevées que celles de nos concurrents ?
C’est le nouveau défi auquel les agriculteurs sont désormais clairement confrontés.

* Histoire de l’agriculture française de 1867 à nos jours de Pierre Le Roy, éditée par la SAF, 8 rue d’Athènes, 75009 Paris




Pierre Le Roy est bien connu de la profession agricole, lui qui a rédigé plusieurs livres sur l’agriculture, dont le "Que sais-je ?" sur l’agriculture française, ainsi que plusieurs ouvrages chez Economica et Armand Colin comme "La faim dans le monde". Ce fils d’agriculteur breton né en 1941 a occupé plusieurs responsabilités. Il a ainsi été membre de cabinets de quatre ministres de l’Agriculture (Jacques Chirac, Jean-François Deniau, Christian Bonnet et Pierre Méhaignerie). Il a aussi été chef du service Agriculture au Commissariat général au Plan ou encore directeur d’Unigrains. Aujourd’hui retraité, il a fondé Globeco et l’Indice du bonheur mondial, l’IBM. Il s’en explique : « Depuis longtemps, je pensais, comme beaucoup d’autres, qu’il fallait aller au-delà du PIB, c’est-à-dire créer un indice plus représentatif de ce qui fait que notre planète et ses habitants vont plus ou moins bien et que certains réussissent mieux que d’autres à utiliser pour le progrès social les résultats de leur croissance économique. Le déclic a été la création par le PNUD de l’indicateur du développement humain (IDH), qui utilisait la méthode des agrégats statistiques. J’ai alors décidé de créer mon propre indice en utilisant la même méthode, en me servant des statistiques du PNUD, mais en choisissant beaucoup plus d’indicateurs ».
Si aujourd’hui Pierre Le Roy est classé par Philosophie Magazine parmi les dix meilleurs spécialistes mondiaux de la mesure du bonheur, il n’en demeure pas moins un des grands spécialistes des marchés mondiaux de l’agriculture et de l’alimentation.