Les Grands rendez-vous techniques de Bourgogne
La tradition bride-t-elle l’innovation ?

Publié par Cédric Michelin
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Au deuxième jour des Grands rendez-vous techniques de Bourgogne, l’Interprofession (BIVB) débattait sur « l’innovation et la viticulture de tradition : un mariage heureux ? ». Opposés par théorie, ces deux concepts se conjuguent et s’appliquent pourtant naturellement sur le terrain. Le vigneron devant sans cesse s’adapter à des environnements changeants. Reste que la profession innove peu. Elle intègre surtout les innovations d’autres secteurs. Si le mariage est heureux, la tradition ne briderait-elle pas quand même l’innovation ? Débat.
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Si depuis les années 1960, la recherche et ses innovations technologiques étaient synonymes de progrès pour l’ensemble de la société, depuis les crises alimentaires et les alertes répétées des écologues et vérifiées des climatologues, certains consommateurs – au contraire d’être rassurés – s’en détournent et recherchent désormais "l’authenticité", plus ou moins réelle, de la tradition. La Bourgogne viticole profite de cet engouement. Mais les changements à venir – climat, exportation, robotique… - promettent de bouleverser ce fragile équilibre ?
Pour celui qui fut pendant 20 ans, le président du BIVB, la Bourgogne a la « chance d’avoir un vignoble possédant une aura exceptionnelle s’appuyant sur sa tradition à travers le monde et commercialement mis en avant résumait Michel Baldassini, qui nuançait dans la foulée : mais cela ne l’a n’a pas empêché d’innover et de s’approprier les dernières techniques ».
Le sociologue à l’Université de Bourgogne, Jean-Jacques Boutaud analysait justement qu’il faut séparer la viti-viniculture de la vision des consommateurs « qui rattachent la culture de la vigne au passé, à la tradition ». L'échec des bouchons synthétiques ou à vis pour des Grands crus de Bourgogne en est un exemple, alors que techniquement la qualité n'était pas altérée.

Innovation n’est pas évolution



Question de vocabulaire mais pas seulement. Pour Jean-Baptiste Thibaut, si « les anciennes innovations sont maintenant devenues la tradition », l’évolution des techniques et pratiques se fait « en permanence ». La récente "montée en gamme" des vins de Bourgogne relève d’avantage d’une amélioration des techniques existantes que d’une « révolution ». « A quoi bon tout bouleverser ? », interrogeait alors Michel Baldassini.
Le champenois (CIVC), Sébastien Debuisson invitait à ne pas trop se reposer sur ses lauriers. La profession viticole française ne consacre que 0,5% de son chiffre d’affaires, contre 3 % en moyenne dans les autres secteurs d’activité. Hors, le monde change et de nouveaux concurrents arrivent chaque jour plus forts, comme en témoignait Sébastien Payen, fondateur de Fruition sciences dans la Nappa Valley aux Etats-Unis. « En France, notre vignoble ancien est déjà optimisé. En Californie, leur vignoble - de 20 ans - innove pour rattraper son retard ».
Pour l’heure, en France, « on ne fait que du transfère de technologies, provenant principalement des grandes cultures », regrettaient les chercheurs.

Règles à double tranchant



Le « carcan de la réglementation » était là aussi en cause. Si les cahiers des charges protègent un certain savoir-faire, il est aussi limitant. « A Auxey-Duresses (21), un vigneron voulait planter à trois mètres d’écartement et enherber. La bataille s’est engagée avec l’INAO. Lui disait pourtant qu’il était le seul à ne pas avoir de la terre artificielle », en évitant ainsi l’érosion. La filière est d’ailleurs toujours divisé sur d’autres sujets, comme pour la sélection variétale avec ou sans OGM, l’application de produits de synthèse ou non, ayant chacun des atouts et inconvénients…

Pilotage agronomique à distance



Finalement, la prochaine innovation pourrait bien venir des technologies "grands publics", type numérique, drones…, certainement plus faciles à médiatiser par la suite. « On va vers l’agronomie couplée aux technologies de l’information et de la communication (TIC) », se réjouit Gilbert Grenier, professeur d’Agrotic justement à l’Université de Montpellier. De la SCA Cave de Buzet, dans le Lot-et-Garonne, Sébastien Labails le prouvait avec son film « décomplexé » – diffusé sur le web et les réseaux sociaux – montrant des hommes et des machines « hyper-précises » faisant des apports d’engrais cep par cep. Images que s’autorise peu la Bourgogne… Peur de choquer sans doute avec une image éloignée « du respect de la terre, presque sacrée » dans son rapport à l’histoire.
« Les étrangers sont intéressés par la tradition mais aussi par l’innovation. C’est plus incompatible pour des français ». Et « l’innovation passe par le regard des autres, l’esthétique et le design des machines, pratiques et performantes », soulignait Jean-Jacques Boutaud. Céréalier également, Jean-Baptiste Thibaut en profitait pour passer un message à ses confrères viticulteurs : « c’est à vous de les demander à vos constructeurs ». Ces derniers étant à l’écoute des problématiques terrains pour gagner des parts de marchés.

Innovation mais pas finalité



Sauf que le marché se divise, se segmente. « On voit un mouvement chez les jeunes, "agro-écolo", qui clairement mélangent solutions techniques et pollution. Hors l’innovation est bien compatible avec la "bio" ». Opposition dogmatique confirmée par des élèves d’AgroSup Dijon. Leur professeur mettait alors l’accent sur « l’innovation organisationnelle » qui peut également être source de ruptures.
« Ce n’est pas la guerre des nouveaux contre les anciens », reprenait Jean-Yves Bizot. « La continuité de la tradition et la discontinuité de l’innovation font un mariage heureux. Mais l’innovation n’est pas seulement la clé de notre filière demain mais bien son avenir. Les verrous technologiques ne pourront être levés que par l’innovation, notamment pour les maladies de la vigne. Et ce, même s’il faut remettre en cause l’existant, comme pour les acaricides en leurs temps », concluait le président de la Commission technique du BIVB.
Des adaptations qui devront se retrouver immanquablement dans des discours commerciaux ciblés. Mais pas que. Les appellations d’origine contrôlées devront, selon lui, elle aussi évoluer en parallèle, et non « tendre à devenir la finalité ». Il faudra donc certainement continuer d’être innovant et traditionnel, progresser en terres inconnues tout en défendant ses bases.