EARL Guigon à La Chapelle-Thècle
Le fruit de trente ans de sélection

A 58 ans, Philippe Guigon récolte les fruits de plus de trente ans de sélection, lui qui a notamment fait naître deux montbéliardes d’élite. Une fierté pour cet éleveur qui, malgré la modestie de son exploitation bressane, a su profiter des progrès de la génétique montbéliarde. Une émulation qui aide aussi à tenir moralement face à la crise…
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A La Chapelle-Thècle, Martine et Philippe Guigon sont à la tête d’une exploitation à dominante laitière de 143 hectares. Âgé de 58 ans, Philippe s’est installé en 1979 sur la ferme familiale. Il y avait alors seulement 18 montbéliardes sur 32 hectares ainsi qu’une vingtaine de truies. Outre les porcs, les parents de Philippe produisaient du lait et des veaux qu’ils vendaient alors au marché de Louhans. Une étable avait été créée en 1971 et une maternité en 1974. Martine rejoignait Philippe sur la ferme en 1980, succédant ainsi à sa belle-mère. Demeurant diversifiée, l’exploitation s’est agrandie au gré des opportunités. Au départ en retraite du père de Philippe en 1989, la famille Guigon a dû choisir entre un développement de l’atelier porcs et une spécialisation dans le lait. C’est la seconde option qui fut retenue. Aujourd’hui, l’exploitation produit environ 468.000 litres de lait et compte 90 hectares de cultures. Le maïs couvre une quarantaine d’hectares : 20 ha pour l’ensilage ; 5 ha pour du maïs grain humide ; 15 ha pour la vente. 20 hectares sont consacrés au blé ; 15 à de l’orge en partie autoconsommé et 15 au colza.
S’il aimait bien la production porcine, Philippe Guigon s’est néanmoins pris de passion pour son troupeau montbéliard. Et c’est une opportunité professionnelle qui va catalyser cela lorsque le jeune éleveur se retrouve propulsé administrateur de la coopérative d’insémination de Verdun-sur-le-Doubs à seulement 21 ans. Une responsabilité qui lui est "tombée dessus" suite à un concours de circonstances, mais qui finalement lui a ouvert la voie de la génétique, reconnaît-il avec recul. Au sein de la coop d’IA, Philippe s’est immergé dans le schéma de sélection des taureaux d’insémination Umotest. Il est d’ailleurs devenu délégué à la commission de tri du schéma de sélection. Un univers qui a forcément eu un impact sur la conduite de son cheptel, lequel, du temps de ses parents, recourait encore à des taureaux de monte naturelle…

Des embryons dégotés dans le 63


Parmi les évènements fondateurs du troupeau de Philippe, il y a cette jeune génisse achetée à un éleveur côtoyé dans le cadre de sa mission à la coopérative. Devenue mère à taureaux (elle a donné un fils de Boilevin dénommé Ingénu), cette femelle baptisée Dorothée a même participé à un concours avant que Philippe ne se lance, avec elle, dans ses toutes premières transplantations embryonnaires.
L’autre tournant s’est produit lorsque Gilles Mervant, le technicien montbéliard de l’époque, lui a suggéré d’acheter des embryons dans un élevage du Puy-de-Dôme. L’un d’eux a donné Rikita, elle-même mère du taureau Ugostar, fils de Micmac, « l’un des taureaux les plus laitiers d’Umotest », commente Philippe. Par transplantation embryonnaire, Rikita a aussi donné Ursula. « Sa fille Elodie a été sammée (1) à + 1.000 kg en lait », fait valoir l’éleveur. Une souche très laitière que Philippe a finalement croisée avec un taureau d’une autre unité de sélection montbéliarde, Jura Bétail (JB). De cet accouplement entre Guenaëlle (Umotest) - sammée elle aussi à plus de 1.000 kg en lait - et Harpon JB sont finalement nées deux génisses exceptionnelles : Laïla et Laïka.

Laïka, 170 en ISU !


« Avec un ISU de 170, Laïka est la première au classement sur cet index au sein du schéma Jura Bétail », annonce fièrement l’éleveur bressan. Quant à sa sœur, indexée à 158, elle a été achetée à seulement 7 mois d’âge par un GIE d’éleveurs de l’Ain qui s’en sont portés acquéreurs pour 3.700 €. Ces deux génisses d’élite sont une véritable fierté pour la famille Guigon. D’ailleurs, ils reçoivent régulièrement des demandes d’éleveurs - surtout des producteurs de lait à comté du Jura et du Doubs - désireux d’acquérir Laïka. « On m’en propose jusqu’à 5.000 € ! », confie Philippe qui, malgré cette proposition alléchante, préfère encore conserver sa génisse. A 58 ans, l’éleveur bressan sait garder la tête froide. « En trente ans de transplantation embryonnaire, je n’ai vendu que 5 ou 6 génisses élites dont la plus chère pour 4.000 €. Ce n’est pas ça qui fait vivre l’exploitation ! », relativise Philippe. En revanche, cette « passion » qui pousse à toujours « tenter de franchir un échelon supplémentaire » forge « cette motivation à laquelle on se rattache, même en conjoncture difficile », explique-t-il.

Investir dans une vache économe…


Grâce à l’amélioration génétique de son troupeau, la moyenne de production par vache est allée jusqu’à 9.000 litres, se souvient Philippe. Mais devant les frais engendrés par cette conduite productiviste, l’élevage préfère se limiter aujourd’hui à 8.300 - 8.400 litres par vache. « On consomme moins d’aliments qu’avant », confie l’éleveur qui signale aussi moins de frais vétérinaires. C’est d’ailleurs ce qu’il recherche en sélectionnant ses animaux : « avoir avant tout des vaches fonctionnelles qui génèrent peu de frais. Et pas forcément des vaches de concours », justifie-t-il. Mais pas question de baisser la garde sur la génétique. Lui qui forme deux apprentis sur son exploitation continue de promouvoir sans relâche l’insémination avec des taureaux montbéliards dotés de références. Qu’ils soient d’Umotest (d’où provient toute sa souche fondatrice) ou de Jura Bétail (qui lui a permis de faire procréer ses deux meilleures vaches). Car « c'est d'avoir travaillé avec les deux unités de sélection qui m'a permis d'avancer plus vite », constate Philippe Guigon. Ce dernier estime aussi que ce n’est pas sur l’investissement génétique qu’il faut chercher à faire des économies. « Lorsqu’on cherche à acquérir une génisse haut de gamme, il faut accepter d’y mettre le prix », conclut-il, preuve à l’appui.

(1) La SAM est la sélection assistée par marqueur utilisée en sélection génomique.



Crise laitière
Sensation de ne pas être entendu…


L’exploitation de La Chapelle-Thècle n’échappe pas à la crise laitière qui sévit. Avec une paye de lait inférieure de 100 € à celle de l’an dernier et qui est même descendue jusqu’à 60 € les 1.000 litres suite à un dépassement de quota en mars dernier, Philippe Guigon avoue se sentir parfois très démoralisé à l’aube d’une retraite bien méritée... Une situation intenable qu’il aurait aimé, au même titre que ses bruyants collègues bretons, faire davantage entendre à sa coopérative. D’un groupe coopératif national d’envergure mondiale, on pourrait être en droit d’attendre plus de considération pour ses livreurs et surtout « une meilleure gestion des volumes », se désole l’éleveur bressan.