Tendances de consommation
Le peu d’effet des scandales

Pour l’économiste Pierre Combris et le sociologue Jean-Pierre Corbeau, les récents scandales de maltraitance dans les abattoirs ne devraient avoir qu’un effet à court terme sur la consommation de viande rouge et ne devraient pas accélérer la lente baisse observée depuis les années 1980.
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Interviewés séparément, l’économiste Pierre Combris, directeur de recherche à l’Inra au sein de l’unité alimentation et sciences sociales, et le sociologue Jean-Pierre Corbeau, professeur de sociologie de la consommation et de l’alimentation à l’Université de Tours, partagent une même référence pour analyser les conséquences des récents scandales de maltraitance : la crise de l’ESB. Et tous deux estiment que ces crises ponctuelles (scandale sanitaire, environnemental…) ne changent pas les tendances observées sur le temps long.
« En 1996, nous pensions tous que la crise de la vache folle accélérerait la baisse de la consommation que l’on observait depuis 1981 », explique Pierre Combris. « Mais ce que l’on a finalement observé, c’est une consommation qui a chuté brutalement et qui a retrouvé rapidement sa tendance d’avant la crise ». Pour Jean-Pierre Corbeau, « comme lors de la crise de la vache folle, il y a aura une crise de la consommation et un déplacement vers des produits de qualité, vers le bio », mais probablement pas d’accélération de la baisse des volumes totaux.
Pour le sociologue, les fondements de la consommation de viande rouge restent solides : « les habitudes sont fortes. Certes, une partie de la population se végétalise de plus en plus, mais elle garde des habitudes de consommation de viande, notamment au restaurant. Il faut remarquer, par exemple, comment les burgers gastronomiques ou terroirs cartonnent actuellement. D’autres catégories sociales modestes sont encore dans la revanche sociale en accédant à la viande ».

Un aliment comme un autre


La consommation de viande de bœuf subit une lente érosion depuis 1981, rappelle Pierre Combris pour qui cette baisse est apparue avec les premières recommandations nutritionnelles défavorables à la viande, liées au cholestérol. Depuis, les événements médiatiques se succèdent, tous en défaveur de la viande : environnement, ESB, cancer et aujourd’hui maltraitances… « Comme il n’y a jamais d’information contraire, il y a un effet d’accumulation. Tout va dans le même sens », constate l’économiste. À ce titre, le scandale des abattoirs, aussi choquant qu’il soit, devrait s’ajouter à une longue liste d’événements, qui seuls n’auraient pas d’effets à long terme, mais dont l’addition alimente une tendance baissière. « Ces événements, ces images traumatiques, vont rajouter une couche à un problème de fond, qui existe depuis plusieurs décennies, celui d’un rapport à l’animal qui se modifie lentement vers l’anthropomorphisation », explique Jean-Pierre Corbeau. « Et l’impact des images cruelles est d’autant plus "réceptible" que l’élevage et l’abattage ne sont plus présents en ville ».
Peu à peu, la viande finit par ne plus jouer le rôle central qu’elle jouait dans les années 60-70 et tend à devenir « un aliment comme un autre », analyse Pierre Combris. Outre la baisse de la consommation médiane, ce phénomène se traduit notamment par le développement de comportements végétariens chez certains Français : « on dispose de peu de données quantitatives sur ces comportements, mais ils restent peu nombreux, quelques pourcents », estime l’économiste. « En revanche, ce que l’on observe ces dernières années, c’est un approfondissement des convictions des végétariens, qui deviennent véganes, et s’interdisent désormais toute nourriture d’origine animale ».

Le vin, l’avenir de la viande


Alors quel avenir pour la viande à long terme, dans plusieurs dizaines d’années ? Les deux scientifiques ne parient pas sur une disparition, ni même sur une marginalisation de la consommation de viande.
« Je vois plutôt la consommation de viande revenir à des niveaux qui existaient il y a plusieurs dizaines d’années », estime Pierre Combris. « Je pense que nous aurons un régime plus proche du régime méditerranéen, où certains repas pourraient être uniquement composés de céréales et de légumes ». Jean-Pierre Corbeau rappelle, lui, que si nous mangeons aujourd’hui moins de viande qu’à la Libération, nous en mangeons toujours plus qu’aux XVIIe et XVIIIe siècles.
Et tous deux comparent l’évolution future de la consommation de viande rouge à celle du vin, ces cinquante dernières années. « Depuis les années 1950, la consommation de vin a baissé de moitié en France, aujourd’hui tout le monde s’est reconverti, et l’on fait de la qualité, analyse l’économiste. Une baisse de la consommation ne condamne pas une filière à la misère ». Jean-Pierre Corbeau remarque que « dans les années 2000, si on prolongeait les courbes, nous étions sur un scénario où plus un seul Français ne boirait de vin en 2010… Et on en est loin ! ».