Traité transatlantique
Ne pas sacrifier notre élevage !

Publié par Cédric Michelin
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Le 10 juin, un débat était organisé au Sénat sur l’avancée des négociations du traité transatlantique. A cette occasion, Jean-Paul Emorine, sénateur de Saône-et-Loire, a mis en garde sur les risques encourus pour notre élevage européen et français tout particulièrement, notamment allaitant. Retour.
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« Toute négociation commerciale comporte autant d’opportunités que de risques. Ce constat est particulièrement vrai pour le secteur agricole et agroalimentaire de notre pays. La France dispose en effet d’atouts indéniables à faire valoir sur les marchés mondiaux qui sont liés à la qualité, à la grande réputation et à la diversification de ses produits », rappelait d’emblée Jean-Paul Emorine lors de la séance du 10 juin, consacrée à l’état d’avancement des négociations du traité transatlantique. Alors, si « certaines de nos filières sont donc clairement à l’offensive dans cette négociation qui leur offre de réelles perspectives de développement », il n’en va pas de même pour d’autres, lesquels, « bien que reconnues pour l’excellence de leur production, sont structurellement beaucoup plus vulnérables à la libéralisation des échanges avec les Etats-Unis. Je pense tout particulièrement à la filière bovine française ».

Des risques réels



« Notre pays est le premier producteur agricole d’Europe, et notamment le premier producteur de viande bovine. Il est donc inévitablement celui qui subira le plus fortement l’impact potentiel de cet accord », met en garde avec justesse Jean-Paul Emorine. Or, les évolutions récentes de la politique commerciale européenne ont déjà contribué à fragiliser la filière française et européenne… Et le sénateur de Saône-et-Loire de rappeler qu’« en 2012, l’Europe, les Etats-Unis et le Canada ont trouvé un accord sur la question du bœuf aux hormones prévoyant l’importation à droits nuls de près de 50.000 tonnes de viande bovine nord-américaine sans hormones ». Plus récemment, « dans le cadre du traité récemment conclu avec le Canada, qui doit encore être soumis à la ratification, ce seront désormais 65.000 tonnes supplémentaires de viande canadienne qui pourront entrer sur le marché européen sans droits de douane ».

Alarme rouge !



Aujourd’hui, « les Etats-Unis pourraient prendre cet accord pour base de négociation pour exiger un contingent similaire, mais en proportion de leur production et de leur capacité exportatrice, très largement supérieure à celle du Canada. Cela pourrait représenter de 250.000 à 300.000 tonnes supplémentaires importées chaque année sans protection tarifaire », s’alarme Jean-Paul Emorine. « De telles quantités conduiraient inévitablement à une déstabilisation profonde de la filière bovine française, principalement en raison des normes de production appliquées outre-Atlantique ».
Et de poursuivre : « s’il est absolument clair que nous ne transigerons pas plus aujourd’hui que nous ne l’avons fait hier sur la question du bœuf aux hormones, ni d’ailleurs sur celle du poulet chloré, ou d’autres préférences collectives en matière sanitaire, des différentiels de compétitivité fondamentaux demeureront demain entre l’élevage américain et l’élevage français. Je pense particulièrement aux parcs d’engraissement américains géants où des milliers, voire des dizaines de milliers d’animaux, d’ailleurs de plus en plus souvent importés, sont nourris au soja ou au maïs OGM, mais sans herbe. Les farines animales, les antibiotiques et bien sûr les hormones de croissance font également partie de leur ration alimentaire quotidienne. Les normes que nous imposons à nos éleveurs en matière environnementale, de bien-être animal ou de traçabilité n’y ont évidemment pas cours ».

La réciprocité des exigences



Comme le rappelle Jean-Paul Emorine, la production française, axée autour d’élevages à l’herbe infiniment plus petits et de méthodes de production radicalement différentes, ne sera jamais en mesure de rivaliser avec les coûts de production des structures américaines.
« Au-delà de l’abaissement des droits de douane, la négociation en cours avec les Etats-Unis doit conduire à l’élaboration de règles communes facilitant l’exportation d’un continent à l’autre. Dans cette entreprise, un concept particulièrement simple doit guider les négociateurs européens : celui de la réciprocité, qui devra s’appliquer à toutes les exigences imposées aujourd’hui à la conduite des exploitations européennes. Certaines des caractéristiques du modèle européen pourront être imposées aux producteurs américains désireux d’exporter vers l’Europe. Mais il semble illusoire de penser qu’il sera intégralement transposé. Une reconnaissance mutuelle des normes s’appliquera certainement à des degrés divers selon les sujets traités ».

La clause de sauvegarde



Dans ces conditions, il apparaît vital que « la filière bovine soit inscrite sur la liste des productions bénéficiant de clauses de sauvegarde ». Et Jean-Paul Emorine d’interpeller le gouvernement pour savoir si des échanges d’offres ont déjà eu lieu et si cette position est aujourd’hui endossée par les négociateurs européens. « Il en va de la pérennité de l’élevage français, et de toute la filière qui en dépend, qui luttent aujourd’hui pour dégager des revenus décents et s’adapter au mieux aux évolutions du marché. A l’heure où nos préoccupations vont à l’emploi et à l’équilibre territorial, cette question dépasse largement la notion d’enjeu sectoriel. Il s’agit avant tout de préserver une certaine conception de la production alimentaire et de l’aménagement du territoire ».
Et, parfaitement en phase avec les positions portées et défendues par la profession, l’ancien exploitant de rappeler que l’élevage français et l’ensemble de la filière « génèrent des centaines de milliers d’emplois, notamment dans des espaces ruraux difficiles, souvent classés en zone défavorisée et menacés de désertification. Ils contribuent à l’approvisionnement alimentaire, à la vitalité rurale, au maintien des paysages, à la production d’énergie ou encore à la réalisation de certains objectifs environnementaux. Ils constituent surtout une part de l’identité collective française qu’il serait dramatique de voir s’effacer lentement, simplement pour servir de monnaie d’échange commerciale ».