Agriculture territoriale
L’exception française pleine d’atouts

Lors de l'assemblée générale de la FDSEA, c’est une agriculture départementale à la croisée des chemins qui s’est dévoilée. Riche de sa diversité et de ses spécificités locales, elle est en mesure de relever le double défi d’un approvisionnement local en circuits courts tout en assumant une mission exportatrice salutaire. Explications.
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Après une mâtinée en huis-clos consacrée aux travaux statutaires et au compte-rendu d’activité, l’assemblée générale de la FDSEA se prolongeait l’après-midi par une riche table ronde où de nombreuses personnalités sont venues débattre sur la place de l’agriculture dans un contexte inédit et changeant. En présence, notamment, de l’ancien président de la FAO, Luc Guyau, du député européen Arnaud Danjean, du conseiller régional Jérôme Durain, du représentant le de la FNSEA Dominique Fayel, la question des missions de l’agriculture territoriale a été posée. Que ce soit vis-à-vis du marché mondial, de l’Europe, des consommateurs, des territoires… Car, comme l’ont rappelé à dessein les différents intervenants, l’avenir de l’agriculture saône-et-loirienne ne peut se résumer aux seuls circuits courts. En effet - et c’est l’un des enseignements de cette table ronde instructive -, « nous ne devons pas oublier la mission exportatrice de l’agriculture avec la richesse de ses produits de qualité », rappelait Bernard Lacour. « Pour nourrir 7 milliards d’habitants sur Terre, nous avons besoin de toutes les agricultures : de proximité et exportatrice », confirmait ainsi Luc Guyau. « En 50 ans, l’agriculture productiviste a permis de nourrir 5 milliards d’habitants de plus ! », poursuivait l’ancien président de la FAO, évoquant les quelques 10 milliards d’individus à venir et rappelant que l’accès à la nourriture est aussi garant de la paix dans le monde. Pour nourrir la planète, il y aura donc besoin de toutes les agricultures sur tous les territoires. D’autant que les pays de l’Union européenne sont particulièrement bien placés pour produire : absence de guerre et de catastrophe naturelle ; des productions de qualité et une sécurité sanitaire la plus élevée au monde, argumentait Luc Guyau. Des réalités géo-économiques qui militent pour une volonté exportatrice d’un pays comme la France, démontrait-il.

Exception française


Mais la France n’est pas un vulgaire pays exportateur "à l’américaine". Sa capacité à exporter lui vient avant tout d’une richesse territoriale et d’une diversité de productions incomparable. Une spécificité qualitative et autant d’atouts que Bruxelles a bien du mal à comprendre, reconnaissait le député européen Arnaud Danjean. Du coup, « ce qui se décide au Parlement européen ne tient pas suffisamment compte de ces atouts stratégiques qu’a la France. D’où une position toujours trop en défensif de notre pays. D’autant que nous sommes pris de vitesse par les lobbyistes environnementalistes, anti-viande, libre-échangistes… », poursuivait le député. « Pour être offensif et parvenir à prouver que cette diversité est performante, il faut arriver à fédérer d’autres pays. Car on ne peut pas gagner tout seul », concluait Arnaud Danjean.

Entre marché mondial et citoyen exigeant


Prenant l’exemple de la filière viticole illustrée par le témoignage vidéo de Jean-Michel Aubinel, président de la CAVB, les intervenants s’accordaient aussi sur la nécessité de mieux s’organiser, tant pour relever le défi de l’export que celui des marchés de proximité. Et là réside toute la dualité dont doit faire preuve l’agriculture départementale avec, d’un côté, la réponse à un marché mondial et de l’autre la satisfaction d’un consommateur-citoyen de plus en plus exigeant. Des consommateurs qui dans leur exigence avouent cependant leur sympathie pour les agriculteurs français, producteurs locaux, illustrait un sondage réalisé sur un parking d’une grande surface mâconnaise.

Grande distribution


Une manière aussi d’introduire le fait que « la grande majorité de la consommation passe par la grande distribution », rappelait Luc Guyau. Un diktat redoutable de la grande distribution que l’ancien président de la FNSEA combattait déjà de son temps et qui ne s’est pas arrangé avec le temps, alors qu’aujourd’hui, six des dix plus grandes fortunes de France sont de la grande distribution, indiquait-il. Avec la restauration et la restauration hors foyer, les GMS constituent malgré tout des débouchés à travailler. La profession s’en occupe avec, par exemple, la démarche "Cœur de gamme" dans la viande charolaise ou encore « le fleurissement encourageant de relations contractuelles avec de grandes enseignes », se félicitait Christian Decerle. Et il y a des signaux qui ne trompent pas. Si le courant de sympathie a été brisé avec la première crise de la vache folle, rappelait le président de la chambre d’agriculture, « la société aspire aujourd’hui à renouer des relations. Investissons dans une politique de communication dynamique. Les agriculteurs sont les mieux placés pour parler de leur métier », plaidait-il.

Espoir…


Dans ce domaine, des agriculteurs prennent des initiatives en Saône-et-Loire, à l’image de la Fête de la ruralité organisée à Louhans en 2016 et que présentait Frédéric Bernard dans une vidéo. Et, là, les circuits courts ont leur partition à jouer. Car au-delà de la plus-value indiscutable qu’ils procurent, « ils sont un moyen de réconciliation entre les agriculteurs et la société », argumentait Bernard Lacour. C’est aussi un pan d’une économie locale vitale pour l’avenir des territoires ruraux. Car comme le rappelait le président de la FDSEA, « la défense des agriculteurs ne suffit plus aujourd’hui. Il faut défendre aussi notre agriculture ainsi que nos territoires ruraux ».

Sauver les territoires ruraux


C’est avec cette conviction chevillée au corps que le réseau syndical a accueilli la réforme territoriale dite loi NOTRe. « Un changement d’échelle pas contraire aux intérêts des agriculteurs », commentait le conseiller régional Jérôme Durain. Néanmoins, alors que « tout est ramené au nombre d’habitants et au nombre d’électeurs, les territoires ruraux sont bel et bien sous-représentés aujourd’hui », déplorait Dominique Fayel de la FNSEA. L’éleveur aveyronnais évoquait - en connaissance de cause - la disparition des services, des emplois, le vieillissement… Bref, le « cercle vicieux du dé-développement », alertait-il. Dans la réforme territoriale, les régions ont hérité d’une position stratégique d’orientation de l’agriculture avec le second pilier. « Il faut qu’on s’organise très vite pour être opérationnel avec ces nouvelles régions », plaidait-il.
« Pour la Région, l’agriculture est essentielle », assurait Jérôme Durain qui estime que dans la mondialisation, les atouts commerciaux de notre région sont ses espaces naturels remarquables, ses produits de qualité… « Une agriculture partie prenante d’une identité rurale, zone qualitative », argumentait le conseiller régional.
A la FDSEA de Saône-et-Loire, le choix a été fait de bâtir des liens avec les territoires ruraux. Un travail est, par exemple, engagé avec les deux associations de maires, indiquait Bernard Lacour. La FDSEA se mobilise pour la RCEA, la sauvegarde d’Ugine, le projet de Center Parcs, énumérait-il. Et c’est aussi dans ce sens que le syndicat a fait évoluer son réseau pour coller au nouveau découpage territorial. « La loi NOTRe sera ce que nous serons capables d’en faire », concluait optimiste Luc Guyau. Avec la Vendée, la Saône-et-Loire est l’un des tous premiers départements où la profession a pris les devants pour s’inscrire dans cette nouvelle territorialité.



CETA
Une distorsion de concurrence redoutée


En matière d’échanges commerciaux, le CETA a de quoi inquiéter les éleveurs de Saône-et-Loire. Des distorsions de concurrences sont à craindre si le traité aboutit à l’importation sur le territoire de viande bovine nord américaine. On peut en effet redouter que les contrôles appliqués à ces viandes issues de pays adeptes des hormones ne bénéficient pas des mêmes contrôles tatillons que les viandes françaises, s’agacent les éleveurs. « Les politiques auront-ils le courage de mettre les mêmes moyens pour surveiller ces produits issus du CETA », interrogeait Bernard Lacour. La réponse est évidemment « Non », déplorait-il. Sur cette délicate question, le député européen Arnaud Danjean justifiait son abstention lors du vote au Parlement européen par le fait qu’une majorité d’agriculteurs français sont en fait favorables à ce traité transatlantique. En clair, le CETA ne pose problème quasiment que pour la viande bovine... Une spécificité qui aurait justifié de sortir l’agriculture du traité, estimait le président des JA, Jérémy Decerle. « Pour ne plus avoir à échanger des avions de chasse contre des kilos de viande », poursuivait le président national des jeunes, militant pour une exception agricole au même titre que l’exception culturelle française.