Elevage
« Passer à un modèle qualitatif »

Publié par Cédric Michelin
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Auteur, conférencier et consultant, Bruno Parmentier établit un parallèle entre la crise de l'élevage et celle de la viticulture au siècle dernier. La seule issue consiste, d'après lui, à passer d'un modèle quantitatif à un modèle qualitatif. Face à une Pac qu'il juge en plein démantèlement, l'économiste pense nécessaire de s'interroger sur le maintien de la France dans l'Union européenne. Mais la solution du repli sur soi lui paraît suicidaire.
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Comment expliquer la crise de l'élevage ?
Bruno Parmentier : Le déclencheur, c'est qu'il y a une crise de surproduction. Notamment dans le cochon, le phénomène est double. D'une part, les Français, les Européens commencent à manger moins de viande. L'Union Européenne est en pleine transition alimentaire : les classes populaires ont voulu, après la guerre, manger de la viande parce que ça faisait riche, maintenant, les riches (européens, NDLR) commencent à en manger moins parce que c'est mauvais pour la santé, pour la planète. On va vers une baisse notable de la consommation de viande dans les vingt ans qui viennent. D'autre part, la situation est aggravée par la fermeture du marché russe. Cela provoque une baisse des cours, à hauteur des coûts de production en Allemagne et en Espagne, où les éleveurs ne gagnent plus rien. Quand en France, avec une productivité inférieure, ces derniers perdent de l'argent. La crise est structurelle. Dans les dix ou vingt ans qui viennent, la planète va manquer de céréales, lesquelles vont rester assez chères. Pour les cours de la viande, du lait, des œufs, ça risque d'être compliqué. Ce qui est assez fou, c'est que l'Union Européenne continue de subventionner les céréales plutôt que l'élevage.

Quelles solutions voyez-vous pour les éleveurs ?
B.P. : Un changement très important reste à mener en élevage, semblable à celui de la viticulture dans les années 50-70. Après d'importantes manifestations de producteurs de vin à l'époque, la réaction a été de se dire : s'il faut moins de vin, ce sera uniquement du bon et du cher. Les éleveurs doivent avoir conscience que dans vingt ou trente ans, on mangera probablement 20 % ou 30 % de viande et de lait en moins. Et se rappeler la crise avicole : le produit qui se casse la figure, c'est le poulet sans aucun goût, issu d'élevages industriels. L'Union Européenne a arrêté de le subventionner, laissons-le au Brésil. À Loué, ou dans la Bresse, les Landes, ça baigne. Les Français ont compris qu'il y a poulet et poulet. Il faut passer d'une industrie de la quantité à une industrie de la qualité. C'est très douloureux et compliqué, mais c'est la seule issue. Quand le poulet, le porc est vraiment industriel, ce n'est plus de l'agriculture. Et dans l'industrie, les Allemands ont toujours été meilleurs que nous. Elle est mieux acceptée outre-Rhin, où les fermes de 1.000 vaches, de 1.000 truies, ça paraît normal. Les charges sociales y sont moins élevées. La filière est aussi mieux organisée.

La résolution de la crise doit-elle venir de la France ou de l'Europe ?
B.P. : Cette crise est européenne. Elle vient du fait qu'on produit trop et que les Allemands, les Espagnols ont des prix inférieurs aux nôtres. La solution du repli sur soi serait de la folie. La France est un pays profondément agricole, qui a absolument besoin de l'Europe, ayant des exportations supérieures aux importations. Donc, fermer les frontières serait de la folie. Le problème, c'est qu'on est dans une Europe à 28 où les gens portés sur l'alimentation sont minoritaires, concentrés dans les pays du Sud. Pour un Allemand, un Hollandais, la qualité essentielle d'une tranche de jambon est d'être pas chère, carrée. Les Européens veulent démanteler la Pac, que le marché fournisse de l'alimentation pas chère. Nous, on la veut tracée, bio, locale… En toute logique, deux types d'interventions seraient à conduire. Soit on régule les quantités, comme ç'a été fait dans le lait pendant trente ans. Mais vu que les quotas ont été supprimés, on ne va pas en mettre pour le cochon. Soit à l'instar des céréales pendant des dizaines d'années, on instaure un prix plancher, en subventionnant quand le prix est inférieur au coût de production. Problème, si une aide porcine est accordée en France, les éleveurs en Allemagne ou en Espagne vont crier à la distorsion de concurrence. Donc, à partir du moment où le consommateur veut du produit banalisé, le moins cher possible, c'est la concurrence sauvage et industrielle et la France cède du terrain. On perd notre industrie du cochon et du poulet. Ce qui va nous rester, c'est le bon produit label. Et à partir du moment où l'Europe démantèle la Pac, il faut se demander si nous on y reste. Ou essayer de convaincre nos amis européens qu'il est très dangereux de perdre son indépendance alimentaire.