Foncier agricole
La financiarisation préoccupe les Safer

Publié par Cédric Michelin
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Lors du congrès des Safer à Dijon (Côte-d'Or) le 27 novembre, beaucoup de discussions ont tourné autour de la financiarisation de l'agriculture. Le Gouvernement a également réaffirmé sa confiance dans les Safer.
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Dans les campagnes, les nouveaux investisseurs non issus du milieu agricole font peur. D'autant plus que les exploitations familiales sont de moins en moins nombreuses. « En 20 ans, les sociétés civiles immobilières et les sociétés d'exploitation agricoles ont triplé leurs acquisitions de foncier agricole », a annoncé Robert Levesque, directeur de Terres d'Europe-Scafr lors du congrès des Safer à Dijon le 27 novembre. Dans le même temps, les agriculteurs ont réduit leurs acquisitions de 20 %. La prise de capitaux dans une société devient courante dans le cadre d'une installation ou de l'agrandissement d'une exploitation. « La forme sociétaire entraîne la financiarisation de la propriété agricole », insiste Robert Levesque qui préconise une politique d'encadrement des marchés, des terres, des baux et des parts sociales.

Par ailleurs, la pression urbaine sur le foncier agricole reste soutenue. Si les villes continuent de croître, « le potentiel agricole français diminuera de 7 à 8% d'ici à 2050 », souligne Robert Levesque. Mis en danger il y a quelques années, les Safer ont retrouvé leur plein droit grâce à la loi d'avenir votée en septembre dernier. « Le rôle des Safer est historique, le prix des terres est moins cher en France que partout en Europe, sauf pour la Pologne », insiste Dominique Chambrette, vice-président des producteurs de blé (AGPB). Le conseiller technique de Stéphane Le Foll, Luc Maurer, appuie dans ce sens : « Nous devons éviter les agrandissements excessifs et nous avons à l'idée que le modèle français peut perdurer. » Il rappelle que les Safer ont obtenu le droit de préemption sur la totalité des parts et que désormais « la question se pose » pour la préemption sur seulement une partie des parts de société. Dans ce sens, Emmanuel Hyest [WEB](voir interview ci-dessous)[/WEB] souhaite que la préemption soit accordée à 50 % des parts de société. De plus, la préemption sur l'usufruit et la nue-propriété est devenue possible grâce à la nouvelle loi. « On a également élargi le droit d'information des Safer et la mise en place de sanctions », continue Luc Maurer.

En contrepartie, le ministère de l'Agriculture veut plus d'informations de la part des Safer pour exercer son contrôle des structures. À savoir : la transparence sur la consommation et le prix des terres agricoles ainsi qu'une meilleure connaissance des mouvements sur les parts sociales. Luc Maurer rappelle que tout ce qui a été voté dans la loi « s'applique immédiatement » sauf ce qui est défini par décret, prévu pour fin mars 2015. En outre, la régionalisation des Safer pourra se faire jusqu'au premier semestre 2019. Cette demande avait été formulée assez fortement par la Fédération des Safer il y a quelques semaines. Au final, les deux parties, Etat et Safer, semblent y trouver leur compte. « Nous vous avons fait confiance en vous donnant des missions supplémentaires. Merci ! » conclut le conseiller technique de Stéphane Le Foll.




Un pacte d'avenir bientôt signé



Le ministre de l'Agriculture a annoncé la signature d'un pacte d'avenir entre le gouvernement et la Fédération nationale des Safer « dans les semaines à venir ». L'objectif de ce « Pac » est de préciser les relations et reconnaître la confiance entre Etat et Safer, a précisé Luc Maurer, le conseiller technique de Stéphane Le Foll au congrès des Safer à Dijon le 27 novembre. Un colloque sur « la grande question du foncier en agriculture » sera également organisé d'ici l'été 2015.





Les SAFER très présentes dans le maraîchage et l'horticulture



« Les Safer interviennent tout particulièrement dans les filières maraîchères et horticoles. Ce sont souvent des installations innovantes, y compris hors cadre familial », a déclaré la directrice de la Fédération nationale des Safer lors du congrès annuel à Dijon, le 27 novembre. De plus, 6 % des surfaces rétrocédées par les Safer sont en agriculture biologique. « Un chiffre conséquent » pour 2013.

Quant aux prix des terres et des prés, ils sont en augmentation de 6,2% (chiffres déjà parus en mai 2014) pour atteindre 5.750 €/ha. Mais la disparité est grande entre les régions avec des terres qui se négocient par exemple autour de 13.000 €/ha en PACA et en Corse. Les terres et prés loués sont en hausse de 4,3 % soit 4.240 €/ha. Le rendement locatif brut moyen est de 3,2%. " C'est un taux supérieur au livret A" fait remarquer Robert Levesque de Terres d'Europe-Scafr.


« La financiarisation de l'agriculture reste un vrai risque »



Le congrès de la Fédération nationale des Safer s'est déroulée le 27 novembre à Dijon (Bourgogne) sur le thème des filières. Le président, Emmanuel Hyest, revient sur les dernières avancées de la loi d'avenir mais demande tout de même au ministre de l'Agriculture l'autorisation d'intervenir sur les transferts de parts sociales dès 50 %.

Etes-vous satisfait de la loi d'avenir votée en septembre ?
Emmanuel Hyest :
Depuis de nombreuses années, il n'y avait pas eu dans une loi agricole de partie foncière importante. Aujourd'hui, la protection du foncier agricole est devenue un vrai enjeu économique. On a obtenu la possibilité pour les Safer de préempter si 100 % des parts sociales étaient vendues. C'est le moyen de réguler mais cela reste une toute petite partie de notre intervention. Je le rappelle : le droit de préemption ne concerne que 10 % des activités des Safer, on intervient à 90 % à l'amiable.

Vous demandez tout de même une intervention plus conséquente sur les transferts de foncier via les parts sociales ?
E.H. : On espère un jour pouvoir intervenir à partir de 50 % de transfert des parts sociales. C'est une demande que nous allons formuler au ministre de l'Agriculture lors de notre congrès. Aujourd'hui, pour passer à travers la loi, il suffit de vendre 99 % de ses parts. Nous avons convenu avec le législateur de faire un rapport d'étape d'ici deux ans concernant le transfert de foncier via les parts sociales. Nous pressentons que le marché de transfert de parts sociales est réellement important, il est en train de modifier complètement le visage de la propriété agricole.

A ce jour, on parle beaucoup des fermes des 1000 vaches, des 1000 truies, etc. Est-ce un phénomène dû à la non-transparence du marché ?
E.H. : La financiarisation de l'agriculture reste un vrai risque. La vraie question c'est de savoir qui sont derrière ces exploitations. Les grosses fermes existent depuis longtemps, certaines sont de la même taille que la ferme des 1000 vaches mais restent des structures familiales… Aujourd'hui, on fait face à des holdings : de grosses exploitations sans agriculteurs. Si on avait maîtrisé les transferts de parts sociales, la financiarisation n'aurait pas eu lieu et cela aurait permis qu'il y ait un meilleur équilibre par rapport à l'exploitation des terres.

Vous avez quand même obtenu dans la loi d'avenir une meilleure transparence du marché foncier ?
E.H. : Lors du début des Safer, dans les années 60, il y avait une totale transparence des marchés. Un acquis perdu à cause de la mise en place de pratiques pour déroger à la transparence, notamment pour tout ce qui concerne la vente en démembrement de propriété ou la vente sous forme de parts sociales. Désormais il y a une obligation d'information des Safer sur tous les transferts de parts sociales avec une amende significative si les gens ne respectent pas cet engagement. L'information transite par les notaires ou par le cédant des parts.

Le contrôle des structures (service déconcentré de l'Etat) et les Safer travaillent-t-elle ensemble sur le terrain ?
E.H. :
Ce sont souvent les mêmes personnes qui siègent dans les deux instances. La seule différence c'est que, dans les Safer, on attribue des terres avec un enjeu financier d'acquisition du foncier alors qu'en commission des structures, on donne l'autorisation d'exploiter. Les Safer n'attribuent pas forcément les terres aux agriculteurs, 20 % d'entre elles le sont à des apporteurs de capitaux : souvent des propriétaires privés qui font un bail à un jeune agriculteur ou à un fermier en place.