Entretiens du Beaujolais
La teneur en oxygène influe sur le vin

Publié par Cédric Michelin
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Une étude nationale animée par l’Institut français de la vigne et du vin a confirmé l’influence de l’enrichissement en oxygène sur le vin au cours de sa conservation.
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L’oxygène intervient lors des différentes étapes de la production du vin, en jouant un rôle bénéfique. Il contribue par exemple au bon développement des levures pendant la fermentation alcoolique ou au développement de la complexité du vin pendant l’élevage. En revanche, l’oxygène a des conséquences nuisibles au bon équilibre d’un vin : il engendre notamment des brunissements ou une perte de ses arômes fruités. Ces besoins diminuent au fur et à mesure de la vinification. Au cours de l’élevage, ses apports sont modérés et doivent même être limités au minimum durant les étapes conduisant à la mise en bouteille.
Le conditionnement est une phase cruciale. Cette étape a justement fait l’objet d’une étude nationale impliquant divers partenaires d’expérimentations (IFV, Centre du rosé, Sicarex Beaujolais, etc.), animée par l’Institut français de la vigne et du vin (IFV) et financée par FranceAgriMer. Elle vise à mesurer l’impact du niveau d’oxygène au conditionnement sur le vin. En effet, les veilles qualité comme le suivi aval qualité (SAQ) des interprofessions ou les concours internationaux montrent pour les vins à défauts, une fréquence élevée de problèmes liés au management de l’oxygène (réduction et oxydation). « Les données du SAQ d’Inter Beaujolais confirment ce constat. Près de 30 % des non conformités sont attribués à un défaut d’oxydation qui concerne tous les types de vins », introduit Bertrand Chatelet, directeur de la Sicarex Beaujolais.

Une perte de SO2 égale à la quantité d’oxygène



Les travaux ont porté sur différents stades d’exposition à l’oxygène : sur moût, sur vin après fermentation, au conditionnement, apporté par l’obturateur ou l’emballage au cours de la conservation du vin en bouteille. Sur une trentaine de vins (blancs, rosés et rouges) des millésimes 2011 et 2012, issus de différents cépages et régions, trois niveaux d’oxygène ont été apportés au conditionnement : niveau faible (inférieur à 1,5 mg d’oxygène), niveau moyen (compris entre 1,5 et 3 mg d’oxygène) et niveau élevé (supérieur à 3,5 mg d’oxygène). « Cette modalité est doublée et un sulfitage plus élevé est réalisé sur la seconde répétition (+10 à 15 mg/L), précise Bertrand Chatelet. Ces variations ont été apportées par des stratégies différentes de dissolution d’oxygène dans le vin et d’inertage pour la bouteille au remplissage. Un contrôle des niveaux d’oxygène réellement apportés est également réalisé par une mesure de l’oxygène dissous et de l’espace de tête pour avoir la quantité totale piégée par bouteille. Celles-ci sont obturées avec des bouchons synthétiques. Les lots de 25 bouteilles par modalité ont ensuite été stockés entre 18 et 20° C. Un bilan analytique est effectué à T 0 et après douze mois de stockage ».
Durant les deux à six semaines qui suivent la mise en bouteille, les essais ont révélé une consommation totale de l’oxygène piégé au conditionnement. Celle-ci est d’autant plus rapide que le niveau initial d’oxygène est élevé. Cette analyse est plus évidente pour les vins rouges que pour les vins blancs. « La première conséquence du niveau d’oxygène piégé porte sur l’évolution de la concentration en SO2 dans le vin dès les premières semaines de sa vie en bouteille », complète Bertrand Chatelet. Les pertes en SO2 sont proportionnelles à la quantité d’oxygène apporté.
L’oxygène a aussi un impact sur les arômes. Selon les matrices et les molécules cibles étudiées, celui-ci est assez variable. « Ces essais confirment par les thiols variétaux et les vins qui en sont pourvus, leur meilleure préservation par un conditionnement pauvre en oxygène. Par contre, nous n’avons pas mis en évidence d’effet sur les esters et les alcools supérieurs comme les arômes fermentaires, ni sur d’autres familles comme la furanéol (fraise, caramel). C’est notamment le cas pour les vins de gamay », enchaîne-t-il.

« Tendre vers des conditionnements mieux protégés »



L’impact sur la couleur et la composition phénolique est plus nette après un an de conservation. Elle se caractérise par une dégradation des anthocyanes glycosilées, une baisse du degré de polymérisation moyen et la formation de pigments non décolorables. « Cependant, il est très difficile de mettre en évidence des différences entre les modalités si ce n’est sur la couleur apparente : intensité colorante des vins rouges et rosés », juge-t-il. Les analyses physico-chimiques ont été confirmées par la perception sensorielle des vins. Pour une partie des essais, il n’existe pas de différence nette entre les modalités notamment pour les vins rouges. Seules certaines matrices, présupposées les plus « fragiles », comme des vins blancs ou rosés, montre l’intérêt de niveaux d’oxygène faibles au conditionnement sur la préservation de la fraîcheur aromatique et de la qualité. « Il faut donc être vigilant et tendre vers des conditionnements mieux protégés car le vin est sensible. Sulfiter plus n’est qu’une réponse partielle et non satisfaisante dans un contexte de limitation et de raisonnement de la teneur en sulfites dans les vins. A l’inverse, la protection vis-à-vis de l’oxygène, au conditionnement et aux autres stades d’élaboration est un outil puissant et intéressant pour rendre plus efficace le SO2 ajouté », conclut Bertrand Chatelet.




Zoom : comment maîtriser l’oxygène ?



Plusieurs pratiques au cours de l’élaboration et de la conservation du vin ont été présentées par Jean-Baptiste Diéval, de la société Nomacorc lors des Entretiens du Beaujolais. Il s’agit notamment de limiter la dissolution au cours des traitements. « Durant toutes les opérations de manipulation du vin, cette dissolution d’oxygène a lieu au début et à la fin du transfert. Il est important d’adapter le dimensionnement des appareils en fonction du volume de vin à traiter, notamment en respectant une vitesse linéaire et la longueur du circuit », explique-t-il. Un inertage préalable du circuit ainsi qu’une pousse au gaz inerte à la fin permettent de contenir l’enrichissement en oxygène. La température influe également. La solubilité de l’oxygène augmente avec des températures froides. « A 0°C, elle est de 14,5 mg/L soit 60 % plus importante qu’à 20°C. La protection d’un vin froid passe par une injection de gaz en continue en sortie de filtre », conseille-t-il.
Le conditionnement est une étape cruciale et ne permet aucune action corrective possible une fois le vin en bouteille. En cuve, si la teneur du vin n’est pas inférieure à 0,5 mg/L, il est toujours possible d’agir, notamment en procédant à une désoxygénation. L’espace de tête représente aussi une source non négligeable d’oxygène. « Il est responsable de plus de la moitié de l’oxygène en bouteille. L’utilisation d’un système de mise sous vide avant bouchage contribue à réduire l’apport d’oxygène. Il est à noter que de nouveaux systèmes d’inertage apparaissent sur le marché. Un bon réglage de l’inertage est incontournable pour limiter l’enrichissement », dit-il. Enfin, le choix du bouchon est important, tout en prenant en compte les contraintes de chaque cave (coût, temps, marchés) et les objectifs produits.