Le secteur de la viande bovine s'inquiète des accords de libre-échange, mais ces derniers peuvent aussi constituer des opportunités

Le secteur de la viande bovine s'inquiète des accords de libre-échange, mais ces derniers peuvent aussi constituer des opportunités

 

L’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada (CETA) devrait voir sa mise en place provisoire débuter au 1er juillet. Avec son contingent de 50.000 tonnes de viande bovine accordé au Canada sans droits de douane, il soulève à juste titre l’inquiétude des éleveurs bovins européens. Cependant, « on évoque régulièrement les exportations du Canada vers l’Union européenne et non l’inverse, alors que la viande bovine européenne aura un accès libre, sans aucune restriction de volume ou de tarif, au marché canadien », note Jean-Luc Mériaux, président de l’Union européenne du commerce du bétail et de la viande (UECBV), lors de la table-ronde du 14 juin sur les marchés mondiaux de la viande, organisée par l’Institut de l’élevage.

Un précédent dangereux

« Si on est libéral, on recherche avant tout des accords commerciaux équilibrés. Le CETA en est un bon exemple », plaide de son côté Karl Walsh, attaché agricole de l’ambassade d’Irlande à Paris. Une étude réalisée par le ministère de l’agriculture irlandais estime ainsi qu’il serait peu probable que le Canada soit en mesure de fournir ces 50.000 tonnes. Il faudrait pour cela modifier le mode de production pour faire du "sans hormone". Leur intérêt, souligne Karl Walsh, est plutôt d’aller vers les pays de l’est asiatique où la demande est moins exigeante en matière de traçabilité et de qualité. Sans compter que la consommation de viande bovine canadienne est supérieure à la production du pays et, alors que la production de céréales est beaucoup plus rentable, la concurrence sur le foncier agricole se fait au profit des céréaliers. Au final, le surcoût avoisinerait les +30 % pour les producteurs canadiens, estime Jean-Luc Mériaux. Depuis 2008, le contingent de 3.200 tonnes de viande bovine fraîche et désossée ouvert aux canadiens n’a d’ailleurs jamais été utilisé, rappelle-t-il. Et le changement d’échelle qu’instaure le CETA n’offrirait, selon lui, pas davantage de perspectives : « il faudrait 530.000 veaux pour obtenir ce potentiel d’exportation, soit 5.000 exploitations agréées. Or combien y en a-t-il aujourd’hui ? 40 ! », met ainsi en avant le président de l’UECBV. Ce contingent pourrait néanmoins placer le Canada en position de force dans des négociations futures. « En soit, l’accord avec le Canada est équilibré, là où il nous dérange, c’est le précédent qu’il créé pour les futures négociations, Mercosur ou TTIP, le projet d’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les Etats-Unis », nuance cependant Jean-Luc Mériaux.

Délicats équilibres…

Or, il y a une majorité d’Etats membres favorables à ces accords, poursuit Jean-Luc Mériaux, car une multitude d’intérêts sont en jeu : « nous débattons aujourd’hui d’une seule filière au sein d’un seul secteur, l’agroalimentaire, où déjà les intérêts ne sont pas identiques ». Ainsi, les secteurs de la viande bovine et de la viande de porc ont-ils payé pour les fromages et la reconnaissance des IGP dans l’accord CETA, rappelle-t-il.

Tout l’enjeu est que, dans l’ensemble, les perdants et les gagnants ne soient pas toujours les mêmes… Dans cette perspective, une conclusion prochaine de l’accord avec le Japon, où la viande bovine européenne a des intérêts offensifs, est donc essentielle. Quels que soient les freins, si l’on considère que l’avenir de la viande bovine dépend fortement des exportations, s’inscrire dans un mouvement de libre-échange est alors indispensable, avec le souci d’équilibrer les aspects défensifs et les aspects offensifs, mais aussi en introduisant d’autres mécanismes. Jouer sur la catégorisation viande fraîche/viande congelée ou sur le respect de la présentation naturelle des carcasses permettrait, par exemple, d’éviter que le Brésil et l’Argentine aient le choix des découpes.

Pour Karl Walsh, il ne faudrait surtout pas perdre de vue les points positifs de ces négociations : « si on prend comme entrée les points sensibles, par exemple les OGM, les hormones, qui ont été soulevés pendant les négociations du TTIP, on a trouvé des solutions. Pour nous, c’est un bon signe, surtout si on peut recommencer les négociations », actuellement au point mort depuis l’arrivée de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis. Car « sans accord commercial, il est très difficile de faire du commerce avec les américains », regrette-t-il. Or, l’Irlande souhaite investir davantage le marché étatsunien et mise sur le haut de gamme pour les restaurants, et un marketing différencié sur le sans hormones et le sans antibiotiques dans les supermarchés, notamment sur les côtes Est et Ouest où la demande pour ce type de produits est croissante. L’Irlande compte aussi sur la proportion importante d’Américains qui ont des origines irlandaises…

« Quoi qu’il arrive, on ne peut souhaiter que le développement de ces accords de libre-échange car se renfermer sur soi-même n’est pas une solution. Si l’on peut avoir des sujets de défense, il faut trouver notre salut dans les sujets d’attaques », conclut Emmanuel Bernard, éleveur et président de la commission Commerce extérieur d’Interbev. C’est d’ailleurs bien dans cette optique de la filière a lancé la marque "French Beef" pour faire la promotion de la viande française dans le monde.