Feder
Des idées plein la tête !

Lors de son assemblée générale du 26 mai à Autun, Feder a présenté sa stratégie pour restaurer la valeur ajoutée au producteur. Franchissant un palier supplémentaire en termes de force de frappe à l'export, Feder continue d’explorer des voies inédites, ouverte aux nouvelles attentes des consommateurs et consciente des atouts que détiennent les éleveurs pour y répondre.
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Le 26 mai, à l’occasion des assemblées générales de ses coopératives constitutives, le groupe Feder a tenté d’ébaucher des pistes pour un meilleur partage de la valeur ajoutée au sein des filières Elevage. Une ambition « d’aller plus loin » dont la coopérative s’est fait un devoir aujourd’hui, elle qui résulte de plusieurs années d’intenses restructurations et dont la devise est "Commercialiser ensemble le fruit de notre travail d’éleveurs".
C’est sans doute ces efforts consentis en amont qui ont permis de présenter à nouveau des résultats équilibrés. Un bon bilan qui certes pouvait paraître paradoxal au regard de la situation inquiétante de nombre d’exploitations. Mais c’est bien pour cela que le groupe Feder a vu le jour : « construire un partenariat collectif » (1) qui confère une véritable « force coopérative » aux adhérents. Dans un contexte pour le moins défavorable, le groupe a pu tester sa capacité de résistance. Et grâce à cette organisation misant sur la massification de l’offre (3.600 bovins semaine), l’optimisation des charges, la diversification des débouchés (export, qualité, vente directe…), le tout dans un esprit d’ouverture sans céder au dogmatisme à outrance, Feder continue d’évoluer, quitte à explorer des schémas inédits, pour in fine accéder à des solutions à la crise économique qui frappe ses adhérents.

Rapprochement avec Eurofrance


C’est dans cet ordre d’idée que le groupe coopératif vient de marquer un point important sur l’export.
Dans un contexte de marché italien qui s’érode et alors que « dès qu’on exporte sur les pays tiers, les prix des animaux en France remontent », Feder a renforcé ses capacités dans ce domaine. C’est ainsi que le groupe coopératif s'est rapproché de la SA EuroFrance, premier groupe européen dans le secteur de la commercialisation de bétail vivant et spécialiste des pays tiers. Opérationnel courant 2016, ce partenariat (avec création d’une société commune) permettra aux adhérents de Feder d’accéder à des « marchés très sensibles », tant pour l’affrètement des bateaux de 1.500 bovins que pour faire face aux aléas, justifiait le président Yves Largy. L’objectif est d’atteindre 350 à 400.000 têtes exportées par an, complétait le directeur Michel Millot. « Cette union est plus importante qu’on ne l’imagine. L’export hors union européenne est une solution à nos problèmes d’élevage. Cela pourrait permettre de faire augmenter les cours en France », confirmait le président de la section bovine de la FDSEA, Christian Bajard.

Présent sur tous les fronts


L’une des forces de Feder est d’être présent sur tous les circuits. Dans les petits ruminants, Terre d’Ovins a atteint 55.000 animaux commercialisés en 2015 contre 39.000 en 2009. Une belle réussite qui s’appuie sur un travail fructueux avec Bigard, avec lequel le débouché en Label rouge Tendre agneau prend de l’ampleur. En bovins, 15.000 animaux ont été valorisés dans des filières de qualité pour un peu plus de 800.000 € de plus-values aux éleveurs. Feder est également active dans le bio grâce à sa coopérative Eleveurs bio de Bourgogne qui voit le nombre de bovins finis augmenter, avec toutefois le bémol d’un engorgement de marché en fin d’année : « un gros travail est à faire pour étaler notre production », estimait le président de la structure. D’autant que les perspectives sont prometteuses en termes de conversion, prévenait-il. Feder fait en sorte de développer la vente directe de viande bio à travers ses deux "boucheries bio de Bourgogne" de Chalon et Dijon.

Miser sur les circuits courts…


Et le groupe n’entend pas s’arrêter là. Frappé d’hyperactivité, comme aime à le décrire son directeur, Feder explore déjà des voies nouvelles, comme pour mieux démontrer que le modèle coopératif sait se remettre en question. Yves Largy le confirme : « nous misons aussi sur les circuits courts ». Conscient du besoin de "rassurance" du consommateur, le président confie : « nous réfléchissons à un concept novateur en la matière… Une stratégie de développement sur les circuits de proximité où nous ferions valoir les produits de qualité », complétait Michel Millot. Des propos encore un peu mystérieux, mais qui laissent présager une nouvelle surprise en matière d’organisation collective. Un pressentiment corroboré par les propos renversants d’Olivier Mével, brillant intervenant qui clôturait l’assemblée (lire encadré). Dans le changement de paradigme que pourraient bien imposer des consommateurs las des perditions mercantiles de la grande distribution, les coopératives d’éleveurs pourraient bien avoir une page vertueuse à écrire.

(1) Quatre coopératives animales (Global, Terre d’Ovins, Eleveurs bio de Bourgogne, Socaviac), un pôle végétal (Dijon Céréales, Axéréales), une filière export (Limousin Charolais Acor, Celmar).


Sortir de l’emprise mortifère de la grande distribution


Pour Olivier Mével*, l’iniquité actuelle du partage de la valeur ajoutée doit beaucoup à la loi de modernisation de l’économie de 2008 qui, sous couvert « d’expurger les marges arrière » de la grande distribution, fut une véritable « catastrophe » pour les filières alimentaires. De fait, c’est à l’intérieur de ce cadre législatif - « qu’il faudra amender d’urgence » - qu’un distributeur comme Leclerc a pu réaliser « 84 mois de croissance ininterrompue » ! Pour atteindre plus de 20 % de parts de marché aujourd’hui. Dans un univers gouverné par la seule "guerre des prix", le plus célèbre des distributeurs « joue de son influence et de son fouet », décrivait de façon terrifiante Olivier Mével. A tel point qu’à coup de promotions fracassantes, de comparateurs de prix redoutables, de ses fructueux Drives…, Leclerc a réussi « à mettre à genoux » les autres distributeurs !, rapporte en connaissance de cause l’ancien cadre de distribution. Et comme « le métier d’un distributeur, c’est de transposer ses coûts sociaux sur les industriels qui eux-mêmes vont se refaire sur les prix agricoles », les paysans ont lourdement trinqué. « On a jamais autant développé d’hypermarchés qu’en ce moment », poursuivait l’intervenant. Au point que le rendement des mètres carrés commerciaux s’effrite ! D’où une violence exacerbée des distributeurs…Dans ce paysage « mortifère », la grande distribution ne déplore pourtant jamais aucune faillite. Flairant le succès, elle s’est mise au bio, au point de le transformer « en vache à lait », explique Olivier Mével. La situation tient aussi à l’asymétrie saisissante de la filière avec d’un côté 550.000 exploitations, 12.000 entreprises d’industrie alimentaire, 2.800 coopératives, 30 multinationales et en face seulement 4 centrales d’achat toutes puissantes ! « Des centaines de milliers de vendeurs pour 4 acheteurs ; un référencement mortel », résume froidement l’expert. Résulte de ce tableau apocalyptique une évolution des prix asymétrique avec des écarts de marges insupportables : un tiers de la valeur revient au commerce ! Le porc est devenu « une commodité », surtout depuis qu’Intermarché « est entré dans la danse ! », ce qui fait dire à Olivier Mével : « ne laissez jamais le distributeur s’intégrer verticalement dans la filière ! ».

« Le consommateur n’a d’yeux que pour l’éleveur ! »


Heureusement, il existe de bonnes raisons de croire en un retour à la raison. Dans cet enfer mercantile, certains signes semblent pourtant annonciateurs… Par exemple, avec leurs 5 milliards d’€ de chiffre d’affaires, les circuits courts pèsent autant que les Drive… Un phénomène qui d’ailleurs « laisse sans voix économistes et gestionnaires », rapportait Olivier Mével. « Certains consommateurs commencent à trouver que cela suffit », poursuit l’intervenant qui affirme qu’aujourd’hui « le consommateur n’a d’yeux que pour les éleveurs ». Pour le consommateur en quête de "rassurance", « l’éleveur, c’est la vertu, l’intégrité, le terroir… », alors que le transformateur, discrédité, pêche par trop d’opacité. « Vous avez tout ! », résume l’intervenant qui prédit une nouvelle « forme de commerce collaborative » où l’image du producteur est essentielle. Mais ce nouvel eldorado sera accessible qu’à condition de repenser la mise en marché… « Jusque-là, vous pouviez produire ce que vous souhaitiez, mais aujourd’hui, il y a une inversion : il faut que le consommateur donne son consentement à payer pour des produits vertueux et qu’il considère dotés de qualités intrinsèques ». Cela signifie qu’il faut repenser la segmentation en ciblant les catégories de consommateurs (exemple : les adolescents). Des études montrent que dans l’acte d’achat, l’origine France vient en premier, suivie de l’aspect visuel, de la tendreté, du goût… Dans ce classement, les critères santé pèsent pour un tiers de la valeur. En revanche, signale Olivier Mével, la race ne compte pratiquement pas… C’est au travers d’une marque que les éleveurs pourront restaurer un commerce équitable, estime le consultant. Une marque qui répond au besoin de lien entre éleveur et consommateur et « qui donne la possibilité de s’engager en contribuant au revenu du producteur ; une façon d’enchanter le produit. Même Bigard gagnerait beaucoup à créer une marque avec les éleveurs avec qui il travaille ! », suggérait l’intervenant.
* Consultant indépendant en stratégie des entreprises agroalimentaires, enseignant-chercheur à l’université de Bretagne