AG de Charolais France à la ferme du Marault (58)
Quelles conditions du maintien de la race  ?

Publié par Cédric Michelin
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En deuxième partie d'AG, après les actes statutaires, les responsables de Charolais France avaient invité l'Icaunais Jean Denaux à venir témoigner de son métier « d'affineur de viande ». Ce baroudeur culinaire, né dans les prés mais parvenu dans la gastronomie, a raconté « une belle histoire », parfois dérangeante, autour du Boeuf de Charolles longuement maturé qu'il vend à un panel de chefs cuisiniers.
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Animée par Yves Durand, spécialiste de la qualité de la viande charolaise, l'intervention de Jean Denaux devait répondre à la question initialement posée  : «  la race charolaise doit répondre à de multiples enjeux, quels sont ses points forts et ses points d'amélioration  ?  » devant les membres de l'OS Charolais France réunis, le 18 juin, à la ferme du Marault de Magny-Cours (58). Et très vite, après avoir rappelé son parcours de petit-fils d'éleveur et de fils de boucher ayant fait des études agricoles, puis de baroudeur culinaire "dégoûté" de la race charolaise après de multiples voyages au long cours, celui qui se présente désormais comme «  affineur de viande  » a balayé sa carrière qui l'a conduit à ouvrir une boucherie à Sens (89). Elevé par ses parents dans une boucherie à Fontainebleau, «  je pensais qu'il valait mieux être éleveur que boucher mais la succession familiale ne m'a pas permis de reprendre l'exploitation de mon grand-père  » a-t-il expliqué. Du coup, après des études agricoles et un passage comme commis au marché de Rungis, Jean Denaux est parti aux Etats-Unis où il a été «  choqué  » de découvrir des vaches «  croisées de race précoce et de race à forte croissance  », qui d'un coup ringardisait la charolaise dont les années 70 avaient révélé les faiblesses  : «  de grosses difficultés dans les troupeaux, pas assez d'exercice, des difficultés de naissance, une propagation importante de microbes entraînant pour les éleveurs des frais conséquents de vétérinaires  »... C'est à ce moment-là qu'il en a déduit que la conformation des bovins ne dépendait «  ni de la vitesse de croissance ni de la taille des os  »  ! Et que de magnifiques qualités bouchères de JB plus précoces, donc plus tendres, pouvaient être, en France, si mal valorisées parce que «  les croisées jaunes à têtes blanches étaient moins bien payées que la "chapelle" blanche  »...

Des clients nommés Gagnaire ou Troisgros...



A 19 ans, équipé d'une 4L, Jean Denaux crée donc une boucherie à Sens, se détourne des charolaises, et commence à fournir quelques restaurateurs locaux. Sa passion de la qualité et de la viande grandissant à mesure de son développement, ses études et son parcours lui offrant une ouverture d'esprit et une curiosité incessantes, l'artisan, de proche en proche, a essaimé. D'abord, en élargissant sa clientèle de cuisiniers, à 20 kilomètres puis encore plus loin, jusqu'à rencontrer des grands «  chefs de cuisine  ». «  Un chef sait cuisiner mais ne sait pas ce qu'est une génisse ou un onglet  » découvre alors le jeune entrepreneur. C'est là que, coiffé de ses multiples casquettes, Jean Denaux a basculé. «  Savoir s'adapter, promouvoir la qualité en reliant le monde de la production à celui de la gastronomie  »... Aujourd'hui, le chef d'entreprise compte 17 salariés, fournit de grandes tables de la cuisine française (Gagnaire, Troisgros...) et réalise 25% de son chiffre d'affaires à l'export. Son secret  ? Avoir très tôt anticipé la mode de l'Angus, en délaissant le charolais et en allant en Ecosse rencontrer des éleveurs  : «  Contrairement à ce que fait la France avec ses races allaitantes, l'Angus produit là-bas n'est pas très nombreux mais il est constitué à 50% de sang de charolais  ». Premier enseignement du maître  : «  nous en sommes à obliger ici que les charolais aient un père et une mère de race pure  ; On se complique la tache  » a-t-il clairement énoncé, non sans susciter les réactions agacées des participants à l'AG  ! Deuxième leçon, tout aussi franche  : «  la qualité de la viande, c'est à l'OS de s'en occuper et je me réjouis que le HBC intègre les qualités bouchères dans les critères de jugement des concours  »  ! Car, c'est l'autre conseil que Jean Denaux délivre aux éleveurs, via leur organisme de sélection. C'est à chacun de se préoccuper du devenir de ses produits, bien au-delà de la coopérative ou du négociant qui lui achète les bovins vivants. L'affineur se projette délibérément dans l'assiette du consommateur, et se pose en entrepreneur inspiré par le marché. Son maître-mot  : «  la maturation  ». Des quartiers de jeunes Limousins, Aubrac, Montbéliardes mais aussi du bœuf de Kobé et de la race Hereford, dont il se fournit en Irlande, sont sa matière première. Sa méthode d'affinage, «  comme des bons vins ou des beaux fromages  », se nourrit du temps qu'il accorde à ses viandes dans ses caves séparées par type d'animal, par race, et par jour d'entrée dans les frigos. Jusqu'à 60 jours de maturation après l'abattage.

« Raconter une histoire »



Car, si le croisement des races n'est pas exclu, les compromis ou plutôt les «  équilibres  » entre les produits sont dument recherchés. La tendreté, le goût, le persillé  : l'affineur sait quoi et comment rechercher les qualités de ses viandes. Bien loin des critères du steak haché acheté à la hâte par les clients débordés, et même s'il reconnaît évoluer sur un marché de niche, forcément plus étroit que celui de la consommation courante. Car, pour Jean Denaux, troisième précepte  : «  savoir saisir les opportunités, oui, faire preuve d'opportunisme, non  ! Le marché bouge par le bas car le haut est trop figé  ». Du coup, le boucher revendique d'adopter « des stratégies marketing » pour ses clients qui le réclament, que ce soit des tables renommées ou des grossistes asiatiques. Erigeant la viande en lettres de noblesse de la gastronomie nationale, Jean Denaux spécule sur l'intérêt de la filière  : «  1.200 bêtes rentrées lundi doivent être vendues vendredi. Bien sûr, le muscle est important, moins on jette, plus on gagne, mais la qualité est une partie minime de l'analyse des professionnels  » constate-t-il. Et, devant des adhérents de Charolais France un peu émoussés, avec des morceaux de viande maturées par ses soins en appui de sa démonstration, l'affineur a presque fait amende honorable. «  Du charolais chez moi  ? D'abord, j'ai fermé la porte  ! Puis un jour j'ai rencontré Jean-François Ravault, de l'AOC Boeuf de Charolles et un responsable de l'abattoir de Paray-le-Monial, qui m'ont raconté une belle histoire  ». Trois mois plus tard, l'Icaunais rentrait quelques quartiers de charolais dans sa cave car «  il avait vu des bêtes bien faites, tuées dans un abattoir qui sait en prendre soin, et dont le potentiel de viande est supérieur à beaucoup de viandes de chez nous  »  ! Goût, jutosité... Depuis, Jean Denaux n'a pas arrêté le charolais. Et c'est là son message d'espoir pour les acteurs de la race. «  S'il y a de la place pour des viandes de qualité -et il l'a démontré-, rien n'empêche la charolaise d'apprendre à s' adapter  »  !

L'AG de Charolais France, sous la présidence de Michel Baudot, s'est tenue le 18 juin à la ferme du Marault, à Magny-Cours (58).