Louis Collaudin
Parce qu’il faut le dire

Ancien président du CDJA, ancien secrétaire général de la FDSEA, Louis Collaudin a aussi présidé la Fédération nationale bovine (FNB). Militant dans l’âme, il a saisi l’occasion de la tenue du 50e congrès national des JA à Mâcon pour rappeler, sous forme de libres propos, quelques vérités que notre société semble avoir oubliées. Un témoignage à lire.
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« Je voudrais revenir sur le dossier publié dans le numéro de L’Exploitant Agricole de Saône-et-Loire du 27 mai dernier consacré au 50e congrès national des Jeunes agriculteurs à Mâcon, lequel dossier - sous la signature de Pierre Terrier - évoquait la Révolution verte.
Certains des ses propos sont une réponse aux attaques virulentes de certains milieux sur l’agriculture productiviste, propos que je trouve trop facilement relayés par les médias, aussi bien écrits que télévisés ou radiophoniques, lesquels condamnent sans appel l’agriculture que nous avons développée au sortir de la guerre.
Dans ses propos sur la responsabilité des agriculteurs d’alors, Pierre Terrier relativise et tente de faire comprendre que, si certains produits se sont avérés par la suite dangereux ou posant problème pour l’environnement, il conviendrait de faire la part des choses et poser la responsabilité sur ceux qui devaient savoir - mieux que les agriculteurs utilisateurs - que sont les producteurs de produits eux-mêmes, leurs techniciens et les services de l’Etat qui délivraient les autorisations de mise en marché.
Je regrette bien sur que le message de Pierre Terrier ne trouve pas un écho dans d’autres médias que notre journal professionnel, car c’est bien sur d’abord les consommateurs de tous milieux qu’il faudrait atteindre.

L’appel des pouvoirs publics


Je voudrais dans ces quelques lignes - et surtout pour les jeunes générations - revenir sur le parcours qui fut le nôtre, à partir des années 1950, dans la formidable mutation qui a démarré et s’est développée au plan de notre agriculture qui, je le rappelle, sortait de la période de la guerre de 1939/1945.
C’est en 1946 que j’ai quitté l’école et ai rejoint mon père et mes frères sur l’exploitation familiale. J’ai le souvenir d’un phénomène marquant de cette période de la guerre et de l’après guerre lorsque que, dans notre région, nous voyions alors les Lyonnais venir par le train jusqu’à La Clayette, et parcourir en vélo la région à la recherche de nourriture : pommes de terre, beurre, œufs, etc.
Peu après, l’appel fut lancé par les pouvoirs publics de retrousser nos manches et de répondre à la demande pressante de nourriture. Aussi, nos jeunes générations se sont-elles alors senties interpellées et ont étudié comment y répondre au mieux. Dans notre région de La Clayette, des jeunes qui avaient été à l’école de la Jeunesse agricole catholique, (JAC) se concertèrent alors et cherchèrent comment en groupe comment mieux répondre à cet appel.
Un CETA (Centre d’études techniques agricoles) a alors été mis sur pied, dès 1952 me semble-t-il, à l’initiative de mon frère aîné, lequel était sur l’exploitation, et cela en lien avec quelques amis, tous issus de la JAC. A cette époque, les services techniques n’existaient pas et ce fut, au tout départ, un technicien des Organisations agricoles du Sud-Est, qui apporta les premiers conseils techniques. Apporta aussi son concours à cette époque, Monsieur Chazal, du département voisin du Rhône, qui vint aussi accompagner le CETA dans ses travaux sur la révolution fourragère.

Le développement des techniques


Du fait de cette ancienneté au plan du démarrage d’actions techniques, le premier technicien embauché par la chambre d’Agriculture de Saône-et-Loire, Louis Vizier, fut par la suite nommé sur les secteurs de Matour et de La Clayette. Alors, pour élargir le travail du CETA et toucher le plus grand nombre d’agriculteurs, d’autres CETA ainsi que des Groupements de vulgarisation agricole (GVA) furent alors créés chez nous comme dans de nombreux cantons du département pour appuyer le développement technique aux quatre coins du département.
Que dire de ce temps de développement agricole, sinon qu’années après années, il a permis, il a initié la mise en place de nouvelles techniques (comme le pâturage rationné), de nouvelles cultures dont, entre autres, le maïs, qui vint accroître les réserves fourragères dans bien des exploitations. Autant de techniques et de productions qui nous amenaient - sur les conseils de nos techniciens - à utiliser des produits de traitement et non des "pesticides", comme décrivent ceux qui condamnent ce temps de progrès.
Pour cette production, largement répandue dans nos régions d’élevage, je garde en souvenir le premier essai de production et d’ensilage de maïs, tenté sur l’exploitation vers 1952/1953.
Récolte et ensilage alors réalisés entièrement à la main, car il n’y avait pas à ce moment de matériel pour de travail de récolte.
Pour les anciens je veux aussi rappeler, un type de manifestation agricole qui se déroula à partir des années 1950 et qui se répétait tous les trois ans : "Les journées agricoles de La Clayette". Ces journées étaient mises sur pied par un ancien, qui fut président de la chambre d’agriculture, Philibert Mathieu, et toute l’équipe locale des jeunes engagés au CETA ou au GVA.
C’est au cours de ces manifestations qui se déroulaient alors sur deux jours, avec d’une part des conférences techniques et, d’autre part, des démonstrations agricoles que furent étudiées la mécanisation et l’évolution des techniques qui interviendront par la suite : ensileuses, moissonneuses batteuses et bien d’autres encore.
C’est à partir de ce travail que fut créé chez nous une Cuma (Coopérative d’utilisation du matériel agricole), qui permit, par l’achat d’une ensileuse, le démarrage de l’ensilage de l’herbe et du maïs, et celle d’une moissonneuse-batteuse, laquelle vint là-aussi modifier les pratiques anciennes et qui, petit à petit, fit disparaître les tournées des batteuses qui passaient de ferme en ferme.

La Révolution verte


Cette évolution marquante amena par exemple le lancement de la culture du maïs dans nos régions d’élevage.
Et c’est à partir de ce qui a été appelée la Révolution Verte que je veux évoquer un problème qui, soixante ans plus tard, continue à animer le débat public, dans les médias et jusqu’à Bruxelles. Je veux ici parler du Roundup, lequel donne lieu à débat entre ceux qui estiment que ce produit n’est pas dangereux et ceux qui ont un avis contraire.
Utilisé sur le maïs entre autres, ce désherbant est apparu comme un outil indispensable pour assurer la propreté des semis de maïs, la main-d’œuvre ne permettant plus le désherbage manuel.
Bien d’autres techniques se développèrent alors dans l’ensemble des productions, résultats de la recherche publique et privée, qui permirent alors à l’agriculture dans son ensemble d’augmenter les volumes des productions, et ainsi, de ce fait, de répondre à l’appel public qui nous avait été lancé pour produire, pour nourrir tous les Français.
Le résultat alla au-delà de nos espérances, en tout cas au-delà de la demande intérieure et, rapidement, la production permit aussi des exportations lesquelles, durant un temps, placèrent notre pays parmi les tous premiers exportateurs de produits alimentaires au monde, place que nous sommes en train de perdre aujourd’hui, sous l’effet du discours des "Anti-tout".

Les vraies questions


Et c’est là que je veux rejoindre les propos de Pierre Terrier, lorsqu’il écrit : « ceux qui produisent les ingrédients phytopharmaceutiques, qui agréent la mise en vente ou qui les distribuent, ne devraient-ils pas être les premiers concerné par ces débats ? ».
Pourquoi, ces "anti-tout" - qui ont l’écoute et des pouvoirs publics et des médias - ne posent-ils pas le problème en ces termes ?
Sur ce même sujet des techniques de développement, je rappelle l’article paru dans L’Exploitant Agricole de Saône-et-Loire du 8 juillet au sujet de la lettre ouverte de plus de cent prix Nobel destinée à nos dirigeants, lettre qui les invitent à condamner l’attitude de Greenpeace, sur le problème des OGM. Notre pays est au premier rang, alors que nos "anti-tout" ont en effet réussi à bloquer - sans jamais apporter aucune preuve de leur nocivité - la culture des OGM.
Tourné vers l’avenir
Enfin, pour conclure, je voudrais clarifier ma position personnelle. Je suis comme la plupart conscient que nous devons transmettre la terre avec ses pleines capacités de produire, aux générations qui nous succèdent aujourd’hui et vont continuer demain. Mais je ne peux admettre la position des pouvoirs publics qui, du jour au lendemain, interdisent la mise en marché de tel ou tel produit, sans prendre en compte les conséquences pour ceux qui en sont les premières victimes : les producteurs eux mêmes.
Ne serait-il pas plus sage de se tourner vers la recherche pour qu’elle dispose de temps pour proposer aux producteurs de nouveaux produits de remplacement, compatibles avec la défense de notre environnement et des populations ? Et cela au lieu de décider du jour au lendemain de l’interdiction d’un produit, comme ce qui est arrivé ces derniers temps pour un produit de traitement des cerisiers, laquelle interdiction nous amena le spectacle, à la télévision, d’un producteur qui abattait ses cerisiers en fleurs…
Là encore, je veux me tourner vers les jeunes générations - que j’ai admirées à l’œuvre lors du 50e congrès national des JA à Mâcon - de ne pas baisser les bras, d’accepter sans doute de changer certaines pratiques, mais en défendant - du côté des pouvoirs publics - plus de clairvoyance et la recherche avec tous - et pas seulement avec les seuls "anti-tout" - des bonnes décisions à prendre pour sauvegarder l’intérêt aussi bien des producteurs que de l’ensemble de la population, de notre pays, mais aussi mondial. Et cela alors que chacun connaît les prévisions démographiques dans les décennies qui viennent… »



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