Embargo russe
Une réponse européenne à trois niveaux

Publié par Cédric Michelin
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Après les mesures d'urgence pour les secteurs des fruits et légumes et du lait afin de faire face à l'embargo russe, la Commission européenne a annoncé un soutien de 30 millions € supplémentaires pour la promotion des produits agricoles de l'Union Européenne. Objectif : réorienter les exportations européennes vers de nouveaux marchés. La troisième phase du dispositif européen devrait être la mise en place d'aides ciblées pour les agriculteurs les plus affectés par les restrictions imposées par Moscou depuis le 7 août. Mais il faut pour cela l'aval du Conseil qui se réunira 30 septembre à Milan.
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La Commission européenne a annoncé le 3 septembre son intention de débloquer 30 millions € supplémentaires pour la promotion des produits agricoles de l'Union Européenne en 2015 sur les pays tiers et le marché intérieur, afin de faire face à l'embargo imposé par la Russie depuis le 7 août. Ces mesures étant cofinancées, ce sont donc 60 millions € dont va bénéficier le secteur (50% provenant de l'UE et les 50 % restant des organisations de producteurs, des interprofessions ou des États membres). Objectif poursuivi par le commissaire européen à l'agriculture, Dacian Ciolos : « Réorienter notre production vers d'autres acheteurs ». Notamment les pays arabes. Cette aide vient s'ajouter aux 60 millions € pour soutenir des actions de promotion déjà prévus dans le budget de la Pac pour 2015. Bruxelles a également mis en place durant le mois d'août des mesures d'urgence pour les secteurs des fruits et légumes périssables (125 millions €) des pêches et nectarines (37,5 millions €) et plus récemment des produits laitiers (10 à 20 millions € selon des estimations provisoires). La troisième phase de la réponse de la Commission devrait être la mise en place d'un dispositif d'aides ciblées aux producteurs qui sont les plus affectés par l'embargo. Mais ces actions (aides d'Etats, aides couplées, mesures de développement rural), et leur ampleur, dépendront de la volonté politique des Etats membres dont les ministres de l'agriculture se sont réunis le 5 septembre à Bruxelles et qui devront trancher le 30 à Milan. « Nous devons discuter de cela avec les ministres car la Commission ne peut pas agir au-delà des limites budgétaires qui lui sont allouées », a précisé le commissaire européen Dacian Ciolos. Bruxelles a préparé une note sur la situation actuelle et les mesures qui pourraient être prises qui devait servir de base aux discussions entre les ministres des Vingt-huit.




Mesures de marché...



Le dispositif européen se met peu à peu en place. Le 29 août, l'acte délégué sur les mesures exceptionnelles de soutien en faveur des producteurs de l'UE de fruits et légumes périssables a été adopté par le comité de l'organisation commune des marchés agricoles. Et le 5 août, ce sont les textes en faveur du versement d'aides au stockage privé de beurre et lait en poudre, l'extension de cette aide à certains fromages (plafonnée à 155.000 tonnes de fromages à pâte dure et caillebotte congelée) ainsi que sur la prolongation jusqu'à la fin de l'année de la période d'intervention publique pour le beurre et la poudre de lait écrémé qui ont été publiés au Journal officiel.

« On suit attentivement le secteur de la viande pour voir son évolution » et agir si nécessaire, a souligné Dacian Ciolos. Dans sa note, la Commission européenne précise que « jusqu'à présent, les opérateurs ont été en mesure d'absorber partiellement la baisse des exportations vers la Russie par l'augmentation des exportations vers le Japon, la Corée du Sud et aux Philippines ». Mais l'interdiction russe affecte désormais d'autres exportateurs (États-Unis et Canada) qui sont eux aussi à la recherche de nouveaux débouchés. Dans ce contexte, la Commission entend renforcer sa surveillance du secteur de la viande de porc au cours des prochaines semaines afin de déterminer s'il est nécessaire d'activer les outils de crise disponibles. Le secteur de la viande bovine est également suivi de près, la Russie étant la première destination des exportations de l'UE (25% des exportations). Mais à ce stade les prix sont restés stables et les marges des producteurs sont au-dessus de la moyenne du fait de la baisse des prix de l'alimentation.



Aides aux agriculteurs les plus touchés



Un constat partagé par les États membres. Lors du Comité spécial agricole du 2 septembre, les experts ont confirmé que les chiffres « moyens » ne rendaient pas compte de la variété des situations réelles. Certains pays sont plus touchés que d'autres. C'est le cas des États membres de l'est de l'UE (notamment la Pologne qui exporte des pommes), du nord (notamment la Finlande et les pays baltes pour leurs fromages) et certains pays du sud de l'UE (comme la Grèce et l'Espagne qui exportent des fruits et légumes). Ces pays ont souligné que les premières mesures prises par Commission étaient rapides et bienvenues mais insuffisantes car elles ne ciblent pas assez les secteurs ou les régions les plus affectés.



Dans sa note, Bruxelles détaille les mesures qui pourraient être prises. Tout d'abord, les Etats membres ont la possibilité d'activer l'outil de stabilisation du revenu (dans le cadre du développement rural) qui viendrait aider les agriculteurs si leur revenu chute de plus de 30% par rapport à leur revenu annuel moyen. La compensation peut atteindre jusqu'à 70% de la perte de revenu. Ils ont également la liberté de renforcer la consommation de fruits, légumes et lait à l'école (le Conseil et le Parlement européen sont sur le point de trouver un accord sur la nouvelle proposition de la Commission dans ce domaine) et d'avoir recours à la distribution aux plus démunis en inscrivant la « distribution de fruits et légumes ainsi que d'autres produits touchés par l'interdiction russe d'importation dans leur programme opérationnel pour la période 2014-2020 ». Toujours à l'échelle nationale, les agriculteurs peuvent bénéficier de paiements couplés dans le contexte d'une région particulièrement touchée ainsi que d'aides d'État dans la limite de la règle « de minimis » (15.000€ maximum par exploitation sur trois ans et 200.000 € pour les entreprises). Au-delà, les États membres pourront notifier ces aides d'État à la Commission pour autorisation.



Enfin dernière option : des aides compensatoires directes pour les producteurs les plus touchés. Cette mesure devrait prendre en compte les engagements de l'UE auprès de l'OMC. Mais cette solution, selon son ampleur, pourrait exiger une réduction des paiements directs aux agriculteurs. Il ne pourra pas y avoir de « dédommagement intégral » des agriculteurs européens affectés par l'embargo russe sur leurs produits, a déjà prévenu le 2 septembre le ministre allemand de l'agriculture Christian Schmidt qui recevait à Berlin ses homologues polonais, Marek Sawicki, et français, Stéphane Le Foll. Ce dernier a également prévenu lors d'une entrevue le 3 septembre avec la filière agricole française qu'il serait « difficile politiquement » de mobiliser d'autres budgets que celui de la Pac. De plus, rappelle la Commission, ce type de soutien direct qui avait été apporté en 2009 au secteur laitier ne s'est pas révélé aussi efficace que prévu.




Lait : les divisions entre États membres refont surface



Les Etats membres de l'UE craignent que les mesures mises en place par la Commission européenne afin de limiter l'effet de l'embargo imposé par la Russie sur le marché européen ne suffisent pas. Lors du Comité spécial agricole du 2 septembre, les pays les plus directement touchés (pays baltes, Finlande, Pologne) ont fait état de diminutions de prix considérables qui pouvaient les amener au niveau du prix d'intervention. Ils ont évoqué la possibilité d'une révision du prix d'intervention, voire d'un retour temporaire au système des restitutions. Quelques délégations (Allemagne, notamment) en ont profité pour réclamer de nouveau l'ajustement du taux de matières grasses du lait de manière à limiter le super-prélèvement lié à un dépassement de quotas, arguant qu'à la veille d'une crise dans le secteur, il ne fallait pas accabler les producteurs. Mais pour la France, notamment, une telle décision reviendrait à favoriser les dépassements de quotas alors que des mesures de marchés seraient déclenchées, ce qui « reviendrait à appuyer à la fois sur l'accélérateur et le frein d'une voiture en train de rouler ».



Saisine de l'OMC : fortes hésitations



La Commission européenne confirme que l'embargo russe du 6 août sur les produits agroalimentaires de l'UE est un cas plus complexe que d'autres mesures prises auparavant par Moscou et contre lesquelles elle a entamé une procédure devant l'Organisation mondiale du commerce, comme cela a été le cas par exemple en février dernier contre l'embargo sur la viande porcine. Cette saisine de l'OMC est surtout réclamée par la Pologne, alors que d'autres États membres jugent utile de réagir avec précaution, craignant une escalade des tensions. La question est également analysée par la Commission avec les autres parties affectées par l'embargo russe. À l'issue d'un entretien avec son homologue espagnole, Isabel Garcia Tejerina, le ministre français de l'agriculture, Stéphane Le Foll, a jugé le 28 août qu'une saisine de l'OMC prendrait trop de temps. Une procédure devant l'OMC « dure entre trois et quatre ans », a-t-il expliqué. « Je ne crois pas que nous soyons en mesure d'attendre aussi longtemps (...) parce que plus on attend, plus les situations peuvent se dégrader et plus ça peut coûter très cher ». Pour sa part, la présidence italienne du Conseil de l'UE considère que la décision – très politique – d'introduire éventuellement un recours à l'OMC contre l'embargo russe n'est pas du ressort des ministres de l'Agriculture.


… promotion…



Le renforcement du budget pour la promotion, décidé le 3 septembre, doit permettre une réorientation des exportations de l'UE. Les 30 millions supplémentaire débloqués par Bruxelles seront disponibles pour répondre aux demandes que peuvent déposer les organisations de producteurs jusqu'au 30 septembre. Si l'intégralité de l'enveloppe (de 60 millions € au total) n'est pas consommée, le solde restant sera disponible pour la deuxième tranche d'appels d'offres au printemps 2015 (pour laquelle 30 millions d'euros sont déjà programmés). La Commission européenne se veut optimiste sur la capacité de l'agriculture européenne à trouver de nouveaux marchés pour écouler ses productions (2). Dans sa note, Bruxelles indique que ses services ont commencé à chercher de nouveaux marchés fermés pour le moment à cause de barrières sanitaires ou phytosanitaires. En moyenne, l'UE devrait trouver des solutions, mais « si on regarde de manière plus spécifique les petites et moyennes exploitations, certaines risquent d'être frappées sévèrement alors qu'en temps normal elles sont parfaitement rentables. À mon avis il faut les aider à passer le cap », estime Dacian Ciolos. C'est la question qui devait être débattue entre les ministres de l'agriculture de l'UE le 5 septembre.