Foncier agricole
A l'épreuve de la financiarisation

Publié par Cédric Michelin
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Le congrès de la Fédération nationale des Safer s'est déroulé le 27 novembre à Dijon. Thème retenu, le rôle des Safer par rapport aux enjeux de territoires et de filières. Les dernières dispositions législatives de la loi d'avenir agricole confortent leurs missions, mais les Safer revendiquent maintenant la possibilité d'intervenir directement sur le transfert des parts sociales, pour éviter les risques d'une trop grande financiarisation de l'agriculture française.
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Actualité réglementaire et législative oblige, c'est un congrès placé sous le signe de la dynamique foncière au service des filières agricoles que la Fédération nationale des Safer a organisé à Dijon, les 27 et 28 novembre. Confortées dans leurs missions par les dispositions de la récente loi d'Avenir agricole, laquelle renforce leur rôle de régulateur du marché foncier, les Safer se revendiquent comme un acteur essentiel de la dynamisation des territoires agricoles et ruraux. La ligne est donc tracée pour départager les projets fonciers en concurrence auprès des Safer : ce seront ceux qui apporteront la plus grande valeur ajoutée, qui seront générateurs d'emplois ou de dynamique économique pour un territoire donné. Comme le soulignait le président de la FNSafer, Emmanuel Hyest, « toute réflexion et toute concertation se mènent par rapport aux enjeux de territoires ». Il y a bien longtemps que les Safer ont dépassé le stade de la simple transmission d'un bien immobilier, « c'est une exploitation que l'on transmet, ce qui suppose de prendre en compte l'environnement économique et d'intégrer dans la démarche la dimension de filière », une filière d'ailleurs associée à la réflexion collective.

Des arbitrages souvent difficiles à mener


C'est donc ce thème du rôle des Safer par rapport aux filières et aux territoires qui a été retenu comme fil conducteur de ce tout premier congrès congrès national en Bourgogne. Avec pour ligne de mire « le maintien des capacités de production de tous les filières, les plus petites comme les plus grandes, les plus solides comme les plus fragiles ». Renforcer les filières, cela suppose de faciliter les installations et de conforter l'existant, c'est le « cœur de métier » de l'organisation, mais un métier qui s'exerce quelques fois dans un environnement perturbé, quand certains projets de filières et productions associées entrent en concurrence avec d'autres sur un même dossier. L'arbitrage n'est pas toujours simple à mener.
Le fait le plus marquant, c'est la financiarisation du marché foncier du fait, d'une part, de l'évolution des exploitations vers des formes sociétaires pour faciliter la transmission et, d'autre part, de l'agrandissement des structures qui oblige à recourir à des apports de capitaux extérieurs pour financer les projets. Le marché français est plutôt bien placé, puisque le montant des prix des terres et prés libres (5.750 €/ha en moyenne) tout comme celui des terres et près loués (4.240 €/ha) restent peu élevés par rapport à ce qui est constaté dans les autres pays européen. Pour la ferme France cela représente un avantage de compétitivité certain, comme le soulignait Robert Lévêque, directeur de Terres d'Europe SCAFR. Pour autant, le rendement locatif brut moyen (3,2 %) demeure attractif pour un investisseur au regard du taux du livet A et à un niveau « équivalent à certains contrats d'assurance », ce qui « relance l'intérêt croissant des investisseurs et joue en faveur du développement du fermage ».

Pour une meilleure maîtrise du transfert des parts sociales


Face à cela, le président de la FNSafer met en garde contre le risque de « financiarisation de l'agriculture » et plaide pour une meilleure maîtrise du transfert des parts sociales, et cela pour éviter l'arrivée « de holdings, de grosses exploitations sans agriculteur ». Tout transfert de parts sociales doit être notifié à la Safer, mais Emmanuel Hyest revendiquait que « la préemption soit accordée à 50 % des parts de société ». Une demande entendue par le représentant du ministre de l'Agriculture, Luc Maurer, lequel y posait cependant des conditions, notamment « une meilleure connaissance des mouvements sur les parts sociales et la transparence sur la consommation et le prix des terres agricoles ».
Préoccupation identique pour Jean-Bernard Bayard, président de FranceAgriMer, face au risque de financiarisation de l'agriculture. Pour lui, le foncier représente « le socle de l'activité agricole pour toutes les productions et un enjeu de développement pour les filières ». Même dans les activités hors-sol, la question du foncier se pose : pour l'épandage, pour la production d'aliment, etc.
Intervenant percutant - et inattendu - sur le sujet, François Gerster, inspecteur général de la Santé publique vétérinaire et apiculteur, a  clairement exposé le besoin d'accès au foncier des apiculteurs professionnels. La demande est limitée certes, puisqu'elle concerne quelques petites « pépites », quelques petits bouts de champs délaissés, ici ou là, lesquels permettraient de conforter et de sécuriser la production apicole. Aux côtés des grandes productions, les modestes ADA, associations de développement apicole et autre syndicat apicole, sont ainsi devenues des partenaires des Safer.

L'exemplarité du capitalisme agricole à la française


Pour les productions végétales, Dominique Chambrette, vice-président de l'AGPB, est venu témoigner de l'importance du modèle d'organisation des Safer. Il a insisté sur la position favorable de la France céréalière, qui a tous les atouts en mains pour répondre à la croissance de la demande mondiale en céréales : des rendements relativement constants, un approvisionnement fiable pour les circuits de commercialisation et, « clé de la compétitivité, des petites structures qui produisent les rendements les plus importants. La petite exploitation français joue grâce à cela dans la cour des grands et se trouve mieux placée que ses concurrents russes ou ukrainiens ». Le vice-président de l'AGPB relevait ainsi « l'exemplarité du capitalisme agricole » à la française, qui s'affirme comme un « facteur de compétitivité » face au danger « de la financiarisation de l'agriculture ». Reste que l'agriculture française n'est pas exempte de critiques et pourrait certainement mieux faire en termes de réorganisation et de restructuration parcellaire.
L'Etat et les Safer semblent en tout cas bien être sur la même longueur d'onde pour les questions foncières. La situation actuelle est d'ailleurs appelée à évoluer rapidement puisque le représentant du ministre de l'Agriculture a annoncé la signature d'un pacte d'avenir entre le gouvernement et la FNSafer « dans les semaines à venir » et la tenue, d'ici l'été 2015, d'un colloque sur « la grande question du foncier en agriculture ».



Un rôle de veille en matière d'urbanisation


« Les Safer interviennent tout particulièrement dans les filières maraîchères et horticoles. Ce sont souvent des installations innovantes, y compris hors cadre familial », a noté Muriel Gozal, la directrice de la FNSafer, lors de ce congrès. Les primo-installations concernent d'ailleurs, dans leur grande majorité, des candidats hors cadre familial. 6 % des surfaces rétrocédées par les Safer vont à l'agriculture biologique (2 % en régions Bourgogne Franche-Comté).
Les prix des terres et des prés libres étaient en augmentation de 6,2 % (mai 2014), mais la moyenne cache de grandes disparités entre les régions. Les prix peuvent se négocier de 3.500 €/ha dans une grande bande Est-Ouest incluant la Bourgogne et la Franche-Comté, à 12.000 et plus de 13.000 €/ha en Paca et en Corse. Les terres et prés loués sont en hausse de 4,3 % (à 4.240 €/ha en moyenne).
En 2013, les rétrocessions ont été marquées par une hausse des opérations en faveur de l'installation et une hausse du maintien des fermiers en place. Le chiffre des rétrocessions aux collectivités restent stables et de plus en plus de conventions sont signées en faveur d'une veille foncière et d'un accompagnement des projets d'urbanisation. En revanche, l'interrogation porte aujourd'hui sur le devenir des stocks fonciers importants réalisés dans la perspectives de projets urbains ou péri-urbains qui ne verront peut-être jamais leur achèvement. En 2013, 26.000 ha ont été concernés par des projets d'urbanisation, à ce rythme là, s'inquiétait Robert Levesque, si les villes continuent de croître, « le potentiel agricole français diminuera encore de 7 à 8 % d'ici 2050 ».