Elevage viande
Des pistes pour s’en sortir

Jeudi dernier, la chambre d’agriculture de Saône-et-Loire exposait le résultat de ses travaux conduits à Jalogny sur l’alourdissement et l’engraissement. L’occasion aussi, dans une conjoncture économique difficile, de tenter d’y voir plus clair pour opter pour l’acte de production le plus efficient, muni des pratiques innovantes testées à la ferme expérimentale.
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Le 28 avril, le lycée agricole de Fontaines était le cadre d’une journée technique consacrée aux pratiques innovantes en matière d’alourdissement et d’engraissement des bovins viande. Organisée par la chambre d’agriculture de Saône-et-Loire, cette journée d’envergure nationale, concoctée en partenariat avec l’Institut de l’élevage et les réseaux d’élevage, était en fait le fruit des nombreux travaux de recherche menés à la ferme expérimentale de Jalogny. Car si l’évènement était délocalisé à Fontaines, c’est bien du site d’expérimentation sur la conduite des troupeaux charolais de Jalogny dont étaient issues toutes les données restituées ce jour. Une délocalisation consécutive à l’incendie survenu à Jalogny au printemps 2015 et à la restructuration du site en cours.
Sur un site de Fontaines en travaux lui aussi, deux salles ont été nécessaires pour loger les quelque 250 participants à la conférence de matinée. Les interventions filmées étaient retransmises simultanément en en direct dans plusieurs salles de classe du lycée et dans d’autres établissements scolaires.
Pas évident de sensibiliser à des pratiques innovantes dans une conjoncture économique si peu favorable à l’élevage. Pas évident non plus de conduire des travaux de recherche expérimentale quand des paramètres économiques très volatiles fluctuent de façon brutale et inattendue, déjouant même les prévisions des plus éminents experts.

Le bœuf finira-t-il en steak ?


Pour tenter d’y voir plus clair, le responsable du département économie à l’Institut de l’élevage, Philippe Chotteau, a apporté ses éléments d’analyse sur les perspectives de production. Des enseignements issus de l’étude "Où va le bœuf ?" conclue en 2015. Premier élément de réponse, outre une baisse de production de -6 % entre 2009 et 2014, le steak haché a bondi à 40 % de parts de marché. C’est donc vers le haché que va le bœuf et, pour une race à viande comme la charolaise, c’est assez dévalorisant. La question est donc « comment différencier les races à viande dans l’offre montante de steak », analysait Philippe Chotteau. Pour le moment, la segmentation de ce débouché ne repose que sur des critères techniques tels que « taux de matière grasse, grammage, pression, adjonction de protéines végétales, destination finale… » ou des marques nationales, voire de distributeurs. Or l’origine ne vient qu’en dernier, constatait l’économiste. L’autre débouché du bœuf est le « piécé » avec, au bas de l’échelle, le premier prix qui se développe beaucoup en période de crise et qui absorbe des animaux laitiers ou « du catégoriel ». A l’autre extrémité, le segment "premium" est en hausse aussi. Il reçoit des génisses, des bonnes vaches viande, mais préférentiellement limousine, blonde ou alors charolaise seulement si elle est dotée d’un label. Au milieu des deux, le cœur de gamme baisse, or c’est justement le créneau de beaucoup de femelles charolaises, constatait Philippe Chotteau.

Trop de vaches lourdes et mal conformées ?


A côté du haché et du piécé, il existe toujours un marché de carcasse destiné à la boucherie traditionnelle. Un créneau qui se maintient certes, profitant du besoin de rassurance des consommateurs, mais demeurant une niche. On assiste par ailleurs à un développement d’un marché dit « de compensé », mais avec une limite de poids et un minimum de conformation (U=), selon l’analyste. Du coup, les vaches allaitantes trop lourdes et pas assez bien conformées se retrouvent en concurrence directe avec des laitières. L’alourdissement des poids de carcasse est un phénomène marqué en race charolaise : +60 kg en 25 ans. Aujourd’hui, deux-tiers des vaches pèsent plus de 450 kg de carcasse et la moitié sont classée R= et moins ; certaines cumulant les deux, d’où une baisse de cotation, expliquait Philippe Chotteau. Ceci dit, « la conformation des charolaises s’améliore quand même. Mais il reste une proportion de vaches problématiques à écouler ». En filière label, la plus-value demeure constante. « Pour une valorisation durable, il faut une adéquation qualitative permanente : s’assurer d’être en ligne avec les besoins de la filière car le client est roi ! », concluait l’économiste.

La Turquie : l’Italie de demain ?


En jeune bovins (JB), Philippe Chotteau évoquait l’érosion de l’export, Italie en tête. En Grèce, les JB français ont perdu du terrain au profit d’animaux issus de Pologne. Seule l’Allemagne et quelques autres pays européens sont le théâtre d’une progression récente grâce notamment à la marque Charolux. Dans les pays tiers, l’Inde et le Brésil sont les gros fournisseurs "low cost". Quant au broutard, Philippe Chotteau ne pouvait que confirmer le tassement du débouché Italie. « La Turquie sera-t-elle l’Italie de demain ? », s’aventurait-il. Quant à l’alimentation animale, l’économiste constatait que les prix demeurent encore chers alors que ceux des céréales et des tourteaux sont bas. Et si un reflux des coûts de production est constaté, il est sans commune mesure avec la baisse des prix. Pour Philippe Chotteau, « c’est le prix du pétrole qui serait le véritable fondamental du marché et tant qu’il ne rebondira pas, on n’a peu de chance de voir le prix des matières premières rebondir… ».

Génisses grasses plutôt que vêlages supplémentaires


Introduisant les ateliers de l’après-midi centrés sur l’alourdissement et l’engraissement, Christian Bourge de la chambre d’agriculture de la Nièvre s’est attaché à évaluer l’efficience économique d’un allongement de cycle pour une exploitation naisseur - polyculteur éleveur - producteur de broutards. Premier enseignement de cette démonstration : la finition des génisses est l’acte de production le plus intéressant aujourd’hui. « De mon point de vue, c’est le seul qui concurrence un vêlage supplémentaire », confiait Christian Bourge. Un constat corroboré par la situation d’éleveurs « déjà noyés par le travail » qui n’ont « plus de levier de productivité », d’où la pertinence d’engraisser les génisses sans avoir à chambouler l’organisation d’une exploitation. Acte de production le plus court et le plus accessible, la finition des vaches dont les cours sont au plus bas, voit cependant son efficience économique proche du seuil d’alerte, analysait l’intervenant. Quant aux JB, la mise en route d’un tel acte de production est une décision lourde qui nécessite anticipation. Pour le polyculteur éleveur, le raisonnement consiste à comparer la valorisation des céréales livrées en quintaux à leur valorisation à travers la transformation de broutards en JB. Dans un marché du JB très volatile, l’efficience de l’atelier varie beaucoup d’une année à l’autre. Le prix optimum à viser étant de 4 € le kilo de carcasse, résumait Christian Bourge.

Devenir autonome en protéines


Dans tous les cas, mieux vaut bien avoir en tête qu’au-delà de 85 vaches allaitantes, l’harmonie d’une exploitation individuelle risque d’être compromise, estimait le technicien. D’où l’intérêt de privilégier l’alourdissement ou l’engraissement plutôt que des vêlages supplémentaires. L’autre enjeu est de viser un minimum d’autonomie alimentaire dans un contexte où l’alimentation pèse pour 55% des charges opérationnelles. « Dans la Nièvre, il est possible d’être autonome en protéines sur les quatre générations de femelles », estimait Christian Bourge. « La production de protéines passe par des prairies contenant des légumineuses, des prairies multi espèces… ». Le technicien faisait état également d’élevages parvenant à contenir leur consommation de concentrés entre 1,8 et 2 kg par kilo vif produit pour une production de 335 kg par UGB. Dans le Morvan nivernais, Bernard Blin ne distribue que 0,8 kg de concentrés par kilo vif en système maigre. Son objectif : « pas forcément faire le maximum de kilos, mais les produire avec le minimum de charge », témoignait-il.



Fauche précoce et herbe enrubannée au menu


Forts de dix années d’essais, les responsables de Jalogny proposent « d’autres façons de faire des rations » générant des « gains sur l’alimentation » et ce grâce à « un trésor que l’on n’exploite pas assez : l’herbe ». C’est en ces termes que le vice-président de la ferme de Jalogny, Dominique Vaizand, introduisait les quatre ateliers animés par Eric Braconnier, Julien Renon, Thierry Lahémade et Jean-Pierre Farrié. Au menu de ces quatre exposés, l’enrubannage pour la repousse et la finition. Depuis plusieurs années en effet, Jalogny expérimente des rations à base d’herbe enrubannée pour la finition de réforme, de jeunes bovins et la repousse de broutards. Ces essais ont permis de montrer que l’introduction de fauche précoce sous forme d’enrubannage peut, par exemple, conduire à une réduction importante des quantités de concentrés (de 130 à 300 kg par broutard).




Point de vue
La crise s’arrêtera un jour…


« La situation vient en grande majorité de la crise laitière, mais cette crise s’arrêtera un jour et le charolais redeviendra alors un produit recherché ». C’est par ce propos optimiste que le représentant de la FNB, Emmanuel Bernard, concluait la conférence. Pour lui, nul doute que « la filière et le marché intérieur auront à nouveau besoin de nous. Et s’ils nous demandent des petites carcasses aujourd’hui, ils pourront très bien nous demander l’inverse demain ! », poursuivait ironique le responsable professionnel. Résolument positif, Emmanuel Bernard rappelait que « jamais il ne s’est autant consommé de viande bovine en Europe, que le troupeau se tient en termes d’effectif et que tous les étrangers viennent nous voir ! ». Un moment difficile à passer en somme.