Les prix céréaliers
Sous la pression des stocks

Publié par Cédric Michelin
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Au plus bas depuis le début de la campagne de commercialisation, le blé tendre entraîne dans son sillage l’orge, le maïs. Leurs prix subissent la pression de stocks mondiaux les plus élevés depuis 29 ans, a indiqué le 25 février le Conseil international des céréales (CIC). Les perspectives de rebond semblent lointaines.
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Les cours du blé tendre sont descendus le 24 février sous la barre psychologique des 150 euros/tonne sur Euronext en échéance mars, brisant au passage un support technique. Même tendance à Chicago, avec la cassure des 4,50 dollars/boisseau sur le rapproché. « Le marché revient sur ses plus bas de 2010 après la crise des subprimes », a souligné le même jour le cabinet Agritel. Dans sa chute, le blé tendre entraîne les autres céréales. Jusqu’où cela peut-il aller ?

Une abondante production mondiale de grains met les prix sous pression. Le CIC (Conseil international des céréales) a révisé le 25 février ses estimations à 2.002 Mt sur 2015-16, soit 2 % au dessous du record de l’année dernière. D’importants stocks sont prévus en fin de campagne, à leur plus haut niveau sur 29 ans. Ce qui va amortir l’impact des baisses de récolte sur la campagne à venir, d’après son rapport. La lourdeur des marchés en est renforcée.

Demande atone



Le blé tendre a perdu, depuis fin novembre, une quarantaine d’euros la tonne, à 137 €/t en rendu Rouen. « Le marché a dévissé parce que l’Argentine est de retour », explique le responsable de l’analyse des marchés au sein d’une grande coopérative. Après l’élection du nouveau président Mauricio Macri, le pays a supprimé des taxes à l’exportation de céréales. S’en est suivie une vague de blé argentin, qui « a piqué 2,5 voire 3 Mt de débouchés à l’Union Européenne en à peine deux mois », poursuit-il. « L’Europe de l’Ouest a plutôt loupé sa campagne d’exportation, faute d’avoir anticipé » une nouvelle concurrence sur le marché mondial. Si l’Argentine a joué comme un détonateur, d’autres éléments sont intervenus : chute des cours du pétrole, tempête boursière, conditions de culture favorables… Les facteurs haussiers ont quant à eux manqué.

Cet effondrement des prix céréaliers aurait pu stimuler la demande mondiale. Las, nombre d’acheteurs manquent d’appétit. Explication de FranceAgriMer : « La contrainte financière et les difficultés de trésorerie, en particulier des pays exportateurs de pétrole, l’emportent sur l’opportunité de constituer des stocks à bas prix », écrit l’établissement public dans sa dernière note de conjoncture mensuelle.

Concurrence exacerbée



La concurrence sur les marchés céréaliers se trouve exacerbée par la faiblesse du prix des frets maritimes. Indice phare du marché, le Baltic Dry Index (BDI) est tombé mi-février au plus bas depuis sa première publication en 1985. Des coûts de transports réduits permettent aux acheteurs d’aller chercher plus loin leurs marchandises.

« La France est en retard dans la commercialisation » de son blé tendre, ajoute le même analyste de la coopérative. « Au premier semestre, il y a eu de la rétention chez les agriculteurs. Ça n’a pas aidé à être compétitif ». Des stocks inhabituels sont relevés, à la fois dans les mises en dépôt chez les collecteurs et à la ferme. Certes, la dernière moisson a battu un record. Mais les débouchés n’ont pas suivi. « L’Algérie est maintenant presque couverte en blé, aux deux tiers d’origine France donc pas plus que l’an dernier, indique-t-il. A croire que notre accident de récolte 2014 lui a ouvert de nouvelles solutions » d’approvisionnement.

L’abondance des stocks de céréales pèse sur les marchés. « Les prix devraient rester sous pression jusqu’à fin 2015-16, voire le début de campagne suivante, analyse Damien Vercambre, de la société Inter-Courtage. Aucun fort rebond n’est en vue ». Pas non plus d’effondrement : le marché semble avoir quasiment touché le fond, selon les opérateurs. À condition que les opportunités à l’export soient saisies. « Les débouchés du blé français stagnent, quand la récolte affiche plus de 3 Mt supplémentaires, observe Alexandre Boy analyste chez Agritel. Cela implique d’être agressifs sur les pays tiers, notamment vis-à-vis de la demande fourragère en Asie du Sud-Est. Il n’y a pas assez d’acheteurs de qualité meunière à 11 % de protéines. Le blé français doit s’aligner sur d’autres origines fourragères comme l’Argentine. Une baisse de l’euro ces derniers jours a permis d’approcher la parité ».

Vers une plus grande volatilité



Les cours des grains vont prochainement entrer dans une phase de volatilité accrue, nommée « weather market ». Au moindre incident climatique, de fortes variations sont à prévoir. L’observatoire des cultures de la Commission européenne, publié le 22 février par le service de prévisions Mars, a relevé un faible endurcissement des céréales d’hiver sur une large partie de l’Europe. Cela signifie une vulnérabilité face au gel. « Les cultures en France ne sont pas à l’abri d’un coup de froid pendant quelques jours en avril ou mai », note Damien Vercambre.

Egalement scrutées par les opérateurs, les situations en Inde, au Maroc, en Ukraine. L’impact de la sécheresse pourrait conduire le géant asiatique à un retour massif aux achats. Elle risque d’accroître les besoins d’importation du client maghrébin, traditionnel acheteur de blé français. Une baisse significative de la récolte chez le concurrent de la mer Noire, où les emblavements d’automne ont chuté, réduirait la pression de l’offre sur le marché mondial.

Stocks à la ferme : +29 % en blé tendre, +10 % en orges



Au 31 décembre 2015, 23 % de la récolte française 2015 de blé tendre sont estimés en stock chez les agriculteurs, a indiqué FranceAgriMer le 18 février. « Les stocks à la ferme de blé tendre au 31 décembre ne cessent d’augmenter depuis la campagne 2012-13, selon l’enquête mise en ligne sur son site internet. La hausse est estimée à +29 % entre le 31 décembre 2014 et le 31 décembre 2015. Cette hausse peut s’expliquer par des cours bas du blé tendre depuis 2013-14, une production qui augmente à chaque campagne (estimée à +9 % entre 2014-15 et 2015-16) et des utilisations du marché relativement stables. » Au 31 décembre 2015, 13 % de la récolte française 2015 d’orges est estimée en stock chez les agriculteurs, soit une hausse de 10 % sur un an. FranceAgriMer a par ailleurs indiqué des mises en dépôt chez les collecteurs de 6 Mt de blé tendre (+51 % sur un an), 1,2 Mt d’orges (+55 %) au 1er janvier.



Maïs : l’UE en passe de déclencher des droits de douane sur les importations (AGPM)

La faiblesse des cours du maïs pourrait conduire Bruxelles à taxer les importations, a indiqué le 22 février l’AGPM (producteurs), signalant des prix européens inférieurs aux coûts de production. « Suite à la baisse des cotations américaines, aux évolutions de la parité euro/dollar et à la contraction des prix du fret, le maïs américain arrive, à Rotterdam, à un prix Caf voisin des 157 euros/t, soit le seuil retenu par la Commission pour déclencher les droits de douane sur les importations de maïs en UE », selon une note de conjoncture. Des certificats d’import ont été délivrés pour 9,1 Mt de maïs depuis le début de campagne, relève l’AGPM qui souligne la pression de l’origine Ukraine. Le dernier déclenchement des droits de douane dans l’UE remonte au début de la campagne 2014-15.