Qualité des viandes
Rétablir quelques vérités

Publié par Cédric Michelin
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Alors que sort au cinéma le documentaire "Steak Révolution, à la recherche du meilleur steak du monde", Jean-François Hocquette, directeur de recherches de l’Inra et animateur du Groupement d’intérêt scientifique (GIS) "Muscle, Viande et Produits carnés" précise ici ce qui fait une bonne viande bovine. Rencontre.
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Dans son ouvrage "L’effet bœuf" paru en 2012, le boucher parisien Yves-Marie Le Bourdonnec, héros du documentaire cinématographique "Steak Révolution", estime que la viande anglaise serait la meilleure du monde. Êtes-vous d’accord ?
Jean-François Hocquette : il faut d’abord s’entendre sur la qualité. Il y a d’un côté les caractéristiques intrinsèques de la viande, comme la tendreté, le goût, la jutosité, la qualité nutritionnelle, la qualité sanitaire, etc. Et il y a, de l’autre, les qualités extrinsèques, qui sont tous les critères recherchés par le consommateur citoyen, le respect de l’environnement, le bien-être animal, mais aussi l’image de la marque, du label de qualité, etc.
Plusieurs études scientifiques ont montré qu’il n’existait pas de différence majeure entre les races bovines, en termes d’appréciation sensorielle. Cela a été par exemple démontré pour la tendreté dans le cadre du programme de recherche européen sur quinze races différentes, GemQual, 2006.

La viande issue d’une Charolaise aurait donc les mêmes qualités sensorielles que celle d’une Aberdeen-Angus ?
J.-F. H. : la race n’est pas prépondérante dans la qualité. Il existe des différences trop importantes entre animaux au sein de la même race ou entre muscles du même animal, qui masquent complètement les éventuelles différences entre races.
Certes, les races ont des caractéristiques différentes : les races britanniques et surtout japonaises produisent des carcasses et des viandes plus grasses que les races à viande française, plus maigres car plus tardives. Mais le type d’animal (mâle ou femelle), le type de muscle et d’autres facteurs très importants comme la maturation restent prépondérants dans la qualité de la viande.

Si la race n’est pas prépondérante dans les qualités intrinsèques de la viande, quels sont les critères importants ?
J.-F. H. : prenons le critère "Tendreté". Sa variation entre plusieurs carcasses s’explique pour les trois quarts par des facteurs non génétiques, parmi lesquels il faut surtout mentionner la maturation. Le stress aigu durant le transport et/ou l’abattage a aussi un rôle. Il va épuiser les réserves en glycogène du muscle et perturber ainsi la transformation du muscle en viande. Des travaux plus récents ont également montré que les bovins les plus stressés avant l’abattage sont aussi ceux qui produisent la viande la plus dure.

Aux yeux de Le Bourdonnec, les charolaises seraient trop coûteuses à engraisser, souvent trop maigres. Qu’en pensez-vous ?
J.-F. H. : il faut trouver un compromis. Le fait que la viande soit plus maigre peut conduire à un goût moins prononcé de la viande. En effet, la flaveur de la viande augmente avec le taux de lipides dans le muscle jusqu’à 4 à 5. Cependant, plus la viande est grasse, plus elle est riche en acides gras saturés, lesquels sont associés à la survenue des pathologies cardiovasculaires…
En France, la teneur en lipides dans les morceaux de viande nobles est aux alentours de l’optimum recherché.

Dans son ouvrage, il explique que les bouchers ont incité les éleveurs à ne sélectionner leurs animaux qu’en fonction du rendement carcasse au détriment de la qualité de la viande. Faites-vous la même observation ?
J.-F. H. : il est vrai que le système de paiement des éleveurs n’est pas basé sur la qualité sensorielle en bouche, mais bien davantage sur les caractéristiques de la carcasse des animaux. Pour autant, cela ne veut pas dire que la qualité de la viande s’est dégradée. En effet, une enquête de l’Institut de l’élevage conduite en 2009 a montré que les consommateurs sont relativement satisfaits de la tendreté de la viande bovine qui leur est proposée.
Cependant, il existe des degrés de satisfaction différents selon le type de produit dégusté et une grande variabilité de résultats par produit. Le problème, c’est qu’il n’y a aucune relation nette entre le prix de vente du produit et la tendreté de celui-ci.
Cela plaide pour un système plus moderne de rémunération de l’éleveur à la qualité réelle et en bouche de la viande appréciée par le consommateur, comme cela se développe par exemple en Australie.

Le Bourdonnec appelle les éleveurs français à abandonner l’élevage de vaches de races pures, pour l’élevage d’animaux à la génétique plus variée. Cela vous paraît-il opportun ?

J.-F. H. : dans la culture française, la notion de race est importante, car porteuse de qualités extrinsèques, c’est-à-dire non liées au produit lui-même. La race véhicule en effet souvent la notion de terroir, de typicité régionale et/ou est associée à un mode de production particulier, par exemple à base d’herbe. Nous sommes donc là dans un autre registre qui s’ajoute aux critères en bouche, mais qui sont également importants. Pour le consommateur aussi.