Xavier Beulin, président de la FNSEA
L’urgence : accompagner les femmes et les hommes

Face à une année considérée par tous comme historique pour la faiblesse de ses rendements et avec de nombreuses productions en crise, le président de la FNSEA, Xavier Beulin, est à la recherche de solutions efficaces et applicables au plus vite avec des effets sur la durée. L’urgence est clairement d'accompagner les femmes et les hommes humainement, économiquement et socialement.
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On annonce cette crise comme sans précédente, et pourtant au même moment, on a le sentiment que l’agriculture ne fait que subir une succession de crises. Quel est votre regard ?
Xavier Beulin : il y a plusieurs origines à la crise que traverse l’agriculture, la première est celle liée aux marchés mondiaux qui se sont beaucoup dégradés depuis deux, trois ans impactant en premier lieu l’ensemble des productions animales. A cela s’ajoute la récession que connaissent les pays émergents, l’embargo russe et les conflits dans les grandes régions (Maghreb, proche et Moyen-Orient) qui ont des conséquences directes et indirectes sur les marchés agricoles. Enfin, le manque de compétitivité de nos filières –je dis bien "filière"– dans son ensemble pèse également. C’est pourquoi, la FNSEA et tout son réseau se sont largement mobilisés depuis deux ans pour les productions animales. Cette année, la cause climatique avec des crues incroyables dans un certain nombre de régions françaises associée à un manque de luminosité ont fini d’endommager et de dégrader la situation de toutes les cultures, des fourrages, des fruits, des légumes et de l’horticulture. Ajoutons également la crise majeure du lait et de la viande bovine qui s’aggrave et touche hélas de nombreux producteurs.

Quelles en sont les conséquences ?
X. B. : à ce jour, on prévoit une baisse d’un tiers de la production végétale, fruits et légumes compris. En horticulture, certains producteurs ont parfois perdu toute une année de travail. La qualité des fourrages pour les éleveurs est aussi très problématique. Crise sur crise, tout cela s’accumule. Les anciens parlaient de 1976 comme de l’année la plus difficile de ce dernier demi-siècle, mais 2016 sera sans doute la nouvelle référence. Imaginez que des exploitations vont perdre la moitié de leur chiffre d’affaire !

Vous avez récemment fait un appel marqué à la solidarité de la filière alimentaire, en vous adressant en particulier à la grande distribution et aux agrochimistes. Comment cela peut-il se traduire concrètement ?
X. B. : il faut d’abord être très pragmatique. Le pragmatisme nous impose de rechercher toutes les solutions pour répondre à chaque famille d’agriculteur. Au vu de l’ampleur des pertes, les "aides directes classiques" ne seront pas suffisantes. Partant de là, plusieurs pistes sont à mettre en œuvre. En effet, tout le monde a un morceau de la réponse pour faire face. Sur le lait et la viande bovine par exemple, la transformation doit se mobiliser pour soutenir les éleveurs et non avoir que le seul mot de "baisse de prix" à la bouche.

Justement, vous demandez la mise en place d’un fonds de garantie pour les banques et/ou une année blanche ? Pourriez-vous préciser davantage ?
X. B. : au vu des pertes exceptionnelles sur 2016 estimées à plusieurs milliards d’€ et les besoins nécessaires pour redémarrer une campagne 2017, nous sommes en train d’élaborer un plan massif de refinancement des exploitations agricoles qui passerait par les banques.
Ce que nous demandons au gouvernement, c’est la mise en œuvre d’un fonds de garantie et de réassurance des banques, à la hauteur des besoins. Notamment via la BPI (Banque publique d’investissement, NDLR).
Pour 2016 et 2017, il faudra impérativement passer par une voie bancaire. Nous ne voulons plus passer par des cellules d’urgence départementale, mais directement par la banque en vue de négocier les taux, les allègements de dettes, les durées d’emprunts etc. Nous voulons envoyer un signal fort aux paysans. Leur montrer que leurs dirigeants sont à la recherche des solutions les plus adaptées et les plus efficaces. Leur dire que nous sommes à leur côté ainsi que de leur famille.

Donc ce dispositif bancaire, que vous prônez, correspondrait à une sorte d’année blanche ?

X. B. : en gros, oui, cela reviendrait à une année blanche. Reconnaissons qu’il y a trois grands groupes d’agriculteurs cette année :
- ceux qui ne vont pas trop mal et qui passeront le cap sans trop de difficultés ;
- ceux qui n’en peuvent plus car faisant face à des endettements très importants ou ne trouvant pas de successeurs. Pour ces personnes en grave difficulté, il faut que l’on puisse répondre, prudemment et dignement, par des mesures sociales d’accompagnement. C’est notre rôle de les aider, s’ils le souhaitent, à sortir du métier de la manière la plus digne possible ou à reconvertir leur activité ;
- concernant le dernier groupe, c’est-à-dire une grande majorité d’exploitants, ce nouveau coup dur exige des mesures appropriées. Et, je le répète, les aménagements bancaires sont la réponse la plus efficiente.

Ces sujets seront-ils sur la table du prochain Conseil de l’Agriculture française le 1er septembre ?
X. B. : bien sûr. L’idée c’est que chacun, assureurs, banques, mutuelles et coopératives puissent élaborer toutes les formes de soutien aux agriculteurs. Chacun dans son domaine d’expertise.
Face à une telle ampleur, on a besoin de la mobilisation de tous dans la chaîne alimentaire, en incluant bien entendu les pouvoirs publics. Je n’oublie pas non plus les fournisseurs des agriculteurs, les transformateurs et les distributeurs pour que chacun se sente solidaire et cohérent. Au même moment, se tiendra un Conseil des ministres européens sur l’agriculture, du 28 août au 1er septembre. L’idée sera donc d’envoyer aussi des messages dans cette direction.

L’évolution de la Pac sera-t-elle à l’ordre du jour également ?

X. B. : oui. Pour rendre la Pac plus compétitive, plus résiliente et plus durable. La Pac d’aujourd’hui se base uniquement sur les marchés, il faudra y intégrer des dispositifs de gestion de crise et des systèmes assurantiels entre autres. Le marché n’est pas tout. L’agriculture n’est pas un secteur comme les autres, nos dirigeants nationaux et européens l’oublient trop souvent.

Justement, cette crise causée par les aléas de la nature pose tout de même la question de l’assurance chez les agriculteurs. Seulement 25 à 30 % de la profession est assurée…
X. B. : vous avez raison. C’est un sujet de discussion qu’il faut se poser. Sur l’assurance-récolte, il faut que soit pris en compte l’aspect qualité. Ce critère reste déterminant pour que les agriculteurs soient intéressés par cette démarche. Des discussions avec les assureurs sont en cours à ce sujet.

Quel est votre emploi du temps pour cet été ?
X. B. : je vais "bosser" sur mon exploitation et faire des visites de terrain pour écouter les agriculteurs. Faire le tour des présidents d’organisations agricoles, mais aussi des rencontres avec les pouvoirs publics. Tout cela pour être en capacité de proposer un plan d’urgence dès septembre. On ne pourra pas attendre octobre. Par ailleurs, je tiens à rappeler que la FNSEA est toujours mobilisée, à la fois sur les versements des aides 2015 attendues pour la mi-septembre et sur le versement anticipé début octobre d’une avance des aides Pac 2016 correspondant à 85 % de la référence 2015. Nous essayons d’être avec mon équipe sur tous les fronts car l’urgence l’impose. Les crises sont là, le doute aussi. Le syndicalisme de solutions doit remettre l’espoir au cœur de l’action.