Production laitière en Bourgogne
« Un billet de 50.000 € » en moins

Publié par Cédric Michelin
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Le 9 octobre, le préfet de la région, Eric Delzant –accompagné de ses services et de Fabien Sudry, préfet de Saône-et-Loire– s’est rendu à Saint-Loup-Géanges, à la frontière de la Côte-d’Or et de la Saône-et-Loire, écouter les revendications des producteurs de lait bourguignons. Et les doléances sont nombreuses et urgentes avec la prochaine baisse de prix (-30 €/1.000 l) à venir.
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« Depuis la réforme de la Pac de 1992, nous avons bien compris que les pouvoirs publics se désengagaient des marchés laitiers. L’an prochain, la tendance pour les cours du lait sont déjà de -30 €/1.000 l. Chez nous, c’est un billet de 50.000 € en moins ». Régis Dumey est inquiet pour sa Société civile « Lait Sensiel » qui gère 155 vaches en production pour un quota de 1.700.000 litres de lait annuel. Ses associés aussi sont inquiets, comme toute la production laitière de Bourgogne d’ailleurs. Le revenu par UTAF a chuté à 10.000 € l’an dernier, alertait la FNPL par la voix de Nathalie Mairet, productrice de lait en Côte d’Or. Et les perspectives à long terme ne sont pas plus réjouissantes.

MAE inadaptées à la Bourgogne



Sa structuration fait pourtant des plus "productivistes" dans la région pour faire face à la libéralisation des marchés mondiaux et des aléas des cours qui vont avec. Si les agriculteurs comprenaient que le préfet de Région, Eric Delzant ne peut « défendre aucune catégorie professionnelle » contre une autre, en l’occurrence les transformateurs et industriels, en revanche, les producteurs avaient d’autres revendications à faire directement au « chef des services publics » régionaux. Co-président de la section Elevage à la FDSEA de Saône-et-Loire et administrateur régional, Stéphane Convert critiquait le système des aides MAE (Mesures Agro-environnementales) associées de « contraintes » et d’obligation d’investir dans des énièmes mises aux normes. « Avec une obligation de baisser de 40 % nos IFT (indices fréquence de traitements) ou de limiter les concentrés achetés à 800 kg/an, cette MAE ne correspond pas à la Bourgogne. Aucun de nous n’ira », argumentait-il. A cela, Eric Delzant regrettait que la France « ne soit pas aller plus loin dans la décentralisation » pour « appliquer des adaptations locales ». Les producteurs bourguignons réclament entres autres de pouvoir monter à 1.200 kg/an de concentrés achetés, pour maintenir certains modèles économiques en place notamment.

Uniformité des règles en cause



Forcément, la question de l’extension des Zones Vulnérables dans le cadre de la directive Nitrates Européenne était aussi à l’ordre du jour. Une extension « incompréhensible » sur des critères « non scientifiques » pour le président de la FRSEA Bourgogne. Plus globalement, Francis Letellier estime « inacceptable » de « voir des lois contradictoires » s’empiler. Il présentait alors aux Préfets et à la Draaf une boite de 40 cm de haut correspond à toutes les normes régissant le métier d’agriculteur. « Et encore, il n’y a pas les lois environnementales dedans », déplorait ironiquement le laitier Icaunais.
Là encore, Eric Delzant se faisait critique sur « l’uniformité des règles » qui pour lui « est un des maux dont souffre le plus notre pays », regrettant de ne pas avoir plus de « souplesse » régionalement. Une manière intelligente de simplifier en effet.

Une société contre l’élevage



Le représentant des Jeunes agriculteurs de Bourgogne, Samuel Legrand pointait enfin du doigt la problématique d’une « société contre l’élevage » de plus en plus, puisque désormais tout projet d’agrandissement est « refusé » sous la pression d’associations, médiatisées. « Alors que le Ministre veut promouvoir l’agro-écologie, qui est un équilibre entre céréales et monde de l’élevage, demain, nous nous dirigeons ainsi soit vers une Bourgogne céréalière soit vers une Bourgogne désertifiée », puisque les Jeunes éleveurs ne s’installeront pas « sans rentabilité sur les exploitations ». Un comble donc puisque l’opposé de la volonté politique initiale. "L’enfer est pavé de bonnes intentions", disait-on déjà au XIIe siècle…




Loi Hamon, OP et projets anti oligopsones ?



Les politiques dénoncent souvent les situations d’oligopoles (Autoroutes) voir monopoles (voies ferrées) sur les marchés, insistant sur la défense des nombreux consommateurs. Peu en revanche critiquent les oligopsones, pourtant symétriques, avec peu d’acheteurs et beaucoup de producteurs. Là il s’agit, non plus de défendre le pouvoir d’achats mais la capacité de produire du plus grand nombre.


Après Auchan et Système U, Casino et Intermarché vont créer une centrale d’achat commune. Intermarché (14,3 % en 2014) et Casino (11,5 %) représenteront le quart des parts de marché de la distribution. A elles deux, les deux enseignes se retrouvent donc leaders des achats, devant Système A (Auchan et Système U ; 21, 6 %), reléguant Carrefour et Leclerc à la troisième et à la quatrième place. L’objectif de ce rapprochement est d’obtenir de meilleures conditions tarifaires auprès des industriels, avant le début des prochaines négociations commerciales 2015. La guerre des prix s’intensifie donc et bien entendu, malheureusement une fois de plus, se répercutera aux fournisseurs des industriels, c’est à dire les milliers de PME et exploitations agricoles.


Tous les producteurs de ce pays attendent désormais de voir les avancées promises par la nouvelle loi sur la consommation, dite Hamon, censée renforcer leurs pouvoirs de négociation face à ces « centrales » d’achats gigantesques. Sans non plus, se faire trop d’illusions. En attendant de voir, les producteurs de lait s’organisent et évoquaient des projets dont un de type « industriel » visant à leur « redonner du pouvoir de négociation », comme les OP, face aux industriels.



Verbatim


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Régis Demey (éleveur laitier 71)
« On ne peut pas soigner les vaches de manière administrative, il faut laisser chacun faire son métier et prendre ses responsabilités... On croit encore en l'avenir de la filière lait, mais nous disons stop aux aberrations administratives qui nous prennent la tête ! Je n'ai même plus envie de monter sur les grilles de la Préfecture... alors on va essayer de travailler, envers et contre tout, de la manière la plus cohérente possible. Si on n'y arrive pas, parce qu'on nous met trop de bâtons dans les roues, alors on vous laissera les clés ! »

Nathalie Mairet (administratrice FNPL)
« Les producteurs ont été confrontés du jour au lendemain au marché mondial et sur ce marché, c'est la Nouvelle Zélande qui fait le prix. Du fait des distorsions liées au niveau des contraintes et au coût du travail, on ne peut pas être compétitif, ni à l'international, ni en Europe d'ailleurs... Et cela, sans même parler des pratiques de la grande distribution... »

Stéphane Convert (co président section élevage FDSEA 71)
« Cette Pac n'est pas faite pour nous, éleveurs laitiers de Bourgogne. Et quant à la directive Nitrates, plus de la moitié des éleveurs qui étaient aux normes ne le sont plus aujourd'hui. C'est une situation intenable qui joue contre la dynamique de production ».

Francis Letellier (président FRSEA)
« La directive Nitrates est inacceptable en l'état, nous n'acceptons pas un nouveau programme, qui n'est même pas étayé par des bases scientifiques crédibles. La profession est déterminée à attaquer toutes les décisions qui s'avèrent irresponsables sur le plan agronomique comme sur le plan économique. Nous ne reculerons pas. »

Samuel Legrand (JA Bourgogne)
« Il faut se rappeler que l'élevage c'est souvent la porte d'entrée de l'installation. Faites un peu confiance à ceux qui travaillent et vous verrez que l'on ne fera pas autant de c... que vous le craignez ».

Eric Delzant (Préfet de Bourgogne)
« Les soucis que vous avez je les porte, ainsi que ceux des autres acteurs économiques de la Région (... )La France a besoin d'une agriculture forte, c'est un enjeu stratégique pour notre pays (...) Trop de règles décidées au plan national ne prennent pas suffisamment en compte les spécificités locales. Il faut redonner de la souplesse. Je ne peux pas arrêter les contrôles, mais je peux demander que les agents procèdent avec discernement ».