Domaine Cordier à Fuissé
Je travaille plus ma réputation que ma com’

Publié par Cédric Michelin
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Infatigable ! C’est l’impression que laisse Christophe Cordier après trois jours à Stockholm en Suède. Et pourtant, mine de rien, il déploie une concentration de tous les instants.
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A peine arrivé le lundi 9 février, son naturel charmant le rend immédiatement sympathique. Durant ce Wine Tour (1), les vignerons vivent quasiment en communauté. Voire même en vase clos dans le Grand Hôtel. Sans en avoir l’air, ils parlent tous "business" et ce, jusqu’à tard dans la nuit, autour d’un verre. Très peu de confidence personnelle en revanche. Chacun se jauge, se positionne, se prépare pour le lendemain… Christophe a déjà sa tactique : « L’idée est de prendre des échantillons des vins distribués sur le pays sans montrer trop de nouveautés mais plutôt les vins qui vont arriver sur le marché dans quelques mois pour que les sommeliers les découvrent et les listent ». Il a donc préparé et envoyé ses cartons à Chalon. La CRCI centralise les documents douaniers et affrète ensuite les vins de la trentaine de participants. Ne faisant que Stockholm et pas Oslo en Norvège à la suite, Christophe n’a payé que 1.000 €, au lieu des 2.500 €. « C’est bien pour une dégustation clé en main » apprécie-t-il. De fait, Christophe voyage léger : 3 stop gouttes et des cartes de visites. Il a voyagé avec Easy-Jet depuis Genève (120 € AR), sans brochure ni signalétique. Son importateur se charge de fournir les tarifs, lui qui vend directement aux restaurants Suédois. 2.400 à 3.000 bouteilles sont ainsi écoulées. 6.000 (60.000 €) par an au total avec les ventes au Monopole. Ils ont convenu de viser plutôt les restaurants « avec peu de références, proposant des vins aux verres » permettant des réapprovisionnements plus rapides et importants. Avec son réseau export dans une vingtaine de pays, il constate qu’un restaurant à la mode - comme à Dubaï - peut ainsi passer jusqu’à 300 bouteilles par mois. « Je cible ensuite les restaurants, hôtels et lieux haut de gamme, pour assurer une visibilité de prestige. Mais cela ne permet pas de gros débit », admet-il. Mais pour lui, les retombées sont autres : « Je travaille plus ma réputation que ma communication », confirme Christophe, non adepte des publicités.
En anglais, Christophe accueille chaleureusement son importateur. Stefan Schlyter est venu l’épauler pour la dégustation de ce mardi. Ils débouchent, vérifient et discutent ensemble des vins. Immédiatement, Stefan publie des photos d’eux sur les réseaux sociaux. Dans cette grande salle, les autres exposants finissent eux aussi de préparer leur table. Tous doivent être prêt à recevoir dès 11 h, les « 40 top sommeliers et journalistes suédois » invités à la "Wine Masterclass" organisée juste avant par le BIVB.
Dès le début, il faut donc être concentré. Le premier journaliste à s’approcher est justement « one of the top », signale Stefan, qui engage la conversation en suédois. Sans être perturbé, Christophe prend le relai en anglais. Le duo fonctionne. Les dégustations et les prises de contacts s’enchainent. Le code couleur sur les badges permet de repérer qui fait quoi et où. Pratique pour les importateurs. Pas évident pour les français qui s’échinent à repérer sur la liste des inscrits, les noms des suédois dignes d’un catalogue Ikea.
Sans cette pression, avec le sourire et sans forcer, Christophe parle de ses terroirs, de l’élevage et de la vinification. Le rituel semble immuable dans la présentation de sa gamme. Il s’est aussi s’adapter. « Si dès le début, je sens que le dégustateur est pressé alors je passe directement à mon vin le plus haut dans la hiérarchie ». Ce n’est pas le cas aujourd’hui
Pourtant, sans précipitation, à 12h30, une cinquantaine de Suédois sont déjà passés. A l’image de quatre sommeliers s’approchant, les suédois présents sont en majorité de jeunes urbains –entre 25 et 40 ans– au look branchés, avec des tatouages, dénotant avec leur sympathie. Il faut dire que depuis 2011 et la baisse de TVA pour la restauration en Suède, 1.000 nouvelles adresses ont ouvert rien qu’à Stockholm ! La gastronomie française –et ses vins– ayant le vent en poupe (avec l’Italie) comme le prouve les noms des restaurants : "Brasserie le Rouge", "Le Bistrot", "Gaston"… Stefan remet méthodiquement les tarifs des vins en échange des cartes de visite. Impeccable, le personnel du Grand Hôtel ramène des sceaux avec de la glace fraiche.
Lorsqu’un badge rouge se présente, un importateur, Christophe se met en retrait, certainement pour ne pas froisser Stefan. Il avoue par contre que s’il devait changer un jour, il passerait par Cécilia, du bureau Suédois de Business France. Il prête également attention au « bouches à oreilles ». Justement son confrère de Meursault (Côte d’Or), Pascal Clément va parler de lui à son importatrice en Norvège. En échange, Christophe demande à Stefan d’aller déguster ses vins. « Je n’ai pas d’importateur en Norvège et lui n’en a pas ici en Suède. C’est important de tisser une toile humaine, y compris entre nous », explique Christophe.
Arrive alors un journaliste « influent », Anders Levander. Concentré, il pose des questions pointues : sur la nature des sols, sur les quantités produites, sur les dates de récolte et les taux d’alcool alors… Christophe lui répond précisément et reprend la main en le questionnant à son tour pour savoir s’il est déjà venu dans le Mâconnais. Ils échangent leurs contacts et Christophe promet de le relancer en rentrant.
14 heures, toujours pas le temps de s’asseoir. De plus en plus de non-inscrits se présentent. Parfois, ils discutent en Suédois un long moment… de solitude ou après il faut savoir reprendre vite le fil de la conversation. Mais par expérience, Christophe a remarqué que « ce sont souvent ceux qui viennent décontracter qui sont les plus importants car ils savent qu’ils ne seront pas refusé à l’entrée ». Ils prennent des photos des bouteilles et des vignerons avec leurs Smartphones. En basket, pantalon en toile bleu, chemise blanche et avec un pull col V rouge, Christophe se distingue.
15 h, les conversations s’allongent et quelques rires résonnent par instant. Le temps passe avec moins de monde dans les allées. Il est déjà 16h30 et le soleil couchant pénètre et vient faire miroiter les lustres sur les murs dorés. Les restaurateurs se font plus rares, partis préparés la soirée. Les Suédois mangent tôt, vers 18h.
La tension remonte soudainement d’un cran. L’acheteur du Monopole, System Bolaget, se présente. Gad Petterson parle français. Christophe change un peu sa présentation et lui explique qu’il a légèrement modifié ses étiquettes, dorées désormais, mais sur tous ses vins « pour ne pas perdre les clients ». La dégustation est rapide. A peine le temps de lui indiquer qu’il vient de reprendre 3 ha de viré-clessé. Gad Petterson commente peu mais il juge que son pouilly-fuissé 2013 n’est pas typique du cru. Pour lui, « il ressemble davantage à un Chassagne » lâche-t-il sans émotion apparente. Christophe dégaine alors sa cuvée spéciale Jean-Gustave, amenée pour le diner de "La Paulée" annulé. Il explique son élevage sur lies en fût pendant 48 mois « intéressant pour la complexité et la garde ». Rajoutant, qu’il n’y a en a que 900 bouteilles. « Il faut savoir créer la pénurie et ne pas demander combien de bouteilles vous voulez vendre au Monopole », soutient Christophe. Les deux hommes se connaissent un peu. Avant d’être préposé aux achats de vins Français pour le Monopole Suédois, Gad était venu visiter le Domaine à Fuissé. « Ils ne peuvent pas se laisser soudoyer mais ce sont de grands amateurs de vins, sensibles aux bonnes choses », ressent Christophe. Sans rien conclure, avant de partir, Stefan cherche à savoir ce qu’il pense. A priori, deux nouvelles références pourraient rentrer sur les linéaires des magasins prochainement.
La nuit est tombée sur Stockholm. Il est 17h20. La dégustation se termine à 18 h mais deux importateurs se présentent. Stefan est parti avec des échantillons pour faire déguster un journaliste dans une autre pièce. Christophe rouvre donc des bouteilles. Les vignerons, représentants et négociants ont maintenant plus de loisir pour aller déguster les fins de bouteilles des confrères. L’occasion pour chacun de comparer les bilans de la journée. Après 6h debout, les articulations sont lourdes mais chacun se détend. La grande majorité d’entre eux sont ravis. Tous en conviennent : « c’est important de venir à la rencontre des sommeliers, des journalistes et des importateurs ».
Après que Stefan soit parti, Christophe donne une des bouteille ouverte à l’importatrice qui tenait le stand à côté. « Les affaires peuvent aussi se faire après », n’oublie pas Christophe.
Car, si Stefan a voulu l’exclusivité des vins du Domaine Cordier en Suède, alors qu’il travaillait avec un autre importateur, Christophe a accepté mais lui a fixé des objectifs. « Sinon, au bout de 2-3 ans, les chiffres baissent. Nous en rediscutons une fois par an en direct ou par mail ». Il ne négocie pas plus ses prix en fonction des volumes.
A table le soir puis au bar de l’hôtel, les vignerons se retrouvent et échangent plus longuement. Le lendemain matin, Christophe leur dit au revoir, eux en direction d’Oslo, lui de retour à Fuissé. Il est toujours ravi des « belles opportunités » entraperçues hier. « A confirmer. Je vais certainement revoir Gad à Prowein », rajoute-t-il. Son objectif « idéal » serait de « faire 200.000 bouteilles plus valorisées, avec l’export, plutôt que ses 300.000 cols » actuels avec son Domaine de 35 ha, lui permettant ainsi de baisser sa partie négoce.
Et de conclure : « c’est ça qui est passionnant. Un jour, on est à l’étranger et on croise un président (Palestinien) et le lendemain, on est de retour dans sa vigne à préparer une plantation ».

(1) Wine Tour organisé par la Chambre régional de commerce et d’industrie (CRCI) Bourgogne, l’Interprofession des vins de Bourgogne (BIVB) et Business France en Suède.




Jamais sans son smartphone



Il n’est pas accro mais presque. Christophe Cordier vérifie régulièrement son iPhone 6. Et pour cause, même à l’étranger, il est en lien en permanence avec son Domaine. « On traite toutes les commandes dans les temps… soirs et weekend compris ». Car, « avec mes importateurs, j’échange beaucoup par mail, souvent le soir après ma journée à la vigne. Je dors peu car je travaille avec le monde entier ». Et son Smartphone lui sert aussi à accéder au réseau social Linkedin, axés sur les professionnels. Christophe a environ 3.000 contacts dessus. « Je me suis mis dessus et après, j’ai reçu plein de demandes ». Il a ainsi pu recontacter des clients ou en inviter de nouveau pour des rendez-vous. « J’envoie ainsi 300 messages en 10 minutes et ça ne coute rien, en ciblant par pays ».
Même si « le fait de voyager, lui permet de voir les prix auxquels ont peut vendre », Christophe surveille ses concurrents sur chaque pays avec l’application Wine Searcher. « Les importateurs sont au courant des prix et s’ils ont du mal à trouver un vin, alors ils sont prêts à mettre plus cher ».
Et même quand il travaille à la vigne, Christophe utilise l’application anglaise de la BBC « 2 h chaque jour pour parfaire mon anglais, me tenir au courant des informations internationales et notamment des cours des monnaies. D’ailleurs, avec un dollar fort, je vais prochainement retravailler fortement le marché Américain ». Mi-avril, il a décidé de faire un périple San-Francisco, Dallas, Houston, Miami, Washington. Le tout en 4 jours !



Monopole Suédois : Pas si unique et si figé !



42.900 € de PIB par Suédois ; contre 30.600 € en moyenne en France. Pas de doute, la Suède et ses 25 millions de "consommateurs" sont globalement « riches ». C’est le 9e marché en valeur pour les vins de Bourgogne, selon le BIVB. 80 % du marché des vins se fait dans trois villes : Stockholm, Göteborg et Malmö. « Il faut être à Stockholm qui représente encore 80 % de ce total », insistait Johan Lidby, un des 900 importateurs du pays. Si 90 % des ventes de vins se font via les magasins System Bolaget, les 10 % restant passent par les restaurants « en pleine effervescence » (8 %) et Internet (2 %) en « zone de flou ». En effet, l’Etat Suédois cherche à enrayer ces commandes de particuliers contournant le Monopole qui de fait, devient « plus souple » en terme de référencement. Les importateurs peuvent donc inscrire à tout moment un vin dans la catégorie "assortiment sur commande" ou celle "assortiment exclusif". Ces vins sont alors uniquement accessibles sur Internet. Le stockage se faisant chez l’importateur. Les clients Suédois commandent en ligne et sont livrés dans le magasin System Bolaget de leur choix. Le Monopole « assure une meilleure adaptation offre/demande pour chacun de ses magasin de quartier », se réjouissent notamment les média Suédois.