Une guerre commerciale de plus en plus pressante
Après un premier tour de chauffe avec l’instauration de droits de douane sur les importations du Mexique et du Canada – finalement reportée – et surtout de la Chine, le président américain Donald Trump pourrait tourner sa guerre commerciale vers l’Union Européenne avec un risque pour l’agriculture. Mais Bruxelles veut croire au dialogue tout en ouvrant sa politique commerciale à d’autres partenaires.

Après l’avoir promis à ses partisans durant la campagne des présidentielles, le président américain Donald Trump est bel et bien passé à l’action en annonçant, le 1er février, la mise en place de droits de douane additionnels de 25 % sur les importations mexicaines et canadiennes (en dehors du pétrole taxé à 10 %) à compter du 4 février. Également dans le viseur de la Maison Blanche, la Chine voit ses exportations être taxées, mais à un niveau moindre (10 %). En réaction, Mexico a immédiatement annoncé « des mesures tarifaires et non tarifaires en défense des intérêts du Mexique », tandis qu’Ottawa a préparé des rétorsions pour un montant global de 155 milliards de dollars canadiens (Md$ CA) dont certaines concernent les produits agroalimentaires – notamment volaille, œufs, saucisses, blé dur, produits laitiers, certains fruits et légumes (avec le porc et le bœuf dans les tuyaux). Mais ces deux pays, pourtant alliés des États-Unis, ont finalement réussi à négocier un délai d’un mois, moyennant quelques concessions sur la lutte contre le trafic de drogues et l’immigration.
La Chine a réagi, de son côté, en prenant des mesures contre les importations d’hydrocarbures, de charbon et de certains véhicules en provenance des États-Unis, dont des machines agricoles, en ouvrant une enquête à l’encontre de Google et en portant le différend devant l’OMC. La Chine a également annoncé des restrictions d'exportation sur ses terres rares, utiles pour les batteries et composants électroniques. En parallèle, en plus de négocier avec l'Ukraine pour ses terres rares dans la foulée, Donald Trump a aussi chargé son administration d’examiner les différentes politiques commerciales et de lui fournir des recommandations d’ici le 1er avril. Et il promet déjà des sanctions pour l’UE « très bientôt », tout en assurant ne pas avoir « de calendrier ».
Destination privilégiée
Du côté du Vieux Continent, les États membres s’interrogent sur la ligne à adopter face au nouveau locataire de la Maison Blanche, et Bruxelles fait pression pour maintenir, coûte que coûte, l’unité de l’UE dans sa réponse. Le secteur agricole pourrait faire les frais d’une hausse des tensions commerciales. Sur les dix premiers mois de l’année 2024, les exportations agroalimentaires de l’UE outre-Atlantique se sont établies à près de 25,1 milliards d’euros (Md€), en croissance de 3 % par rapport à la même période en 2023. Celles-ci représentent même 13 % du total des exportations de l’UE vers les États-Unis. Au niveau des filières, les plus touchées pourraient être les boissons alcoolisées (vins, spiritueux, bières et cidres), dont les envois comptaient pour plus d’un tiers des exportations agroalimentaires de l’UE aux États-Unis en 2023. L'Italie pourrait également jouer de la relation privilégiée entre Trump et paradoxalement la nationaliste Meloni, pour y échapper. À un moindre niveau, les exportations de préparations de céréales (9,8 %, 2,7 Md€ en 2023), de produits laitiers (6,9 %, 1,9 Md€) ou encore d’olives et d’huiles d’olive (6,8 %, 1,8 Md€), malgré les mesures encore en place, pourraient aussi être concernées.
L’avenir des relations transatlantiques était d’ailleurs à l’ordre du jour de la « retraite » des chefs d’État et de gouvernement le 3 février à Bruxelles, une réunion informelle du Conseil européen. « Les États-Unis sont nos amis, nos alliés et nos partenaires. Il s’agit d’une relation profondément enracinée et qui sera durable », veut croire le président du Conseil européen, l’ancien Premier ministre portugais Antonio Costa en conclusion de la réunion.
Tous azimuts
Le Slovaque Maros Sefcovic, en charge de la politique commerciale au sein de la Commission, mise avant tout sur le dialogue afin de prévenir d’éventuelles mesures américaines. « Cela étant dit, l’UE répondrait fermement à tout partenaire commercial qui imposerait de manière injuste ou arbitraire des droits de douane sur les produits européens », a-t-il toutefois prévenu, le 4 février, lors de la réunion informelle du Conseil Compétitivité et Affaires étrangères.
Mais l’exécutif européen souhaite aussi s’ouvrir à d’autres destinations et de nouveaux partenariats. « Nous sommes des négociateurs – c’est dans notre ADN », a rappelé le commissaire slovaque, en abordant les récentes conclusions des accords commerciaux avec la Suisse, le Mercosur et le Mexique, et la relance des discussions avec la Malaisie. Maros Sefcovic a également évoqué celles avec les Philippines, l’Indonésie et la Thaïlande ou encore l’approfondissement des relations avec les pays du Golfe. Et d’affirmer qu’il comptait « [s'] engager personnellement à apporter un nouvel élan politique aux négociations en cours ou à venir ».
UE/Mercosur : à la recherche de majorités contre l’accord commercial
L’accord de libre-échange UE/Mercosur suscite toujours le débat chez les parlementaires plus que jamais à la recherche d’alliés. Des eurodéputés belges d’un large spectre politique ont organisé un événement pour convaincre des effets négatifs pour l’agriculture alors qu’en France, leurs homologues validaient une nouvelle fois leur rejet. Le sujet reviendra en plénière à Strasbourg, au grand dam du groupe PPE.
Alors que le texte pourrait arriver dans l’hémicycle européen « d’ici juillet », plusieurs eurodéputés belges, Benoît Cassart (centriste), Saskia Bricmont (Verts), Estelle Ceulemans (socialiste) et Yvan Verougstraete (libéral) ont organisé (en partenariat avec la Fédération wallonne de l’agriculture), le 4 février au Parlement européen de Bruxelles, un événement consacré aux effets négatifs de l’accord UE/Mercosur pour le secteur agricole. Plusieurs points d’inquiétude ont été mis en avant, tant par les représentants du monde agricole (agriculteurs wallons, Copa-Cogeca, betteraviers européens, travailleurs agricoles) que par les ONG (Humundi) ou les eurodéputés, comme les divergences de normes sociales et environnementales, la concurrence déloyale et les effets cumulatifs des contingents tarifaires. Également évoquée, la question du fonds de compensation n’a pas obtenu de soutien, le Copa-Cogeca soulignant l’incohérence de calendrier entre la présentation du prochain cadre financier pluriannuel et l’éventuel passage de l’accord au Parlement européen. Pour le lobby agricole, cela n’offre aucune garantie aux agriculteurs.
Oppositions
De son côté, Saskia Bricmont constate une opposition transpartisane à l’accord entre plusieurs acteurs aux intérêts distincts. « Nous arrivons au même constat : pour la planète et pour les agriculteurs, il faut faire obstacle à cet accord », indique-t-elle. Et de souligner l’importance de construire des majorités au Parlement européen, mais aussi au Conseil pour s’opposer à l’accord. Un débat avec la Commission européenne sur l’accord commercial aura lieu le 13 février à l’occasion de la séance plénière à Strasbourg. Une demande d’échange qui a suscité la controverse. Dans un message publié sur le réseau social X le 5 février, le PPE (droite) déplore une majorité des contraires (Verts, Socialistes, extrême droite) contre l’accord alors même que ce groupe politique est divisé sur le sujet en raison de sa proximité avec le monde agricole.
En France aussi, les députés de l’Assemblée nationale se sont emparés du sujet. Ils ont adopté à l’unanimité, le 30 janvier, deux propositions de résolution européenne s’opposant à l’accord. La première « invite le gouvernement français à signifier à la Commission européenne son refus de l’accord », ainsi que « son opposition » à une adoption « contournant la ratification par les Parlements nationaux ». L’autre texte va plus loin en demandant l’inscription dans le droit européen de « mesures miroirs », visant à respecter les normes sociales et sanitaires en vigueur sur le Vieux continent.