Un amendement surprise sur l’étiquetage qui inquiète les filières
« Nourri aux OGM », modes d’élevage, nombre de traitements phyto sur les fruits et légumes frais, et origine des produits animaux. Ce sont les quatre mentions qu’un amendement « surprise » de la majorité, en provenance des associations environnementales et welfaristes, propose d’imposer à horizon 2023. Adopté le 26 mai à l’arraché par les députés, contre l’avis du rapporteur et du gouvernement, l’amendement n° 2219 au projet de loi est passé relativement inaperçu, couvert par le brouhaha causé par le glyphosate. Et pourtant, ce texte pourrait être majeur, suffisamment pour alarmer les filières concernées, qui témoignent de leur incompréhension et espèrent son retrait.
Défendu en séance par la députée picarde de La République en marche (LREM) Barbara Pompili, l’amendement n° 2219 demande que les informations suivantes soient fournies aux consommateurs à compter de 2023 : « Nourri aux OGM » pour les denrées issues d’animaux nourris avec des OGM ; « le mode d’élevage », pour les denrées alimentaires animales ou d’origine animale ; « l’origine géographique » pour les denrées alimentaires animales ou d’origine animale ; et le « nombre de traitements par des produits phytosanitaires » sur les fruits et légumes frais.
L’amendement stipule que tous les produits « mis en marché sur le territoire français » sont concernés, les conditions d’application devant être précisées par décret en Conseil d’État.
En séance, Barbara Pompili a expliqué l’esprit de cet amendement : « Mieux informer le consommateur », « rassurer » et « mieux valoriser le travail de nos agriculteurs ». Elle est ensuite revenue sur le choix de la date : « 2023, parce qu’il faut donner le temps à l’industrie de réorganiser ses étiquetages ».
Dans l’entourage de l’ex-présidente du groupe écologiste à l’Assemblée, on explique par ailleurs que ce texte est issu des discussions avec trois associations, FNE, WWF et FNH.
Réglementation européenne : « Tout est affaire d’interprétation »
Opposés à cet amendement, le rapporteur Jean-Baptiste Moreau et le ministre de l’Agriculture Stéphane Travert ont, en séance, concentré leurs arguments sur l’origine des produits ; ils ont mis en avant qu’une telle mesure pourrait mettre en péril la position de la France à Bruxelles, et en particulier le sort de l’expérimentation en cours – jusqu’en 2019 – sur l’origine du lait et des viandes comme ingrédients dans les produits transformés, qui a été négociée par la France au niveau européen. Jean-Baptiste Moreau a par ailleurs rappelé que cette expérimentation pourrait être « éventuellement généralisée à partir de 2019 ».
Autre argument qu’ont opposé le ministre et le rapporteur : ce texte n’était, selon eux, pas conforme au droit européen, ce qu’a démenti Barbara Pompili en séance : « Le règlement 1 169/2011 du 25 octobre 2011 relatif à l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires permet aux États d’imposer des mentions complémentaires pour des types ou des catégories de denrées, si elles se justifient par au moins une des raisons suivantes : la protection de la santé publique, la protection des consommateurs, la répression des tromperies, parmi d’autres possibilités », a-t-elle argué.
Dans l’entourage de la députée, on fait remarquer que c’est à cette même disposition européenne que fait référence l’article du code rural instituant l’expérimentation française sur l’étiquetage de l’origine du lait et des viandes comme ingrédients. « Tout sera affaire d’interprétation », indique-t-on.
« Serons-nous capables de l’imposer aux Espagnols ? »
Au-delà de cette incertitude réglementaire, l’amendement inspire d’abord une inquiétude chez Coop de France : le risque que ce type d’affichage soit demandé uniquement aux entreprises françaises, et non aux entreprises situées à l’étranger, comme c’est le cas aujourd’hui de l’expérimentation sur l’étiquetage de l’origine des viandes et du lait comme ingrédients.
L’amendement indique qu’il concerne les denrées « mises sur le marché sur le territoire français ». Mais, s’inquiète Pascal Viné, délégué général de Coop de France : « Serons-nous capables d’imposer l’étiquetage “nourri aux OGM” aux transformateurs espagnols ? Si on veut tuer l’agriculture française, il faut le dire ».
Parmi les quatre informations imposées par l’amendement, une seule, la mention de l’origine des produits animaux, satisfait les filières. Il s’agit d’une demande de longue date des filières de production animale françaises. Depuis 2015, l’étiquetage est obligatoire pour les viandes fraîches et congelées, mais pas lorsqu’elles sont utilisées comme ingrédients (plats préparés).
Nourris aux OGM : « Un nivellement par le bas »
En revanche, la mention « Nourris aux OGM » suscite l'ire des filières. D’abord parce que sa formulation sous-entend que les animaux ne consommeraient que des OGM, estime-t-on chez Coop de France : « Une grande partie de l’alimentation n’est pas OGM, indique-t-on. Ce sont de petites proportions qui sont concernées ».
Les coopératives estiment par ailleurs que le texte engendre « un nivellement par le bas, alors qu’il existe des démarches positives, comme les mentions Nourri sans OGM ». Pour Coop de France, « c’est une manière de stigmatiser certains éleveurs qui n’ont pas d’alternatives. Sous prétexte d’information du consommateur, on affaiblit la production française ».
Au sein de la future interprofession volaille de chair, on regrette l’aspect « erratique et parcellaire » d’une telle mention : « Certaines ONG ont leurs dadas, alors que les filières ont des démarches très structurées, explique Anne Richard, pressentie directrice de la structure. On se focalise sur un élément de l’alimentation, alors que les cahiers des charges label rouge et bio sont beaucoup plus complets. »
« Nous sommes favorables à tout ce qui va dans le sens d’une meilleure information du consommateur », affirme la directrice de l’interprofession laitière Caroline Le Poultier. Toutefois, un étiquetage sur l’alimentation OGM des vaches laitière serait « trompeur » selon le seuil retenu, avance le Cniel. En effet, la part de tourteaux génétiquement modifiés ne représente que 2 % en moyenne de la ration des vaches laitières. Les produits laitiers pourraient donc ne pas être concernés par cet étiquetage du fait de cette « petite part ».
Du côté des fabricants d’aliment, on indique qu’une telle mesure ne poserait pas de problème opérationnel : « Les agriculteurs savent déjà ce qu’ils achètent », indique-t-on chez les fabricants bretons (Nutrinoë). En revanche, cela coûterait plus cher : 480 € la tonne de soja garanti sans OGM, contre 400 €/t pour un soja classique. Les filières les plus concernées seraient la volaille et la filière laitière, fortes consommatrices de soja.
Modes d’élevage : « Pas un critère différenciant pour le bien-être animal »
Les modes d’élevage ne trouvent pas meilleur accueil dans les filières : « Nous entendons derrière cette mesure la petite musique du bien-être animal, explique Pascal Viné (Coop de France). Or, le mode d’élevage n’est pas un critère différenciant pour le bien-être animal ; ce n’est pas parce qu’un animal est élevé en plein air que son bien-être est meilleur. En revanche, travailler sur une segmentation "élevé en pâturage" pour créer de la valeur, pourquoi pas ».
En filière volaille de chair, les professionnels ne voient pas l’intérêt d’un tel étiquetage, étant donné que des mentions officielles – mais aussi des marques privées – garantissent déjà un élevage en plein air : « La volaille dispose déjà d’une segmentation bien identifiée avec les labels rouges et la bio », estime Anne Richard. La filière met également en avant que cette obligation ne concernera que le marché français : « On se tire une balle dans le pied. »
Même interrogation dans la viande rouge. « Sur le principe, personne dans la filière n’est favorable » à l’indication du mode d’élevage sur les produits carnés, assure Paul Rouche, directeur délégué de Culture Viande. Il appelle les parlementaires à « laisser du temps aux acteurs plutôt que de stigmatiser ». Une crainte des filières viande serait que les distributeurs « mettent la pression en demandant d’aller plus vite et plus loin » que ce qui pourra être prévu par la future loi. En effet, « le délai est très court » pour 2023 et cela sera très compliqué à mettre en place.
En lait, cet article, « découvert récemment », interpelle Caroline Le Poultier. En effet pour la filière laitière, « on ne sait pas ce qui se cache derrière les modes d’élevage » qui semble plutôt correspondre aux élevages hors sol plutôt que laitiers. De plus, la filière travaille déjà sur une définition commune de la notion de pâturage afin de proposer aux consommateurs une définition unique pour l’ensemble des produits laitiers.
Produits phytos : « Les termes sont très imprécis »
Dans la filière fruits et légumes, l’obligation d’indiquer « le nombre de traitements » de produits phytosanitaires provoque une forme d’incompréhension. « Quelle est l’utilité de cette information pour le consommateur ? », interroge Bruno Dupont, le président d’Interfel. « On est dans une logique d’information la plus claire pour le consommateur », ajoute-t-il, mais « celui-ci ne va jamais aussi loin et ce n’est pas forcément l’information qu’il attend en premier ».
« Ce n’est pas le nombre de traitements qui détermine la toxicité des produits », détaille-t-il, voyant dans cette mesure le contraire de « cette logique pertinente des EGA qui était de rapprocher les citoyens de l’alimentation ».
Au-delà de ce constat, cette mention n’est pour lui « pas du tout compatible avec la réglementation communautaire », ce qui lui fait penser que l’amendement pourrait être modifié, voire supprimé d’ici le vote final. « Les termes sont très imprécis, on ne sait pas très bien ce que cela peut vouloir dire », relève pour sa part Daniel Sauvaitre, président de l’Association nationale pommes poires.
« C’est quoi un traitement ? Est-ce qu’on ne tient compte que de ce qui est fait après que le fruit soit formé ?, s’interroge-t-il. Il y a une distance entre les 3-4 mots de cet amendement et ce qui pourrait avoir un sens pour le consommateur ». « J’ai envie de penser que c’est un épiphénomène et que face aux difficultés, cet amendement ne sera jamais mis en application », ajoute-t-il.
Un amendement surprise sur l’étiquetage qui inquiète les filières
Défendu en séance par la députée picarde de La République en marche (LREM) Barbara Pompili, l’amendement n° 2219 demande que les informations suivantes soient fournies aux consommateurs à compter de 2023 : « Nourri aux OGM » pour les denrées issues d’animaux nourris avec des OGM ; « le mode d’élevage », pour les denrées alimentaires animales ou d’origine animale ; « l’origine géographique » pour les denrées alimentaires animales ou d’origine animale ; et le « nombre de traitements par des produits phytosanitaires » sur les fruits et légumes frais.
L’amendement stipule que tous les produits « mis en marché sur le territoire français » sont concernés, les conditions d’application devant être précisées par décret en Conseil d’État.
En séance, Barbara Pompili a expliqué l’esprit de cet amendement : « Mieux informer le consommateur », « rassurer » et « mieux valoriser le travail de nos agriculteurs ». Elle est ensuite revenue sur le choix de la date : « 2023, parce qu’il faut donner le temps à l’industrie de réorganiser ses étiquetages ».
Dans l’entourage de l’ex-présidente du groupe écologiste à l’Assemblée, on explique par ailleurs que ce texte est issu des discussions avec trois associations, FNE, WWF et FNH.
Réglementation européenne : « Tout est affaire d’interprétation »
Opposés à cet amendement, le rapporteur Jean-Baptiste Moreau et le ministre de l’Agriculture Stéphane Travert ont, en séance, concentré leurs arguments sur l’origine des produits ; ils ont mis en avant qu’une telle mesure pourrait mettre en péril la position de la France à Bruxelles, et en particulier le sort de l’expérimentation en cours – jusqu’en 2019 – sur l’origine du lait et des viandes comme ingrédients dans les produits transformés, qui a été négociée par la France au niveau européen. Jean-Baptiste Moreau a par ailleurs rappelé que cette expérimentation pourrait être « éventuellement généralisée à partir de 2019 ».
Autre argument qu’ont opposé le ministre et le rapporteur : ce texte n’était, selon eux, pas conforme au droit européen, ce qu’a démenti Barbara Pompili en séance : « Le règlement 1 169/2011 du 25 octobre 2011 relatif à l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires permet aux États d’imposer des mentions complémentaires pour des types ou des catégories de denrées, si elles se justifient par au moins une des raisons suivantes : la protection de la santé publique, la protection des consommateurs, la répression des tromperies, parmi d’autres possibilités », a-t-elle argué.
Dans l’entourage de la députée, on fait remarquer que c’est à cette même disposition européenne que fait référence l’article du code rural instituant l’expérimentation française sur l’étiquetage de l’origine du lait et des viandes comme ingrédients. « Tout sera affaire d’interprétation », indique-t-on.
« Serons-nous capables de l’imposer aux Espagnols ? »
Au-delà de cette incertitude réglementaire, l’amendement inspire d’abord une inquiétude chez Coop de France : le risque que ce type d’affichage soit demandé uniquement aux entreprises françaises, et non aux entreprises situées à l’étranger, comme c’est le cas aujourd’hui de l’expérimentation sur l’étiquetage de l’origine des viandes et du lait comme ingrédients.
L’amendement indique qu’il concerne les denrées « mises sur le marché sur le territoire français ». Mais, s’inquiète Pascal Viné, délégué général de Coop de France : « Serons-nous capables d’imposer l’étiquetage “nourri aux OGM” aux transformateurs espagnols ? Si on veut tuer l’agriculture française, il faut le dire ».
Parmi les quatre informations imposées par l’amendement, une seule, la mention de l’origine des produits animaux, satisfait les filières. Il s’agit d’une demande de longue date des filières de production animale françaises. Depuis 2015, l’étiquetage est obligatoire pour les viandes fraîches et congelées, mais pas lorsqu’elles sont utilisées comme ingrédients (plats préparés).
Nourris aux OGM : « Un nivellement par le bas »
En revanche, la mention « Nourris aux OGM » suscite l'ire des filières. D’abord parce que sa formulation sous-entend que les animaux ne consommeraient que des OGM, estime-t-on chez Coop de France : « Une grande partie de l’alimentation n’est pas OGM, indique-t-on. Ce sont de petites proportions qui sont concernées ».
Les coopératives estiment par ailleurs que le texte engendre « un nivellement par le bas, alors qu’il existe des démarches positives, comme les mentions Nourri sans OGM ». Pour Coop de France, « c’est une manière de stigmatiser certains éleveurs qui n’ont pas d’alternatives. Sous prétexte d’information du consommateur, on affaiblit la production française ».
Au sein de la future interprofession volaille de chair, on regrette l’aspect « erratique et parcellaire » d’une telle mention : « Certaines ONG ont leurs dadas, alors que les filières ont des démarches très structurées, explique Anne Richard, pressentie directrice de la structure. On se focalise sur un élément de l’alimentation, alors que les cahiers des charges label rouge et bio sont beaucoup plus complets. »
« Nous sommes favorables à tout ce qui va dans le sens d’une meilleure information du consommateur », affirme la directrice de l’interprofession laitière Caroline Le Poultier. Toutefois, un étiquetage sur l’alimentation OGM des vaches laitière serait « trompeur » selon le seuil retenu, avance le Cniel. En effet, la part de tourteaux génétiquement modifiés ne représente que 2 % en moyenne de la ration des vaches laitières. Les produits laitiers pourraient donc ne pas être concernés par cet étiquetage du fait de cette « petite part ».
Du côté des fabricants d’aliment, on indique qu’une telle mesure ne poserait pas de problème opérationnel : « Les agriculteurs savent déjà ce qu’ils achètent », indique-t-on chez les fabricants bretons (Nutrinoë). En revanche, cela coûterait plus cher : 480 € la tonne de soja garanti sans OGM, contre 400 €/t pour un soja classique. Les filières les plus concernées seraient la volaille et la filière laitière, fortes consommatrices de soja.
Modes d’élevage : « Pas un critère différenciant pour le bien-être animal »
Les modes d’élevage ne trouvent pas meilleur accueil dans les filières : « Nous entendons derrière cette mesure la petite musique du bien-être animal, explique Pascal Viné (Coop de France). Or, le mode d’élevage n’est pas un critère différenciant pour le bien-être animal ; ce n’est pas parce qu’un animal est élevé en plein air que son bien-être est meilleur. En revanche, travailler sur une segmentation "élevé en pâturage" pour créer de la valeur, pourquoi pas ».
En filière volaille de chair, les professionnels ne voient pas l’intérêt d’un tel étiquetage, étant donné que des mentions officielles – mais aussi des marques privées – garantissent déjà un élevage en plein air : « La volaille dispose déjà d’une segmentation bien identifiée avec les labels rouges et la bio », estime Anne Richard. La filière met également en avant que cette obligation ne concernera que le marché français : « On se tire une balle dans le pied. »
Même interrogation dans la viande rouge. « Sur le principe, personne dans la filière n’est favorable » à l’indication du mode d’élevage sur les produits carnés, assure Paul Rouche, directeur délégué de Culture Viande. Il appelle les parlementaires à « laisser du temps aux acteurs plutôt que de stigmatiser ». Une crainte des filières viande serait que les distributeurs « mettent la pression en demandant d’aller plus vite et plus loin » que ce qui pourra être prévu par la future loi. En effet, « le délai est très court » pour 2023 et cela sera très compliqué à mettre en place.
En lait, cet article, « découvert récemment », interpelle Caroline Le Poultier. En effet pour la filière laitière, « on ne sait pas ce qui se cache derrière les modes d’élevage » qui semble plutôt correspondre aux élevages hors sol plutôt que laitiers. De plus, la filière travaille déjà sur une définition commune de la notion de pâturage afin de proposer aux consommateurs une définition unique pour l’ensemble des produits laitiers.
Produits phytos : « Les termes sont très imprécis »
Dans la filière fruits et légumes, l’obligation d’indiquer « le nombre de traitements » de produits phytosanitaires provoque une forme d’incompréhension. « Quelle est l’utilité de cette information pour le consommateur ? », interroge Bruno Dupont, le président d’Interfel. « On est dans une logique d’information la plus claire pour le consommateur », ajoute-t-il, mais « celui-ci ne va jamais aussi loin et ce n’est pas forcément l’information qu’il attend en premier ».
« Ce n’est pas le nombre de traitements qui détermine la toxicité des produits », détaille-t-il, voyant dans cette mesure le contraire de « cette logique pertinente des EGA qui était de rapprocher les citoyens de l’alimentation ».
Au-delà de ce constat, cette mention n’est pour lui « pas du tout compatible avec la réglementation communautaire », ce qui lui fait penser que l’amendement pourrait être modifié, voire supprimé d’ici le vote final. « Les termes sont très imprécis, on ne sait pas très bien ce que cela peut vouloir dire », relève pour sa part Daniel Sauvaitre, président de l’Association nationale pommes poires.
« C’est quoi un traitement ? Est-ce qu’on ne tient compte que de ce qui est fait après que le fruit soit formé ?, s’interroge-t-il. Il y a une distance entre les 3-4 mots de cet amendement et ce qui pourrait avoir un sens pour le consommateur ». « J’ai envie de penser que c’est un épiphénomène et que face aux difficultés, cet amendement ne sera jamais mis en application », ajoute-t-il.
Un amendement surprise sur l’étiquetage qui inquiète les filières
Défendu en séance par la députée picarde de La République en marche (LREM) Barbara Pompili, l’amendement n° 2219 demande que les informations suivantes soient fournies aux consommateurs à compter de 2023 : « Nourri aux OGM » pour les denrées issues d’animaux nourris avec des OGM ; « le mode d’élevage », pour les denrées alimentaires animales ou d’origine animale ; « l’origine géographique » pour les denrées alimentaires animales ou d’origine animale ; et le « nombre de traitements par des produits phytosanitaires » sur les fruits et légumes frais.
L’amendement stipule que tous les produits « mis en marché sur le territoire français » sont concernés, les conditions d’application devant être précisées par décret en Conseil d’État.
En séance, Barbara Pompili a expliqué l’esprit de cet amendement : « Mieux informer le consommateur », « rassurer » et « mieux valoriser le travail de nos agriculteurs ». Elle est ensuite revenue sur le choix de la date : « 2023, parce qu’il faut donner le temps à l’industrie de réorganiser ses étiquetages ».
Dans l’entourage de l’ex-présidente du groupe écologiste à l’Assemblée, on explique par ailleurs que ce texte est issu des discussions avec trois associations, FNE, WWF et FNH.
Réglementation européenne : « Tout est affaire d’interprétation »
Opposés à cet amendement, le rapporteur Jean-Baptiste Moreau et le ministre de l’Agriculture Stéphane Travert ont, en séance, concentré leurs arguments sur l’origine des produits ; ils ont mis en avant qu’une telle mesure pourrait mettre en péril la position de la France à Bruxelles, et en particulier le sort de l’expérimentation en cours – jusqu’en 2019 – sur l’origine du lait et des viandes comme ingrédients dans les produits transformés, qui a été négociée par la France au niveau européen. Jean-Baptiste Moreau a par ailleurs rappelé que cette expérimentation pourrait être « éventuellement généralisée à partir de 2019 ».
Autre argument qu’ont opposé le ministre et le rapporteur : ce texte n’était, selon eux, pas conforme au droit européen, ce qu’a démenti Barbara Pompili en séance : « Le règlement 1 169/2011 du 25 octobre 2011 relatif à l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires permet aux États d’imposer des mentions complémentaires pour des types ou des catégories de denrées, si elles se justifient par au moins une des raisons suivantes : la protection de la santé publique, la protection des consommateurs, la répression des tromperies, parmi d’autres possibilités », a-t-elle argué.
Dans l’entourage de la députée, on fait remarquer que c’est à cette même disposition européenne que fait référence l’article du code rural instituant l’expérimentation française sur l’étiquetage de l’origine du lait et des viandes comme ingrédients. « Tout sera affaire d’interprétation », indique-t-on.
« Serons-nous capables de l’imposer aux Espagnols ? »
Au-delà de cette incertitude réglementaire, l’amendement inspire d’abord une inquiétude chez Coop de France : le risque que ce type d’affichage soit demandé uniquement aux entreprises françaises, et non aux entreprises situées à l’étranger, comme c’est le cas aujourd’hui de l’expérimentation sur l’étiquetage de l’origine des viandes et du lait comme ingrédients.
L’amendement indique qu’il concerne les denrées « mises sur le marché sur le territoire français ». Mais, s’inquiète Pascal Viné, délégué général de Coop de France : « Serons-nous capables d’imposer l’étiquetage “nourri aux OGM” aux transformateurs espagnols ? Si on veut tuer l’agriculture française, il faut le dire ».
Parmi les quatre informations imposées par l’amendement, une seule, la mention de l’origine des produits animaux, satisfait les filières. Il s’agit d’une demande de longue date des filières de production animale françaises. Depuis 2015, l’étiquetage est obligatoire pour les viandes fraîches et congelées, mais pas lorsqu’elles sont utilisées comme ingrédients (plats préparés).
Nourris aux OGM : « Un nivellement par le bas »
En revanche, la mention « Nourris aux OGM » suscite l'ire des filières. D’abord parce que sa formulation sous-entend que les animaux ne consommeraient que des OGM, estime-t-on chez Coop de France : « Une grande partie de l’alimentation n’est pas OGM, indique-t-on. Ce sont de petites proportions qui sont concernées ».
Les coopératives estiment par ailleurs que le texte engendre « un nivellement par le bas, alors qu’il existe des démarches positives, comme les mentions Nourri sans OGM ». Pour Coop de France, « c’est une manière de stigmatiser certains éleveurs qui n’ont pas d’alternatives. Sous prétexte d’information du consommateur, on affaiblit la production française ».
Au sein de la future interprofession volaille de chair, on regrette l’aspect « erratique et parcellaire » d’une telle mention : « Certaines ONG ont leurs dadas, alors que les filières ont des démarches très structurées, explique Anne Richard, pressentie directrice de la structure. On se focalise sur un élément de l’alimentation, alors que les cahiers des charges label rouge et bio sont beaucoup plus complets. »
« Nous sommes favorables à tout ce qui va dans le sens d’une meilleure information du consommateur », affirme la directrice de l’interprofession laitière Caroline Le Poultier. Toutefois, un étiquetage sur l’alimentation OGM des vaches laitière serait « trompeur » selon le seuil retenu, avance le Cniel. En effet, la part de tourteaux génétiquement modifiés ne représente que 2 % en moyenne de la ration des vaches laitières. Les produits laitiers pourraient donc ne pas être concernés par cet étiquetage du fait de cette « petite part ».
Du côté des fabricants d’aliment, on indique qu’une telle mesure ne poserait pas de problème opérationnel : « Les agriculteurs savent déjà ce qu’ils achètent », indique-t-on chez les fabricants bretons (Nutrinoë). En revanche, cela coûterait plus cher : 480 € la tonne de soja garanti sans OGM, contre 400 €/t pour un soja classique. Les filières les plus concernées seraient la volaille et la filière laitière, fortes consommatrices de soja.
Modes d’élevage : « Pas un critère différenciant pour le bien-être animal »
Les modes d’élevage ne trouvent pas meilleur accueil dans les filières : « Nous entendons derrière cette mesure la petite musique du bien-être animal, explique Pascal Viné (Coop de France). Or, le mode d’élevage n’est pas un critère différenciant pour le bien-être animal ; ce n’est pas parce qu’un animal est élevé en plein air que son bien-être est meilleur. En revanche, travailler sur une segmentation "élevé en pâturage" pour créer de la valeur, pourquoi pas ».
En filière volaille de chair, les professionnels ne voient pas l’intérêt d’un tel étiquetage, étant donné que des mentions officielles – mais aussi des marques privées – garantissent déjà un élevage en plein air : « La volaille dispose déjà d’une segmentation bien identifiée avec les labels rouges et la bio », estime Anne Richard. La filière met également en avant que cette obligation ne concernera que le marché français : « On se tire une balle dans le pied. »
Même interrogation dans la viande rouge. « Sur le principe, personne dans la filière n’est favorable » à l’indication du mode d’élevage sur les produits carnés, assure Paul Rouche, directeur délégué de Culture Viande. Il appelle les parlementaires à « laisser du temps aux acteurs plutôt que de stigmatiser ». Une crainte des filières viande serait que les distributeurs « mettent la pression en demandant d’aller plus vite et plus loin » que ce qui pourra être prévu par la future loi. En effet, « le délai est très court » pour 2023 et cela sera très compliqué à mettre en place.
En lait, cet article, « découvert récemment », interpelle Caroline Le Poultier. En effet pour la filière laitière, « on ne sait pas ce qui se cache derrière les modes d’élevage » qui semble plutôt correspondre aux élevages hors sol plutôt que laitiers. De plus, la filière travaille déjà sur une définition commune de la notion de pâturage afin de proposer aux consommateurs une définition unique pour l’ensemble des produits laitiers.
Produits phytos : « Les termes sont très imprécis »
Dans la filière fruits et légumes, l’obligation d’indiquer « le nombre de traitements » de produits phytosanitaires provoque une forme d’incompréhension. « Quelle est l’utilité de cette information pour le consommateur ? », interroge Bruno Dupont, le président d’Interfel. « On est dans une logique d’information la plus claire pour le consommateur », ajoute-t-il, mais « celui-ci ne va jamais aussi loin et ce n’est pas forcément l’information qu’il attend en premier ».
« Ce n’est pas le nombre de traitements qui détermine la toxicité des produits », détaille-t-il, voyant dans cette mesure le contraire de « cette logique pertinente des EGA qui était de rapprocher les citoyens de l’alimentation ».
Au-delà de ce constat, cette mention n’est pour lui « pas du tout compatible avec la réglementation communautaire », ce qui lui fait penser que l’amendement pourrait être modifié, voire supprimé d’ici le vote final. « Les termes sont très imprécis, on ne sait pas très bien ce que cela peut vouloir dire », relève pour sa part Daniel Sauvaitre, président de l’Association nationale pommes poires.
« C’est quoi un traitement ? Est-ce qu’on ne tient compte que de ce qui est fait après que le fruit soit formé ?, s’interroge-t-il. Il y a une distance entre les 3-4 mots de cet amendement et ce qui pourrait avoir un sens pour le consommateur ». « J’ai envie de penser que c’est un épiphénomène et que face aux difficultés, cet amendement ne sera jamais mis en application », ajoute-t-il.