Valorisation de l’herbe
Herbe mieux pâturée, moins de concentrés dépensés...

Marc Labille
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Le 13 avril dernier, la ferme expérimentale de Jalogny (Chambre d’Agriculture de Saône-et-Loire et Institut de l’Elevage) consacrait un webinaire à la valorisation de l’herbe. Au menu, pâturage tournant avec économies de concentrés à la clé.

Herbe mieux pâturée, moins de concentrés dépensés...
L’intérêt du pâturage tournant pour la conduite des broutards a été évalué à Jalogny sur des veaux mâles nés à l’automne. Une économie de concentré comprise entre 80 et 130 kg de la naissance au sevrage a été mise en évidence.

L’optimisation de la ressource en herbe est au cœur des préconisations depuis plusieurs années. De qualité et fournie naturellement par les prairies aux ruminants, l’herbe est l’aliment de base des systèmes fourragers. À l’heure où le prix des matières premières et des intrants incite à plus d’autonomie, il convient de ne pas gaspiller d’herbe. S’inscrivant dans le cadre des journées régionales Innov’Action, cette « journée Herbe » au format webinaire avait pour thème générique « mieux faucher, mieux pâturer ». Un premier volet démontrait l’intérêt du pâturage tournant pour les croissances des veaux et les économies de concentrés avec ce leitmotiv « mieux pâturer, moins complémenter ».

Gérer la pousse et ne plus gaspiller

« Le pâturage tournant n’est pas une nouveauté. On le redécouvre », introduisait Véronique Gilles, conseillère à la Chambre d’Agriculture de Saône-et-Loire. Alors que les printemps précoces deviennent la règle, cette technique permet de « gérer la pousse de l’herbe ; de récupérer de la matière sèche sans la gaspiller », présentait l’experte. 

Pour raisonner le pâturage tournant, il faut connaitre la consommation d’herbe journalière du lot d’animaux afin d’adapter la surface mise à disposition. Cette consommation dépend du poids des animaux : 13,8 kg de matière sèche par jour pour une vache allaitante de 700 kg + 6,5 kg de MS/J pour son veau de 250 kg, selon les références d’Arvalis. « Connaissant cette consommation journalière, le pâturage consiste à gérer la parcelle comme un stock sous un hangar », décrit Véronique Gilles. Avec cette difficulté de devoir s’adapter chaque année à des grosses différences de rendements en fonction de la météo et du potentiel très variable des parcelles (50-55 ares par EVV-Equivalent Vache + Veau en extensif jusqu’à 30-35 ares par EVV en très intensif).

7 jours de pâturage, 21 jours de repos

Le principe du pâturage tournant est de découper la parcelle en plusieurs paddocks de sorte à faire tourner les animaux sur un cycle de 28 jours : pas plus de 7 jours de présence sur un même paddock suivi d’une période de repos (repousse) de 21 jours. Cela équivaut à une rotation sur un minimum de quatre paddocks, sachant que « plus il y a de paddocks plus c’est facile ! », fait valoir Véronique Gilles. Avec cette conduite, les animaux investissent un nouveau paddock dans une herbe feuillue haute de 10 à 13 cm. Et ils doivent impérativement quitter ce paddock avec une hauteur d’herbe supérieure à 5 cm (hauteur au talon de la botte). Car en dessous de 5 cm, « on puise dans la réserve de la plante », indique la conseillère.

La hauteur d’herbe permet de calculer le nombre de jours d’avance dans le paddock en pâturage. Au-delà de 5 cm, chaque centimètre équivaut à 250 kg de matière sèche par hectare. Cette valeur permet de calculer le stock d’herbe disponible qui, divisé par les besoins journaliers des animaux, donne un nombre de jours d’avance, indique-t-on.

Quand la pousse de l’herbe est trop avancée dans un paddock, il est recommandé de l’extraire de la rotation pour le faucher.

Sur des broutards d’automne

L’intérêt du pâturage tournant pour la conduite des broutards a été évalué à Jalogny sur des veaux mâles nés à l’automne. Nés de fin août à octobre, ces veaux sont complémentés en bâtiment à partir de mi novembre (orge aplatie, pulpe de betterave, tourteau de colza…). Relâchés fin mars avec leurs mères, ils continuent d’être complémentés au pré mais sans tourteau (orge aplatie, pulpe de betterave…). Ils sont sevrés et vendus fin juin vers 400 kg nets payables avec un objectif de croissance naissance-sevrage de 1.300 g/J. Dans cet itinéraire, où les veaux ne reçoivent pas de tourteau au pré, les mères ont de bonnes productions laitières, présente Pauline Madrange de l’Institut de l’Elevage. 

Une économie de 80 à 130 kg de concentré

Les trois premières années d’essai ont montré qu’une complémentation trop forte en bâtiment faisait baisser les performances à l’herbe. Le niveau de complémentation optimum se situe donc entre 1 et 1,5 kg de concentré par jour pour 100 kg de poids vif, révèle l’experte. 

Dans la seconde partie de l’expérimentation, des lots complémentés en hiver à 1 et 1,5 kg/J/100 kg vif ont fait l’objet d’un comparatif entre une conduite en pâturage continu et une conduite en pâturage tournant avec complémentation équivalente au pré. Dans les deux cas, le pâturage tournant a fait baisser significativement la consommation de concentrés par rapport au pâturage simple, fait valoir Pauline Madrange. Parallèlement, la croissance au pâturage fait un bond de presque 300 g par jour. Le pâturage tournant a permis une économie comprise entre 80 et 130 kg de concentré de la naissance au sevrage, calcule-t-on.

En 2021, l’essai va encore plus loin avec une modalité sans concentré au pâturage. Pour ce faire, les deux lots sont conduits en pâturage tournant optimisé (sur cinq paddocks). L’un recevant une complémentation au pré et l’autre non. Lâchés le 24 mars dernier, « les animaux des deux lots réalisent des croissances équivalentes pour l’instant », révèle Pauline Madrange. Un début prometteur qui devrait en dire plus sur la possibilité de produire des broutards d’automne sans concentré au pré. L’autre intérêt de l’essai sera d’objectiver une éventuelle croissance compensatrice au pâturage.

Frédéric Demeule à Rigny-sur-Arroux : croissances identiques avec moins d’aliment

À Rigny-sur-Arroux, Frédéric Demeule pratique le pâturage tournant depuis dix ans. Les raisons qui l’ont amené à convertir la conduite herbagère de ses charolaises au pâturage tournant sont multiples. L’éleveur voulait s’adapter à une pousse précoce de printemps liée à des terrains séchants de bord d’Arroux. Il voulait aussi gérer la qualité de l’herbe sur pied et quantifier les jours d’avance pour ne pas perdre de marchandise. D’autant qu’avec le réchauffement climatique, les « creux d’été » s’accentuent sur son exploitation. Souvent redoutée par les éleveurs, la mise en place du pâturage tournant n’est pas insurmontable, plaide Frédéric Demeule. Pour les points d’eau, il a opté pour une zone commune à tous les paddocks d’une parcelle avec un point d’eau unique alimenté en eau propre. Cette configuration est aussi un atout pour la manipulation et la contention des bovins, plaide-t-il. L’éleveur recommande aussi de débuter avec des clôtures mobiles, lesquelles sont aussi bien pratiques pour les épandages de chaux, fumiers, etc… Il est également possible de réaliser un pâturage tournant sur un jeu de parcelles existantes, fait valoir Frédéric Demeule. Le premier bénéfice du pâturage tournant concerne la docilité des animaux, pointe l’éleveur. « Les animaux sont habitués à nous voir ; à être changés de paddock par une seule personne ». S’il ne s’avance pas jusqu’à revendiquer un gain de performances de ses veaux, Frédéric Demeule témoigne de croissances plus régulières (1.100 g/J pour les mâles ; 900 g/J pour les femelles). Des croissances qui se sont au minimum maintenues et ce, avec moins d’aliment consommé, fait-il valoir. L’agriculteur confirme que les graminées bénéficient d’un temps de repos de 20 – 21 jours. Au bout d’un ou deux ans seulement, les prairies en pâturage tournant se révèlent de meilleure qualité, plus robustes avec une modification positive des espèces présentes, témoigne Frédéric Demeule qui profite aujourd’hui d’une pousse de l’herbe maîtrisée et de fourrages récoltés de très bonne qualité.