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Le tabou commence à se lever

Les organisations professionnelles agricoles ont organisé fin avril au siège de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (MSA), une journée de réflexion intitulée : « Mal-être en agriculture : en parler et agir ». Le sujet devient de moins en moins tabou à la faveur d’une meilleure détection et d’actions plus ciblées.

Le tabou commence à se lever
Une autre journée sur le sujet du mal-être est programmée pour le printemps 2024. ©Fotolia

De l’avis même du nouveau coordinateur national interministériel du plan de lutte contre le mal-être en agriculture, Olivier Damaisin*, « les tabous sont tombés ». La parole commence à se libérer et l’action du « réseau Réagir et des sentinelles va se renforcer sur le terrain avec le système d’alerte des coordinateurs départementaux », a-t-il indiqué. Comme le rappelait le président de la MSA, Pascal Cormery, « le plus important est de renforcer la détection et faire entrer les proches dans un parcours d’aide, car ils en ont aussi besoin ». Sébastien Windsor, président de Chambres d’agriculture France, a salué lui aussi le travail des cellules Réagir et des sentinelles qui sont aujourd’hui près de 3 000. L’objectif d’atteindre les 5 000 d’ici la fin de l’année 2023 reste dans le domaine du possible. « Il ne faut pas oublier la Poste, la gendarmerie et les retraités » qui peuvent aussi prêter main-forte au réseau. Encore faut-il former ces sentinelles à bien détecter les situations de mal-être. Pas moins de 1 500 d’entre elles sont actuellement formées sur le territoire et toutes le font avec la volonté d’aider les agriculteurs en détresse. « Il faut avoir envie d’aider l’autre, leur apporter écoute, bienveillance », a expliqué Jean-Philippe Viguié, administrateur de la MSA Midi-Pyrénées.

« Les remettre dans le circuit »

Ce que Françoise Potier, vice-présidente de Groupama Centre Manche et Sarthe, décline en quatre lettres « Repérer, écouter, orienter et se ressourcer » est contracté en trois par Isabelle Ouedraogo, enseignante en maison familiale et rurale (MFR) et représentante de la MSA services Berry Touraine : « Détecter, prévenir, accompagner ». Mais l’objectif reste le même : sauver des agriculteurs de situations pénibles et « les remettre dans le circuit ». Des groupes de parole peuvent aider les agriculteurs en situation de mal-être à exprimer leurs angoisses. L’humour, mesuré et approprié, peut aussi venir à la rescousse et débloquer quelques situations. Une autre piste explorée est celle de la sensibilisation des jeunes publics de MFR et de lycées agricoles qui deviendront un jour salariés ou exploitants. L’objectif est de lever les tabous sur la santé mentale, de saisir les éventuels maux qui pourraient survenir et de permettre aux jeunes d’être mieux armés pour l’avenir. Mais il arrive parfois que la libération passe aussi par l’abandon du métier d’agriculteur. « Ce n’est pas un échec que de se reconvertir », a expliqué Olivier Damaisin.

« Travail en profondeur »

Si libérer la charge mentale des agriculteurs qui sont à la fois des opérationnels, des directeurs et des cadres reste indispensable, encore faut-il réussir à « faire verbaliser » les personnes en situation de détresse, a remarqué Emmanuelle Bouet, travailleuse sociale de la MSA Poitou. D’où l’importance de maintenir des liens sociaux étroits et de donner aux agriculteurs en difficulté des moments de repos et de répit, a insisté le professeur Pierre Vandel, psychiatre au CHU de Besançon. Le service de remplacement est une des actions possibles et « la priorité du service c’est l’urgence », a rappelé Marc Spanjers, secrétaire général des services de remplacement France. Sur le fond, il reste à traiter le volet économique de l’accompagnement, avec la prise en compte des particularités de l’agriculture. C’est l’expérimentation que mène actuellement le ministère de la Justice dans une dizaine de départements avec la mise en place de tribunaux des affaires économiques. La FNSEA se félicite de cette initiative, mais attend le bilan de cette expérience pour en corriger les inévitables imperfections. À noter que le 3 mai dernier, le garde des Sceaux a annoncé ne pas avoir prévu de changer le corps électoral des juges consulaires durant l'expérimentation. Concluant la journée, le président de la FNSEA et du Conseil de l’agriculture française (CAF), Arnaud Rousseau, s’est dit confiant dans les travaux menés sur ce sujet, il sait que le « travail en profondeur, ce travail d’endurance paiera », car « l’accompagnement humain, qui est dans notre ADN, reste central ».

Christophe Soulard