Inrae
Les adventices comme spécialité

Aurélien Genest
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Le domaine expérimental Inrae d’Époisses, près de Bretenière, vient d’accueillir 400 scientifiques de toute l’Europe. L’occasion de faire connaissance avec un chercheur local, spécialisé dans la gestion des adventices.

Les adventices comme spécialité
« La meilleure manière de gérer les flores adventices est de les surprendre, d'avoir un coup d'avance sur elles », souligne Stéphane Cordeau, membre Inrae de l'UMR Agroécologie.

Il y avait du monde, beaucoup de monde, le 2 juin sur le site Inrae d’Époisses, à quelques centaines de mètres de la Maison d’agriculture de Bretenière. Un important colloque s’est intéressé à la réduction des produits phytosanitaires dans les systèmes agricoles. Les pistes de recherche des années à venir ont été tracées, comme l’indique Stéphane Cordeau, chercheur à Inrae : « Nous avons reçu 400 scientifiques des quatre coins de l’Europe, ce rendez-vous intervenait dans le cadre de la présidence française au sein de l’Union européenne. Notre plateforme Ca-Sys, qui expérimente des systèmes sans pesticides, est une référence en la matière et a été choisie pour accueillir tous ces invités. L’objectif est, à terme, de définir et donner les moyens aux agriculteurs de sortir de cette dépendance aux produits phytos ».

Cap sur la diversification

Stéphane Cordeau travaille spécifiquement sur la gestion des adventices. En poste depuis 2012, ce petit-fils d’agriculteurs originaire des Deux-Sèvres est même l’un des deux animateurs de la plateforme Ca-Sys. Les travaux menés ont notamment démontré que les pertes de rendement engendrées par les mauvaises herbes sont beaucoup plus élevées quand les communautés adventices sont dominées par une ou deux espèces : « autrement dit, plus les adventices sont diversifiées, moins les pertes sont importantes, sachant que les communautés adventices ne sont pas toutes responsables de perte de rendements. Il y a donc tout intérêt à diversifier les leviers de gestion à l’échelle de la rotation, de manière à pouvoir laisser s’exprimer une diversité d’adventices et ne pas favoriser les plus compétitrices ». Différents leviers sont à disposition, illustre l’agronome : « diversifier les cultures, alterner les manières de gérer la flore adventice en introduisant des techniques de désherbage mécanique, alterner les quantités d’azote apportées au cours du temps par l’introduction des légumineuses... Avec la combinaison de tous ces éléments, la flore adventice ne sera plus dominée par seulement une ou deux espèces, comme notamment le vulpin, le ray-grass, le gaillet grateron, très favorisés par la rotation colza, blé, orge. Malgré tout, des agriculteurs qui diversifient énormément leur système sont encore envahis par certaines espèces, quand les recours aux herbicides restent fréquents. En effet, ce levier très efficace l’est surtout sur les espèces très sensibles, et moins sur les véritables mauvaises herbes, responsables des pertes de rendement quand elles dominent la flore adventice. Un point à bien retenir ici : cette diversification de pratiques doit obligatoirement s’accompagner d’une utilisation moindre d’herbicides. Si l’agriculteur continue d’en utiliser autant, il n’y aura pas de gain à la diversification des leviers de gestion, les espèces problématiques continueront d’être prédominantes et donc de sévir ».

Tout sauf monotone

Plus généralement, la meilleure manière de gérer la flore adventice est « de la surprendre, d’avoir en permanence un coup d’avance sur elle », insiste Stéphane Cordeau. « Il est peut-être pertinent, également, d’enchainer deux cultures d’été avec deux cultures d’hiver. Il faut tâcher à ne jamais rendre une parcelle monotone ». Le chercheur est bien conscient que le contexte actuel n’incitera pas forcément les agriculteurs à se diversifier : « il est certain que la tendance n’est pas à la diversification avec le conflit russo-ukrainien. Cette vision à court terme est parfaitement logique d’un point de vue économique et alimentaire. Il faut malgré tout avoir conscience des risques engendrés par une éventuelle réduction de la diversification des rotations et une répétition trop fréquente des mêmes cultures sur une même parcelle, en termes de gestion des adventices. Surtout dans un contexte où le nombre de molécules chimiques disponibles sur le marché va continuer de diminuer et le nombre de cas d’adventices résistantes aux herbicides augmenter. La diversification des cultures doit rester un pilier majeur de la gestion durable de la flore adventice ».