Elevages laitiers Français
Les élevages laitiers français en panne de croissance

Alors que les exploitations laitières françaises avaient connu une forte dynamique de croissance à la sortie des quotas laitiers, leur taille progresse désormais moins vite. Le nombre d’ateliers à plus de cent vaches augmente plus doucement ces dernières années. L’agrandissement des troupeaux ne compense plus les fermetures d’ateliers, et la collecte décroche.

Les élevages laitiers français en panne de croissance
Les experts tablent sur une légère poursuite de la croissance des troupeaux, mais s’accordent à dire qu’il n’y aura pas de révolution du modèle laitier avec un essor des fermes de plusieurs centaines d’animaux qui sont monnaie courante à l’étranger. Manque de disponibilité de foncier, de main-d’œuvre, d’avantages économiques, opposition sociétale, les freins sont légion. Et pour ceux qui y parviennent, il faut encore parvenir à réorganiser le travail et trouver son équilibre économique.

Le phénomène s’accélère ces derniers mois : la collecte de lait française décroche par rapport à nos principaux concurrents. Malgré un prix et des marges qui s’améliorent, le cheptel continue de baisser. La première explication – et elle n’est pas nouvelle –, c’est bien sûr le nombre d’élevages qui baisse : les installations ne suffisent pas à compenser les départs et le taux de remplacement en lait est le plus bas de l’agriculture française. En dix ans, le nombre d’exploitations laitières spécialisées est passé de 48.000 à 35.000 en France. Mais ce phénomène est traditionnellement compensé par l’agrandissement. En dix ans, l’effectif moyen par exploitation est passé de 52 à 74 vaches laitières. La croissance des troupeaux a permis jusqu’en 2019 de compenser les arrêts d’exploitations.

Or, depuis quelques années, l’agrandissement ne suffit plus. Le cheptel français décline sévèrement, et les projections annoncent que la tendance se poursuivra. Selon les projections du projet d’étude international Dairy4Future, les élevages de Bretagne, principal bassin laitier français, devraient voir leur effectif moyen passer de 72 à 87 vaches laitières à l’horizon 2030. Un accroissement des troupeaux qui ne sera pas suffisant pour compenser la baisse du nombre d’exploitations, de l’ordre de 30 %. Sur tout l’arc atlantique européen, la Bretagne est d’ailleurs la seule région dont la collecte devrait baisser (-5 %), quand nos voisins poursuivront leur essor.

 

Ralentissement de la croissance des fermes

Au sortir des quotas laitiers (2007-2015), l’élevage laitier français semblait pourtant parti pour agrandir ses ateliers. Le pourcentage de vaches laitières dans des étables de plus de cent vaches et plus est passé de 3 % avant 2005 à 9 % en 2010 puis 29 % en 2018. Mais « depuis, le rythme d’apparition de ce type d’étable a été divisé par deux ou trois », explique Christophe Perrot de l’Institut de l’élevage (Idele) dont les travaux font référence sur le sujet. La fréquence est de 200 nouvelles étables de plus de 100 vaches laitières par an, contre 600 ou 1.000 auparavant (voir graphique). La France plafonne à un tiers du cheptel dans ce type d’étable, contredisant les projections des spécialistes qui pensaient que le pays compterait rapidement la moitié de ses vaches dans des étables de plus de cent vaches, soit le seuil minimum observé chez nos voisins européens. Le modèle de polyculture élevage à la française, avec de relativement petits troupeaux sur de grandes surfaces, semble encore avoir de beaux jours devant lui.

Et pour cause, lorsqu’on les interroge, les éleveurs en place sont peu enclins à s’agrandir. Selon une étude coordonnée par Innoval, seuls 8 % des producteurs envisagent d’augmenter la taille de leur cheptel d’ici cinq ou dix ans, quand près d’un quart prévoit d’arrêter l’atelier lait (voir encadré). Les résultats du sondage effectué auprès de plus d’un millier de producteurs montrent « une vraie résistance psychologique à l’augmentation de la taille des cheptels », note le spécialiste de la génétique et du conseil en élevage. « Ceux qui ont grossi à la fin des quotas laitiers ne vont pas le faire deux fois. En agriculture, on n’investit pas trois ou quatre fois dans sa carrière. On choisit la taille de sa structure au moment de l’installation », souligne Vincent Chatellier, économiste à l’Inrae. Les grands troupeaux ne rencontrent pas non plus un grand succès auprès des candidats à l’installation, en recherche de systèmes très autonomes et souvent peu enclins à rejoindre une grosse structure avec plusieurs associés.

En outre, le manque de visibilité sur les marchés laitiers – accentué par la sortie des quotas laitiers – n’encourage pas la croissance des exploitations. De plus, la baisse structurelle de la demande sur le marché français désintéresse de potentiels investisseurs, plus à même de créer des projets de A à Z avec un outil adapté à des cheptels de grande taille.

De nombreux facteurs limitants

Les spécialistes de la question ne voient donc pas venir une révolution du modèle laitier français avec une multiplication des fermes de plusieurs centaines de vaches, fréquentes dans d’autres pays européens. Aujourd’hui seules 600 étables ont plus de 200 vaches laitières et le nombre, déjà très faible, d’étables de plus de 400 vaches est en baisse. Il faut dire que les freins sont nombreux. Ceux qui seraient tentés d’agrandir leur troupeau doivent d’abord s’assurer qu’ils ont suffisamment de terres disponibles. « La première hantise d’un producteur de lait, c’est de ne pas pouvoir nourrir ses vaches », explique Vincent Chatellier. Or, la majorité du potentiel foncier se situe dans des zones de grandes cultures spécialisées, éloignées des points de collecte.

Vu du Grand Est de la France, l’accès à la ressource, en termes de fourrages et de coproduits pour l’alimentation des animaux, apparaît aussi comme l’un des principaux facteurs limitants, atteste Stéphane Lartisant, ingénieur-conseil au BTPL (Bureau technique de promotion laitière). D’autant plus « à cause du changement climatique et du développement de la méthanisation », ajoute-t-il.

Vient ensuite la question des moyens humains. « Il y a une quasi-pénurie de main-d’œuvre. Les exploitants ont beaucoup de mal à embaucher des salariés et, quand il y a un départ dans un Gaec, il est difficile de trouver un nouvel associé », constate Christophe Perrot. Et pour ceux qui parviennent à sécuriser un collectif de main-d’œuvre suffisant, il faut encore parvenir à repenser complètement l’organisation du quotidien (voir ci-dessous).

Maintien d’une diversité de modèles

La frilosité des éleveurs français à se lancer dans des projets d’agrandissement conséquents s’explique aussi par la peur de se voir taxer de « ferme usine » et de susciter un mouvement de contestation. Depuis l’expérience de la ferme des mille vaches dans la Somme, les oppositions sont plus systématiques. Le chercheur Christophe Perrot estime le « seuil de sensibilité » du public autour de 200 vaches par atelier.

Enfin, l’aspect économique est lui aussi peu incitatif. « Si passer de 120 vaches laitières à 180 vaches divisait par deux les coûts de production, il y aurait un phénomène de croissance. Ce n’est pas du tout le cas, donc les producteurs n’y voient pas d’intérêt », note Vincent Chatellier. « Dans le Grand Est, nous voyons beaucoup d’exploitations qui "absorbent" d’autres petites exploitations, mais le cumul des résultats économiques de trois entités différentes ne sera pas égal à celui de la nouvelle entité. Les frais de mécanisation et les temps de déplacement sont plus importants », atteste Stéphane Lartisant.

Les conditions propices à un agrandissement sont donc difficiles à réunir. Certains vont y parvenir et croître. À côté, d’autres stratégies se dessinent : différenciation, réduction des charges de fonctionnement, transformation à la ferme… Car la réalité de l’élevage laitier, c’est aussi la diversité de ses modèles. Sur le terrain, le président de la chambre d’agriculture de Bretagne, André Sergent, constate les deux tendances. « D’un côté, il y a des éleveurs qui ne veulent plus partir dans des logiques d’agrandissement. Ils font de la monotraite, réduisent au minimum leurs charges et leurs investissements. D’autres vont vers des troupeaux plus grands, réduisent les astreintes, prennent des salariés, mettent des robots… », témoigne-t-il. Les techniciens installent désormais plutôt trois ou quatre robots dans les exploitations bretonnes, là où ils n’en installaient généralement que deux auparavant. Certains éleveurs s’apprêteraient-ils à mettre le pied au plancher ?

Moins d’un éleveur sur dix envisage d’augmenter la taille de son cheptel (étude)

Une étude menée par Innoval (conseil/génétique en élevage), en partenariat avec l’Ifop et Valorial (innovation agricole et agroalimentaire), montre « une vraie résistance psychologique à l’augmentation de la taille des cheptels » parmi le millier d’éleveurs interrogés, indique une synthèse de l’étude communiquée le 27 juin à l’occasion de la sortie du livre Anticipons l’élevage de demain (à l’horizon 2035). Dans les cinq à dix ans à venir, seuls 8 % des producteurs de lait envisagent d’accroître la taille de leur troupeau. Dans le même temps, 10 % prévoient de réduire leur cheptel, 23 % de l’abandonner et 59 % de le maintenir à effectif constant. La dynamique diffère légèrement pour les moins de 40 ans. Ces derniers sont 11 % à vouloir augmenter la taille de leur cheptel et 68 % à vouloir le maintenir. Ils ne sont que 5 % à envisager de l’abandonner, mais 16 % prévoient tout de même de réduire la taille de leur troupeau. Le sondage révèle que les plus jeunes éleveurs sont aussi les plus optimistes sur l’avenir de leur métier : 87 % sont optimistes dans la tranche des 18-29 ans, 70 % chez les 30-39 ans, 61 % chez les 40-49 ans et 51 % chez les plus de 50 ans. Plus d’un tiers des éleveurs citent le « manque de visibilité sur le prix du lait », la « lourdeur des tâches administratives » et la « pénurie de main-d’œuvre » parmi leurs trois préoccupations principales.

Pas de signe de l’existence d’un cycle économique du lait

Avec la libéralisation des marchés laitiers en Europe, certains s’interrogeaient sur l’existence d’un cycle économique du lait, à l’instar du phénomène observé en production porcine. Selon une note de l’Institut du porc (Ifip), les experts de ce marché expliquent que lorsque la production est plus faible, les prix s’élèvent et la rentabilité s’améliore, ce qui entraîne une relance de la production. Et, inversement, lorsque la production augmente, les prix baissent et la rentabilité aussi, ce qui pénalise la production pour les années suivantes. En France et en Europe, ce phénomène n’a pas été « identifié » sur les marchés laitiers, explique Gérard You, économiste à l’Idele. Malgré la conjoncture actuelle, plutôt favorable, « il y a une certaine inertie », observe-t-il. Pour augmenter leur production, « les producteurs laitiers n’ont pas beaucoup de leviers à court terme : distribuer une part d’alimentation concentrée plus élevée ou retarder les réformes ». À moyen terme, les éleveurs qui élèvent un nombre important de génisses peuvent en garder plus pour accroître leur cheptel productif, mais restent limités par la taille de leur bâtiment.

Pas de signe de l’existence d’un cycle économique du lait
Avec la libéralisation des marchés laitiers en Europe, certains s’interrogeaient sur l’existence d’un cycle économique du lait, à l’instar du phénomène observé en production porcine. Selon une note de l’Institut du porc (Ifip), les experts de ce marché expliquent que lorsque la production est plus faible, les prix s’élèvent et la rentabilité s’améliore, ce qui entraîne une relance de la production. Et, inversement, lorsque la production augmente, les prix baissent et la rentabilité aussi, ce qui pénalise la production pour les années suivantes. En France et en Europe, ce phénomène n’a pas été « identifié » sur les marchés laitiers, explique Gérard You, économiste à l’Idele. Malgré la conjoncture actuelle, plutôt favorable, « il y a une certaine inertie », observe-t-il. Pour augmenter leur production, « les producteurs laitiers n’ont pas beaucoup de leviers à court terme : distribuer une part d’alimentation concentrée plus élevée ou retarder les réformes ». À moyen terme, les éleveurs qui élèvent un nombre important de génisses peuvent en garder plus pour accroître leur cheptel productif, mais restent limités par la taille de leur bâtiment.