Ailleurs
L’Indonésie sans agriculteurs ?

Les pouvoirs publics indonésiens s’inquiètent sérieusement de l’avenir de l’agriculture locale. Au rythme actuel, elle pourrait totalement disparaître d’ici une quarantaine d’années. 

L’Indonésie sans agriculteurs ?
L’Indonésie a perdu plusieurs millions d’agriculteurs ces vingt dernières années.

Une Indonésie sans agriculteur autour des années 2060 ? L’hypothèse est prise très au sérieux par le gouvernement présidé par Joko Widodo*. Le pays qui compte 270 millions d’habitants a en effet perdu plusieurs millions d’agriculteurs ces vingt dernières années. Leur nombre étant tombé à 25 millions, selon Statistics Indonesia (BPS). La tendance devrait se poursuivre au cours des prochaines années. « À ce rythme, l'Indonésie perdra tous ses agriculteurs d'ici 2063 », s’inquiète le gouvernement. D’autant plus que l'agriculture contribue largement à l'économie indonésienne. Environ 29 % de la main-d'œuvre indonésienne travaille dans ce domaine (pêche incluse), et contribue pour près de 13 % au PIB du pays. Il s'agit de la troisième contribution la plus importante à l'économie après l'industrie manufacturière et le commerce, selon les données de BPS. Le gouvernement pointe quatre raisons principales pour lesquelles le secteur n’attire plus. Tout d’abord les revenus : les paysans locaux ne gagnent en moyenne par jour que 55 500 roupiah (Rp) soit 3,35 euros**. À titre de comparaison, les ouvriers du bâtiment gagnent 89 737 Rp par jour (5,42 €) et le salaire minimum fixé dans la capitale Jakarta est de 3,9 millions Rp par mois, soit environ 160 000 Rp par jour. Ensuite, les agriculteurs ne sont pas organisés comme en Europe ou en France. Ils dépendent d'intermédiaires (appelés péjorativement tengkulak) pour commercialiser leurs récoltes… qu’ils paient au prix le plus bas avant même la récolte. Troisième obstacle à l’attractivité : l’engouement pour les produits transformés massivement importés et qui concurrencent les produits locaux. Selon le professeur Bustanul Arifin de l'université de Lampung, le soja local avait couvert environ 90 % de la consommation nationale en 1992. Aujourd’hui, il ne satisfait que 30 % des besoins nationaux. Le pays a importé 24 millions de tonnes de soja en 2022, « soit trois fois le volume et cinq fois la valeur de 1992 ».

Micro-crédit

Le changement climatique (4e cause) aggrave également la situation. Les sécheresses survenues au cours de la longue saison sèche de 2019 ont fait chuter de 8 % la production de riz, un aliment de base en Indonésie, Selon Hermanto Siregar, expert en économie et en agriculture de l'université agricole de Bogor (IPB), la production agricole pourrait chuter de 15 à 40 % en raison de conditions météorologiques extrêmes qui provoquent des « chocs négatifs » dans l'ensemble du secteur agricole. Avec 110 pays sur 113, l'Indonésie se classe parmi les derniers dans la catégorie des ressources naturelles et de la résilience de l'Indice de sécurité alimentaire mondiale. Une situation d’autant plus inquiétante qu’environ 22 millions de personnes ont souffert de la faim entre 2016 et 2018. Si l’on ajoute les effets du Covid qui a réduit le pouvoir d'achat de la plupart des agriculteurs, le manque cruel d’investissement dans ce secteur (recherche, matériel, innovation…), un accès restreint aux services financiers les craintes du gouvernement indonésien se justifient. D’autant qu’une « grande partie des jeunes considèrent le travail agricole comme un travail manuel mal rémunéré, plus adapté aux personnes issues de milieux pauvres et ayant un niveau d'éducation limité », indiquait un rapport de 2016 de l'institut de recherche SMERU***.

Le ministre de l'Agriculture, Syahrul Yasin Limpo se veut toutefois confiant. Il a engagé un vaste programme de financement par micro-crédit et souhaite numériser l’agriculture pour la remodeler et la rendre plus attractive auprès des jeunes. « Je suis optimiste : le secteur agricole va prospérer et les jeunes d'aujourd'hui saisiront l'occasion. C'est une génération qui sait saisir les opportunités », a-t-il indiqué. 

Christophe Soulard

(*) L’Indonésie est une république unitaire à régime présidentiel
(**) au cours juillet 2023
(***) Social Monitoring and Early Response Unit / Unité de suivi social et d'intervention rapide