Elvéa 71-58
Pour Elvéa 71-58, le dernier mot revient à l’éleveur

Marc Labille
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Pour son assemblée générale du 24 septembre dernier, l’association Elvéa 71-58 a tenté d’y voir plus clair dans les perspectives commerciales en viande bovine. Au cœur de la discussion, la nouvelle loi EGAlim sous les regards aiguisés des commerçants et des éleveurs. En dépit d’un constat sévère, quelques pistes devraient permettre aux producteurs d’être raisonnablement optimistes. À condition de jouer collectif.

Pour Elvéa 71-58, le dernier mot revient à l’éleveur
« Un contexte plus favorable » selon Sylvain Bleubar ; « l’outil ELVEAOP pour répondre à la contractualisation » selon Philippe Auger ; « une baisse de production qui nous donne le pouvoir d’être élev-acteurs » selon Sylvain Emorine : tels sont les signaux adressés aux éleveurs allaitants aujourd’hui.

« Sur dix ans, le secteur de la viande bovine n’a jamais réussi à nourrir ses producteurs ». Ce constat sans appel est celui de Philippe Chalmin, rapporteur du fameux observatoire de la formation des prix et des marges. C’est par cette triste réalité que le président d’Elvéa 71-58 Jean-Michel Morel introduisait l’assemblée générale du 24 septembre dernier à Charolles. Et le président continuait de planter le décor : dans une activité où les éleveurs « ne tiennent que grâce aux aides Pac, le gouvernement envisage de couper drastiquement le montant des aides couplées aux producteurs de bovins allaitants ». À cela s’ajoute la grande déception de la loi EGAlim, complétait Jean-Michel Morel évoquant la seconde version de la loi qui s’apprête à sortir. Partant de ce tableau sombre, les responsables d’Elvéa 71-58 ont voulu tenter d’y voir plus clair en organisant une table ronde sur les perspectives commerciales pour les bovins allaitants. Trois intervenants étaient invités à débattre avec David Barthe, directeur de la Chambre d’agriculture de Saône-et-Loire, animateur de cette table ronde : Philippe Auger, président d’Elvéa France, Sylvain Bleubar, directeur de la Fédération Française des Commerçants en Bestiaux (FFCB) et Sylvain Emorine, éleveur à Saint-Eugène.

Une loi pas appliquée

Le constat de l’échec de la loi EGAlim a le mérite de faire l’unanimité entre éleveurs, commerçants, élus, et autres observateurs de la complexe filière viande. « On ne décrète pas une consommation », critiquait vertement le directeur de la FFCB estimant « qu’on s’était raconté des salades et que les objectifs n’étaient pas les bons ». Moins virulent mais tout aussi critique, le président d’Elvéa France avouait : « l’objectif des 40% de label, je n’y ai jamais cru ». Selon lui, 10 – 12% auraient été plus réalistes. Quant à la contractualisation, Elvéa France n’y était pas opposée, mais force est de reconnaitre que « la loi n’a pas été appliquée. Aucun contrat n’avait été signé six mois après le décret de décembre 2019 », rappelait Philippe Auger. L’État aurait dû « faire des contrôles, effectuer un rappel à la loi… ». Rien de tel n’a été fait, déplorait le président qui constatait que ces contrats n’ont eu aucun succès du côté des industriels. Et pour le président d’Elvéa, l’explication est simple : « la marchandise est là ! Quand vous avez besoin de 100 génisses label, il en arrive 200 ! ». Donc pas besoin de contrat ni de ré-évaluer la plus value, estimait-il.

Problème structurel

Chez les éleveurs, si l’on partage ce bilan négatif de la loi EGAlim, on attend toujours quelque chose qui fasse augmenter les cours, recadrait Sylvain Emorine. « Pourquoi ne peut-on pas décider que le consommateur paie enfin le produit à sa juste valeur ? Il faut que chacun prenne ses responsabilités », interpellait-il. La réponse devrait venir d’EGAlim 2 annoncée pour « une juste rémunération des agriculteurs ». Pour corriger les ratés de la version 1, elle prescrit la généralisation des contrats en tenant compte des coûts de production… Toujours très sceptique quant à ce nouveau projet de loi, Sylvain Bleubar y voit avant tout « un problème structurel » dont la solution ne peut, selon lui, venir d’un simple contrat. Pour étayer son propos, le représentant des commerçants évoquait quelques idées défendues par sa profession. À commencer par la concurrence d’animaux laitiers qui tireraient les prix vers le bas. 

Des contrats pas pour tout

La contractualisation ne peut pas s’appliquer pour tout, s’accordent Sylvain Bleubar et Philippe Auger. Une contractualisation obligatoire qui, au passage, condamnerait les marchés comme celui de Saint-Christophe-en-Brionnais. Des marchés qui sont pourtant le dernier lieu où des éleveurs peuvent encore défendre le prix de leurs animaux « sur des bases saines », défendait Pascal Pierre, directeur du cadran Brionnais. Et qui continuent de jouer le rôle précieux de cotation hebdomadaire… 

Pour autant, utilisée à bon escient, la contractualisation demeure un outil susceptible de sécuriser tant l’approvisionnement d’un abatteur que tout ou partie du revenu d’un éleveur, rappelait François Nugue. Et l’éleveur de Varenne-Saint-Germain de défendre la légitimité d’un tel système (la contractualisation) qui puisse garantir les coûts de production en s’inscrivant dans une vraie démarche de construction du prix. À la question « qu’attendre d’EGAlim 2 ? », Sylvain Emorine comme François Nugue souhaitent un levier qui fasse augmenter les cours en intégrant les coûts de production. Car pendant ce temps, la stratégie mortifère du moins disant continue de faire des dégâts dans les campagnes… Une guerre des prix dont profite pleinement la grande distribution. Même si sa communication sait mettre en avant des viandes de qualité et leurs éleveurs allaitants, les rayons libre-service continuent de casser les tarifs avec des réformes laitières, dénonçait Sylvain Bleubar.

L’export vers les Pays Tiers

Parmi les pistes évoquées par la FCCB, l’export vers les pays tiers, « pour sortir des animaux d’Europe » revient dans les esprits. « Des opportunités seraient à nouveau à saisir, assure Sylvain Bleubar qui évoque une moindre concurrence de l’Amérique du Sud sur ce créneau. Algérie, Turquie, Israël, Égypte… : il y aurait à nouveau la place pour une véritable « stratégie Export ». Un impératif pour réduire la dépendance aux marchés italien et espagnol, argumente le représentant des commerçants, pour qui l’importance du volume réalisé avec ces débouchés explique la faiblesse des prix. Ces « marchés extérieurs à l’Europe », les éleveurs ne peuvent qu’y être favorables. Mais François Nugue rappelait aussi le peu d’implication des opérateurs dans la plate-forme export créée il y a quelques années à l’initiative de l’État et de l’interprofession…

Des contrats cadres avec ELVEAOP

De ces échanges, il ressort tout de même quelques motifs d’espoir. Parlant d’un contexte somme toute favorable, le directeur de la FCCB s’avouait finalement « moyennement inquiet » quant à la viande : « les abatteurs auront besoin de sécuriser leurs approvisionnements, donc ils finiront par proposer des contrats », reconnaissait-il. « La contractualisation est un outil qu’il faut quand même essayer », poursuivait Philippe Auger. C’est d’ailleurs dans ce sens qu’a été créé « ELVEAOP » à l’échelon national. Cette association regroupe les OP adhérentes du réseau Elvéa France et elle aura pour but de négocier collectivement des contrats cadres sur les démarches nationales, expliquait-on. Dans ces contrats cadres sera inscrite une construction d’un prix intégrant le coût de production et un prix de marché physique, détaillait Philippe Auger. Signé au national, ce contrat cadre sera décliné dans les OP adhérentes et le contrat final sera signé entre l’éleveur et son premier acheteur. 

« Elv-acteurs ! »

« Cette AOP est notre seule façon de reprendre en main la valorisation de nos animaux », réagissait Sylvain Emorine. Ces nouveaux outils sont autant de garde-fous nécessaires contre un marché qui ne semble plus fonctionner « normalement », déplorait Jean-Michel Morel. L’hyper concentration des opérateurs y est pour beaucoup et ce n’est probablement pas fini, mettait en garde Sylvain Bleubar. D’autres pistes consisteront sans doute à mieux répondre aux marchés (qualité, volumes, etc…). Philippe Auger citait aussi la restauration hors domicile comme un débouché à honorer. Quant au haché qui ne cesse de prendre des parts de marché, il faut parvenir à mieux le valoriser au consommateur à travers une segmentation des produits, estimait-on. « La production a baissé. Cela devrait nous donner du pouvoir. Nous avons le droit de demander un prix, de parler du métier positivement, d’être elv-acteurs ! », concluait volontiers optimiste Sylvain Emorine.