Bioloweek
Le mildiou a terni la récolte 2023

Florence Bouville
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Partant du constat suivant : « cela faisait des années qu’on n’avait pas connu une telle pression », les conseillers du service vigne et vin de la chambre d’agriculture de Saône-et-Loire ont animé un temps d’informations et d’échanges au sujet de la lutte contre le mildiou, en filière AB. En plus de quelques viticulteurs, des élèves du CFPPA de Davayé étaient présents, le 6 novembre au Domaine Ferret, à Fuissé, dans le cadre de la Bioloweek.

Le mildiou a terni la récolte 2023
La récolte 2023, aura, entre autres, été marquée par une forte pression mildiou, contre laquelle le cuivre reste la solution la plus efficace en AB.

Pour rappel, le mildiou a une reproduction sexuée via les œufs d’hiver, et une asexuée au printemps, après maturation de ces œufs et libération de zoospores se déplaçant dans l’eau. C’est ce qui correspond ainsi aux contaminations primaires. En saison estivale et lors d’épisodes pluvieux, les contaminations dites secondaires, ou repiquages, sont assurées par les conidies (contenues dans les efflorescences blanches du faciès "rot gris"). Le faciès "rot brun" apparaissant après la nouaison. Les paramètres déclencheurs combinés sont donc : la maturité des œufs, la pluie, la température, le stade phénologique de réceptivité des vignes (présence de surfaces foliaires). Cette année, en plus des contaminations primaires tardives, des contaminations directement sur inflorescences ont été recensées, rendant la lutte encore plus difficile. En sachant également que la rosée peut suffire à propager le mildiou, par le dessous des grappes. Théoriquement, après la véraison, les baies ne sont plus réceptives. Pour autant, le développement de la maladie ne cesse pas complètement ; malgré la présence de sucres qui déplaît au champignon. « Le mildiou explose quand les viticulteurs sont en vacances », ironise Mathieu Oudot, conseiller et animateur en viticulture biologique au Vinipôle Sud Bourgogne. Par ailleurs, du côté des modèles numériques, ces derniers ne traduisent malheureusement pas la virulence de la sporulation.

« Il ne fallait pas relâcher la pression »

Certifié bio depuis cette année, le Domaine Ferret possède un parcellaire de 18 ha, réparti entre Fuissé (2/3) et Vergisson (1/3). Au niveau de la productivité, les vignes ne sont pas très vigoureuses (sans compter les nouvelles plantations). En moyenne, le rendement est de 45 hl/ha. En sachant que « les parcelles les plus chargées arrivent tout juste à 60 hl/ha », précise Clément Robinet, responsable d’exploitation et régisseur du Domaine depuis juin dernier.

À Vergisson, la pression du mildiou était plus forte qu’à Fuissé, commune davantage touchée par l’oïdium. Ce différentiel s’explique par la disparité, même locale, des précipitations. Loin des parcelles impraticables et des pourcentages élevés relevés dans le Nord Mâconnais, les pertes sur le secteur ont été estimées entre 5 et 10 %. Valeurs similaires que ce soit en bio ou en conventionnel.

Les premiers traitements au cuivre ont débuté fin avril début mai, pour un dernier effectué fin juillet début août. Au bilan, 12 passages ont été réalisés (soit un traitement par semaine). À une reprise, le domaine a dû recourir à deux traitements hebdomadaires. « Il ne fallait pas s’arrêter avant », explique le responsable d’exploitation. En complément du cuivre, du limocide, huile essentielle d’orange à effet séchant, a été utilisé. En veillant cependant aux risques de brûlures des raisins au moment de l’application. « Le manque de main-d’œuvre ne facilite pas la gestion optimale des maladies cryptogamiques », poursuit-il. En saison, le domaine emploie un tractoriste qui maîtrise aussi le pulvérisateur. En prenant en compte les étroites fenêtres de traitement et le relief, deux jours sont nécessaires pour traiter l’ensemble du parcellaire, cinq rangs à la fois. « Idéalement, il faudrait descendre à un jour […] à l’avenir, il va falloir être de plus en plus réactifs sur les traitements », souligne-t-il. Finalement, en termes de quantité, 200 l/ha de bouillie bordelaise ont été épandus, soit un total de 3 kg Cu/ha. Malgré le temps requis et les recharges fréquentes, l’usage d’un pulvérisateur « assure un meilleur traitement au niveau des grappes ». En 2021, le fort régime hydrique avait justifié la sortie de l’atomiseur, ce qui n’a pas été le cas cette année.

À cause du dérèglement climatique, les pressions dues aux maladies cryptogamiques se cumulent de plus en plus. Dans la mesure où les champignons (mildiou et oïdium) se développent via des conditions météorologiques qui alternent fréquemment. Les fortes pluies ayant tendance à "laver" l’oïdium, se propageant ensuite grâce au vent. Les viticulteurs n’ont guère le choix : « on va s’adapter », conclut Clément Robinet, qui vient d’accueillir au domaine un apprenti en charge du développement des couverts végétaux.

« Le traitement post-vendanges n’est pas systématique »

Lorsque, comme cette année, l’arrière-saison est clémente, la question de la légitimité d’un traitement post-récolte se pose. « Ce n’est pas une nécessité, surtout quand le mildiou s’est fait sécher sur place au mois de septembre ! », déclare Mathieu Oudot. Il ne s’agit donc pas de tomber dans le « systématisme » ; l’observation doit véritablement rester la clé.

La toxicité du cuivre

À l’instar du soufre, le cuivre est un produit de contact couvrant (non systémique) et présente une forte rémanence dans la terre. Contrairement aux produits phytosanitaires utilisés en conventionnel qui, après lessivage, peuvent se retrouver abondamment dans les cours d’eau. Bien que le cuivre ne se dégrade pas une fois dans le milieu (demi-vie de 10.000 jours), sa toxicité est à relativiser selon l’historique et la composition du sol (granulométrie et acidité). Dans les sols sableux par exemple, les premiers horizons retiennent très peu le composé métallique. Tandis que les pH bas des sols calcaires et riches en matière organique procurent un effet tampon. Sans cet effet, le cuivre devient très délétère, notamment pour l’activité des micro-organismes. Sur le secteur mâconnais, du fait de la basicité des terres, les risques de contamination sévères sont amoindris. « Les sols bourguignons ont encore une capacité à tamponner les mauvais effets du cuivre », affirme Mathieu Oudot. D’après les chiffres du projet DuraSolVi du BIVB (Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne), la biomasse microbienne de ces sols s’élève à 430 mg C/kg.

Le règlement actuel fixe une quantité de 4 kg Cu/ha/an (substance réhomologuée en 2019). Une dérogation est cependant parue en 2023, au vu de la pression importante enregistrée, autorisant exceptionnellement le dépassement de cette quantité. Toutefois, d’après la note du ministère, les agriculteurs doivent respecter un maximum de 28 kg entre le 01/01/2019 et le 31/12/2025. Les différences avec les précédents millésimes et itinéraires techniques permettant donc de lisser les apports sur sept ans.

Rares et compliqués, peu de projets de phyto extraction voient le jour sur le territoire. Le point noir demeurant le traitement des déchets verts ayant absorbé le métal lourd.

À ce jour, en termes d’efficacité, les retours terrain sont sans équivoque : « il n’existe aucune alternative bio de traitement du mildiou ». Il va sans dire que "le cuivre reste candidat à la substitution" (rapport Inrae, 2018). Les besoins de la vigne, estimés à 30-100 g/ha/an, demeurent nettement inférieurs aux apports réels, généralement compris entre 3 et 5 kg Cu/ha/an. Donnée signifiant ainsi qu’il n’existe pas de carences au champ, même si la concentration foliaire en cuivre diminue considérablement depuis quarante ans. Au-delà de l’usage du cuivre, les enjeux de la viticulture, bio et non bio, se concentrent aussi sur l’entretien des sols (amendements organiques, travail adapté…).