Section laitière de la FDSEA
Des « prix conformes » au mix-produits

Cédric MICHELIN
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Le 25 février à Simandre, la section laitière de la FDSEA avait invité ses adhérents à venir faire le point sur l’actualité laitière de l’année. À commencer par Egalim 2 et sa contractualisation avec des « prix conformes » aux coûts de production et aux débouchés de chaque laiterie. Ce thème de la valorisation revenait également avec la vente de crédits carbones en local ou encore avec l’AOP Beurre et Crèmes de Bresse (dans notre prochaine édition).

Des « prix conformes » au mix-produits

« Même quand ça va bien, il reste du boulot pour éviter que ça aille mal », souriait Samuel Bulot, administrateur à la FNPL, et éleveur en Côte d’Or. En effet, personne ne sait dire comment va évoluer l’avenir à l’heure d’une pandémie pas encore terminée, d’une inflation record et d’une guerre en Europe. Derrière, à chaque grand moment de l’histoire, le maillon agricole est stratégique. Le syndicalisme n’a de cesse de le rappeler : souveraineté alimentaire rime avec rémunération des agriculteurs. Pas de pays, sans paysan.
Le président de la section laitière de la FDSEA, Stéphane Convert enchaînait donc sur la méthode pour sécuriser les revenus des agriculteurs avec la « généralisation » de la contractualisation (avec le premier acheteur de matière agricole), rendue obligatoire avec la deuxième version de la loi EGAlim. En réalité, depuis la fin des quotas laitiers, la contractualisation en lait s’est déjà bien généralisée et s’est accélérée dès 2011. Ce sont les filières viandes qui rentrent actuellement dans cette démarche de contrat partant de la production.

OP régionale, négociations directes

La vraie nouveauté dans la filière laitière régionale vient plus de la création d’une Organisation de producteurs (OP) régionale. Cette OP a la particularité de regrouper plusieurs sections – « pour conserver les liens directs avec les "petites laiteries" : Mulin, Ermitage, Delin, Perrin, Lehmann, Girard » - mais qui au final pèse pour plus de 60.755.600 litres, représentant 205 producteurs dans 114 exploitations. Objectif de l’OP : répondre à la réglementation en permettant à tous les éleveurs de BFC d’adhérer à une OP et donc de proposer des contrats conforme à la loi EGA.
Une façon de « massifier l’offre pour chercher à revaloriser les prix aux producteurs », à l’image de ce que fait déjà l’OP Jura-Bresse (80 millions de litres, 212 adhérents). Hors circuits courts et AOP, « Danone veut vendre l’image d’une agriculture régénératrice » pour se différencier sur les marchés, expliquait d’ailleurs Laurent Boivin, adhérent de l’OP Jura-Bresse qui vend le reste en lait à morbier.
Au-delà des filières industrielles ou des laiteries locales, la contractualisation obligatoire ne l’est pas pour les ventes directes, les ventes aux associations caritatives…

Des transformateurs aux options opaques

Mais des nouveautés sont tout de même à connaître. La contractualisation laitière s’armant d’options avec le temps. Quentin Boiteau, chargé de mission à la FNPL entrait dans le détail. « La proposition de contrat ou d’accord cadre est le socle de la contractualisation », rappelait-il en préambule. L’OP prend alors en compte des indicateurs relatifs aux coûts pertinents de production pour faire une proposition à son acheteur. Les négociations s’engagent sur cette base avec un certain nombre de possibilités de « pondérer » ces indicateurs, selon les quantités livrées, la composition du lait, sa qualité, son origine ou encore la traçabilité des produits et respect d’un cahier des charges. Il est en revanche interdit pour un industriel ou laiterie d’imposer dans ce contrat « des clauses ayant pour effet une renégociation ou une modification automatique du prix liée à l’environnement concurrentiel ». Il s’agit là de sanctuariser la part des coûts de revient du producteur et d’arrêter d’en faire la variable d’ajustement de la filière entière. Sur le terrain, la FNPL observe encore des « clauses interdites », citant celles de Sodiaal ou de Lactalis. Des contrôles et des sanctions sont en cours car « les transformateurs arrivent avec l’option la plus opaque dans leurs contrats (CGV) », observe-t-il au national. La FNPL veut voir « un principe de transparence » dans les contrats. Par exemple, pour un fromage à la truffe, différencier les volumes et tarifs qui pourraient représenter 90 % du lait mais que 20 % du tarif, alors que la truffe ne représente que 5 % du produit mais revient à 15 % du coût pour le transformateur. « Un tiers indépendant peut venir contrôler » ces proportions.

Le prix conforme à la loi

Pour Quentin Boiteau, à l’heure d’importantes hausses des charges (alimentation, énergies…), l’important reste que les éleveurs et leurs OP inscrivent surtout bien dans les contrats les seuls indicateurs reconnus par le Gouvernement et la profession agricole, les indicateurs de l’Interprofession (www.cniel-infos.com ; rubrique tableau de bord) ou à défaut celles d’Instituts techniques.
Ce n’est qu’après qu’il sera possible de négocier des « prix conformes » à la réalité des débouchés de chaque laiterie. Ce « prix conforme » peut en effet être basé sur le mix-produits de la laiterie qui collecte. En fonction donc de sa part de produits de grandes distributions (PGC) en France, de sa part de PGC export et de sa part de produits industriels pour l’export. Les indicateurs peuvent alors être modulés selon de tels pourcentages. Il donnait des exemples : pour Danone, cela pourrait être 80 % PGC France et 20 % export ; pour Sodiaal : 40 % PGC France, 40 % PGC export et 20 % B/P (cotation beurre/poudre du marché Allemand) ; ou encore pour ULM : 42 % PFC PGC France, 33 % PGC export et 25 % B/P.
Et ce n’est pas tout. « Souvent, nos laits sont plus riches (TB, TP) et on peut aussi l’intégrer dans les contrats », prévoit Stéphane Convert. Il s’appuie là sur les indicateurs FranceAgriMer en lait conventionnel 38-32 TPC-TQC. Il ne criait pas victoire pour autant car les indicateurs affichent des décalages avec les « augmentations des coûts de revient : alimentation animale, ferraille… ». Encore faut-il renégocier avec, par exemple, des cours Beurre/Poudre dépassant les 500 €/t et « continuant d’augmenter très vite ».

Rester prudent sur la trésorerie

Reste que depuis 2018 et la première loi EGAlim, les produits laitiers de grande distribution ont vu leurs cours (/1.000 l) augmenter chaque année : 330 € en 2018 ; 344 € en 2019 ; 345 € en 2020 ; 354 € en 2021
Précision utile, tous ces indicateurs intègrent une juste « rémunération à hauteur de 2 Smic, à peine ambitieux pour 7 jours à deux fois 35 h de travail par semaine », notait Samuel Bulot. Un débat s’engageait dans la salle montrant des perceptions différentes : assistanat, patronat, installations… Le directeur de la laiterie d’Etrez-Foissiat, Yann Lescouezec coupait court : « il faut bien mettre un chiffre pour construire un indicateur. Avant, on parlait de Mercuriales. Cet indicateur est une base à la négociation. Mais en lait, on ne peut pas pratiquer la politique de la chaise vide. Dans la réalité, les centrales d’achat s’en foutent de la Loi, elles veulent juste ne pas acheter un centime plus cher que l’autre GMS. Ça donne juste une base » commune à toutes. « Mais aucune laiterie ne les utilise vraiment », concluait-il.
Stéphane Convert concluait en rappelant l’objectif de départ : « la partie producteur est sanctuarisée et les négociations portent maintenant sur la partie transformation : transport, packaging… ». Tout n’est pas gagné pour autant. Gare à l’inflation et peut-être un retour de politique de « guerre des prix bas »… Dans la salle, les éleveurs le pressentaient, « il va falloir rester prudents et faire de la trésorerie ».

 

 

 

Des crédits carbones à vendre en local

Autre volet des services économiques du syndicalisme, la FNPL et les FDSEA travaillent sur la démarche Carbon Agri, poussant les politiques et entreprises à « acheter des crédits carbones Français et locaux » si possible. Ce qui pourrait intéresser des entreprises agroalimentaires et même des coopératives agricoles. « Et en plus, c’est une communication positive pour l’élevage pour être perçue comme une solution au changement climatique », félicitait Stéphane Convert. Si au premier appel à projet national, la FDSEA a d’abord voulu tester « en engageant trois éleveurs laitiers », après un diagnostic, les gains sont aujourd’hui entre « 900 et 2.000 t » de CO2 économisées, permettant un retour « prévu entre 27.000 et 60.000 € sur cinq ans » selon le type d’exploitation. Un prochain appel à projet national est prévu bientôt. Seize éleveurs sont candidats, dont neuf nouveaux laitiers.