Union des producteurs de vins Mâcon
« Les cuves sont bien vides »

Cédric MICHELIN
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Le 21 avril à Bussières, l’Union des producteurs de vins Mâcon (UPVM) tenait son assemblée générale, faisant ainsi le bilan d’une année 2021 forcément marquée par le gel. Portés par des marchés dynamiques, les stocks sont en baisse en AOC mâcon. L’occasion de parler de pistes pour tenter de résister au changement climatique.

« Les cuves sont bien vides »
Les vins Mâcon étaient heureux de se retrouver avec les autres appellations mâconnaises lors des Symphonies Mâconnaises des Grands jours de Bourgogne 2022.

Avec 165 ha de mâcon blanc, 2.141 ha de mâcon villages blanc, 1.824 ha de mâcon DGC (dénomination géographique complémentaire), 201 ha de mâcon rouge et rosés et 142 ha de mâcon DGC rouge et rosés (contre 1.100 ha en 1969 !), l’appellation mâcon dans sa totalité représente 4.475 ha environ (contre 4.241 ha en 2020), présentait Michel Barraud, vice-président de l’UPVM, soit une hausse de + 6 % des surfaces. « Nous avons davantage de revendication en mâcon blanc à la place de revendication en crémant », expliquait-il.
Mais cette bonne nouvelle contrastait avec les -38 % de récolte en 2021 en raison du gel. Des volumes qui chutent à 161.000 hl contre 268.000 hl en 2020. Si 10 % des volumes sont vendus en moûts et 3 % en raisins, avec des cours en forte hausse, aujourd’hui les 819 déclarants de récoltes (57 % des volumes en coopératives ; 30 % en caves particulières) vont devoir faire face à des stocks en forte baisse. Les VCI (volume complémentaire individuel) constitués de 2016 à 2021, soit 13.000 hl, ont presque été « tous utilisés » puisqu’il ne reste que 700 hl de VCI en 2022, après un « plus haut » de 32.000 hl (15 % d’une récolte "pleine") en 2018. Ce qui faisait dire au président de l’UPVM, Jérôme Chevalier que « tous les espoirs se portent aujourd’hui sur la récolte à venir. Sans VCI, on repart à zéro, les cuves sont bien vides ». Et pourtant, si le gel laissait craindre une demi-récolte, les vins mâcon ont finalement enregistré 35 % de pertes. Avec des marchés consommateurs toujours dynamiques et porteurs, les stocks fondent donc : « de 18 mois, on est descendu à 10 mois et on serait aujourd’hui à quatre mois, voire six mois à fin mars. Cela va être chaud », pour faire la jonction, craint Jérôme Chevalier. Son rapport moral insistait d’ailleurs sur deux priorités.

Densité, irrigation, agroforesterie…

« Le plus important est de produire et déjà, en 2022 ! Mais pas n’importe comment, dans le respect de l’environnement et avec du bon sens pour bien vivre avec nos voisins », soulignant ainsi l’obligation d’être « tous exemplaires » côtés traitements, au risque sinon de nouvelles « contraintes » réglementaires à l’avenir. Et à plus long terme, les vignerons « doivent se poser les bonnes questions pour s’adapter au climat qui change, changer nos habitudes de travail et il va falloir réagir vite », alertait Jérôme Chevalier qui n’interdit aucun débat en vue de modifications des cahiers des charges futurs : densité, irrigation, agroforesterie…

Moratoire des Douanes

Au centre de ces sujets, la commission technique et production. « On se souvient des discussions en 2018 visant à… baisser la production. À méditer », rappelait son responsable, Marc Sangoy, voulant souligner par là les difficultés à gérer une appellation en plein changement climatique, ne serait-ce que les contingents de plantations nouvelles, et passer de 50 ha à 30 ha. 116 demandeurs en 2021 ont pu planter (seuil plancher de 25,86 ares). Les demandes ont pourtant augmenté à près de 80 ha. En raison du gel et d’une année pluvieuse entraînant une forte pression maladie, l’UPVM n’avait pas demandé la possibilité de VCI et même avait demandé « exceptionnellement » une baisse de 0,5 ° pour tous les titres alcoolimétriques volumiques (TAV) mini, dernière preuve d’une campagne « compliquée ».
Voyant « beaucoup d’incohérences dans les CVI (casier viticole informatique) des parcelles réellement plantées », Jérôme Chevalier demandait à chacun, en tant que président-adjoint de la CAVB (Confédération des appellations et vignerons de Bourgogne), de « se mettre en conformité », ayant obtenu un « moratoire des Douanes », sans risque d’amendes cette année en cas d’erreur de déclaration.
Côté visites de vignes, le retard pris avec le Covid est en passe d’être rattrapé, avec en 2021, 1.410 ha visités (plus 180 ha de bourgognes et 152 ha de crémants, en même temps, avec ces ODG), la majorité étant en conformité.

La flavescence explose

Plus inquiétant est « l’épidémie de flavescence dorée qui s’emballe malgré les efforts » des vignerons et les quatre piliers de la lutte contre (traitement, prospection, arrachage, traitement eau chaude) en Bourgogne. Cette maladie est difficile à contenir pour tous les vignobles infestés. Le Mâconnais Nord, le Sud de la Saône-et-Loire et le Beaujolais sont particulièrement concernés. Se rajoute aussi le bois noir avec de fortes expressions.
De quoi être découragé. Une expérimentation en cours, sur Saint-Vérand et Chasselas, va autoriser une prospection individuelle « avec des contrôles encadrés », bien que la prospection collective, « soit plus rapide et plus efficace », préfère Marc Sangoy. Après l’échec des capteurs sur drones (faute aux fortes densités, bois noir, pentes…), autre essai avec l’Interprofession (BIVB), la Cuma à Sologny expérimente « une caméra sur un enjambeur pour entraîner l’intelligence artificielle à reconnaître » ensuite les symptômes avant-coureurs de la flavescence. Directrice du pôle Technique de la CAVB, Charlotte Huber a bon espoir de pouvoir l’utiliser plus largement « d’ici deux-trois ans ».

Prochaine à la Cité à Mâcon

Autre risque qui augmente avec le réchauffement climatique, la grêle. Après la polémique faisant un lien entre générateurs anti-grêle et sécheresse, « les météorologues nous ont expliqué que non. Mais ils nous ont aussi précisé qu’ils ne sont pas efficaces à 100 % : ils n’empêchent pas la grêle de tombe, ils abaissent la taille des grêlons », nuançait Jérôme Chevalier avec l’approbation justement du président de l’Arelfa et de la CAVB, Thiébault Huber. En 2021, dix déclenchements à la suite d’alertes ont été effectués (contre huit en 2020), « avec plus de pluie » pour les 44.000 ha « protégés » ainsi, avec l’aide de 410 bénévoles.
Avant de donner la parole au député du Mâconnais, Benjamin Dirx, au directeur d’AgroBio Campus Davayé, Jean-Philippe Lachaize sur le projet Vitaf (lire notre précédente édition), à Patrick Desroches pour le Département, Jérôme Chevalier mettait la pression sur le directeur, Olivier Leroy, de la Cité des Climats et vins de Bourgogne, notamment pour celle de Mâcon. « Notre prochaine AG se fera à la Cité » en avril 2023. Les bureaux de l’ODG seront prêts dès octobre 2022. L’ouverture officielle est toujours prévue pour mars 2023 et attend « 35.000 visiteurs par an ». « On s’appuiera sur le réseau Vignobles et découvertes pour renvoyer vers les caves et caveaux et pour certifier d’une belle qualité de réception de la clientèle », rappelait Olivier Leroy. Pour Jérôme Chevalier, pas de doute, « c’est un super outil pour capter des touristes. Il faut que les professionnels, vignerons surtout, y croient sinon on va dans le mur », alors que le projet s’élève à 4,3 millions d’€ (23 millions au total pour les trois Cités, Beaune et Chablis ; 20 % financé par le BIVB).
L’année 2023 s’annonce donc riche en événements. Après avoir diminué par deux la cotisation après le gel 2021, et au vu des résultats positifs (40.000 €) annoncés par la trésorière de l’ODG, Isabelle Meunier, la cotisation va être à nouveau appelée à « 100 % » « pour faire toutes les opérations de promotion de l’appellation dans les années à venir » (lire encadré). Une vraie bonne nouvelle.

Quinze influenceurs « activés »

Après des annulations en cascade deux années de suite, faute au Covid, le vice-président de l’UPVM, Sébastien Lacharme était heureux de voir les événements reprendre au fur et à mesure que la pandémie s’éloigne. Ce qui n’avait pas empêché de communiquer avec le BIVB pour des Masterclass (36.900 €), dans des magazines spécialisés (21.700 €), via 50 kakémonos et sur les réseaux sociaux avec « l’activation d’une quinzaine d’influenceurs », selon leur lexique.
En 2022, les événements « dans la vraie vie » (IRL pour les influenceurs, N.D.L.R.) ont déjà repris. Congrès des sommeliers, Grands jours de Bourgogne, VinEquip (avec les autres appellations mâconnaises), Congrès des œnologues (avec Crémants)… et le retour des Mâcon Wine Note (20-21 mai) et du Rallye des vins (24-26 juin). Tous auront besoin des vins sélectionnés lors de la Distinction qui a départagé 178 échantillons, avec trois millésimes, puisque « 2019 n’avait jamais été dégusté ».
« On ne va pas s’arrêter là », promettait Sébastien Lacharme, qui, avec « les jeunes du Conseil d’administration », ont plein de « bonnes idées ». Vite, on a hâte…

Jusqu’à 75 hl/ha pour plus de VCI ?

S’adapter aux gels, aux sécheresses, aux grillures… « ce chantier du changement climatique est colossal », prévient Jérôme Chevalier. La commission technique de l’UPVM travaille avec les autres organisations professionnelles et ODG, « notamment sur les modes de cultures, sur les densités de plantation – en lien avec l’ODG des bourgognes – pour les abaisser à 5.000 pieds par hectare, ce qui présenterait bien des avantages : baisse des intrants, moins besoin de main-d’œuvre… », listait Marc Sangoy. Ce « chantier » n’est pas que technique, il est aussi réglementaire pour ensuite modifier le cahier des charges, avec l’INAO et en concertation avec les autres appellations, notamment pour des questions de cohérences de hiérarchie des AOC et de replis.
Mais quelles sont les dernières recherches en matière d’adaptation au changement climatique ? Du Vinipôle, Florent Bidault faisait un point et livrait quelques éléments de réflexion. D’abord, le constat que le rendement « est en baisse - en dents de scie - depuis les années 1990, certes pas seulement à cause du climat ». Les modèles prévoient une hausse moyenne de +1°C d’ici 2050, et +1°C encore d’ici 2010 « dans le scenario raisonnable, sinon, jusqu’à +3°C », s’inquiétait-il. Cela entraîne déjà des décalages phénologiques, avec une hausse du risque de gel, plus de pluies en hiver, mais plus de déficit hydrique l’été avec des vignes perdant plus d’eau…
Première étape donc, s’adapter à court terme en modifiant les pratiques : gestion du feuillage, ombrage, filets antigrêle, produits « crème solaire », paillage au sol, augmentation matière organique pour retenir l’eau… « des pistes assez faciles à mettre en œuvre ». Des pistes « pas qu’à la parcelle » mais intégrant son environnement : implantation de haies…
À moyen terme, il s’agit de « sortir du petit panier actuel » de porte-greffes et greffes « pour décaler les stades de débourrement et résister aux sécheresses ». Des notations de matériel végétal sont en cours dans les trois vignes de la chambre d’Agriculture.
Enfin, dernière étape, « réfléchir a de nouvelles façons de mettre en place le vignoble avec des variétés nouvelles, et pas que résistantes au mildiou et oïdium, mais aussi à la sécheresse ». Un horizon de 10-20 ans est envisageable – avec le dispositif Vifa – avec la nécessité de « rester proche du chardonnay ».
Florent Bidault rebondissait sur les débats autour d’une densité à 5.000 pieds/ha. « Avec les autres régions viticoles, les références ne manquent pas, avec des avantages évidents : temps de travail, charges de mécanisation, moins de stress hydrique qu’à 10.000 pieds/ha… et plus adapté aux économies d’intrants. Reste que ce mode de conduite sera à adapter pour nos vignes étroites ».
En attendant, l’UPVM pousse déjà pour « pouvoir monter le rendement butoir les années généreuses jusqu’à 75 hl/ha, pour avoir plus de VCI », dispositif « qui ne coûte rien à personne ».

Quels « rendements » pour les marchés ?

Respectivement président et directeur du pôle Marché au BIVB, Manoël Bouchet et Philippe Longepierre présentaient les derniers chiffres issus de Demat’vin. À la fin mars 2022, avec 17.698 hl, les régionales mâcon rouges sont en baisse de -25 % par rapport à mars 2021. Avec 199.848 hl, les régionales mâcon blancs sont en baisse de -29 %. La baisse de récolte est en cause (respectivement -31 % et - 38 % par rapport à la récolte 2020) mais la progression des ventes accélère le déstockage. « On voit maintenant l’impact du disponible et de la récolte » qui ralentissent les opérations de ventes, que ce soit à l’export ou en grande distribution.
Si, avant, les rendements à la vigne suffisaient, le BIVB planche donc sur « les rendements marchés » pour trouver un « bon équilibre » afin d’éviter si possible les « ruptures de marchés ou consommateurs », en volume et en termes de positionnement prix. « Avec Demat’vin, on analyse les datas pour donner des perspectives et essayer d’anticiper », travaille Philippe Longepierre. Des modèles de financement et d’investissement en découleront pour les producteurs, à l’image des coûts de production.
Manoël Bouchet rajoutait aussi les études sur « la baisse de consommation des vins » pour la première fois dépassés en France par les bières. « Le lien d’amour du vin et de partage transgénérationnel de parents à enfants est rompu. La jeune génération est en rupture avec même parfois des comportements radicaux, rejetant les produits qui ne correspondant pas à leurs valeurs ou opinions. Et ce phénomène est massif », mettait en garde Manoël Bouchet (lire aussi en page HH).