Emploi - Formation
Les stagiaires de Raymond Ducarre reviennent sur les lieux de leur apprentissage

Frédéric RENAUD
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Ils étaient des jeunes hommes en formation, en grandes écoles, au lycée ou en MFR, lorsqu’un stage les amenés dans l’exploitation de Raymond Ducarre, à Saint-Bonnet-de-Cray, dans les années 1970 et 1980. Tous en conviennent : c’était un bon maître de stage. Désormais en fin de carrière ou retraités, ils ont gardé « un souvenir marquant de leur passage dans la ferme de Saint-Bonnet-de-Cray, qui a influencé nos parcours très divers. C’était notre Joséphine Baker ; il nous avait tous adoptés ! »

Les stagiaires de Raymond Ducarre reviennent sur les lieux de leur apprentissage
Réunis autour de Raymond Ducarre, ses anciens stagiaires des années 70 et 80 se souviennent : de ce stage bénéfique pour les apprenants comme pour le maître de stage...

Ils sont 21 stagiaires à avoir dépensé leur énergie de jeunes hommes au contact de Raymond Ducarre, dans les années 1970 et 1980 à Saint-Bonnet-de-Cray. Certains étaient en école supérieure, après le bac ; d’autres apprenaient en lycée agricole ou en MFR. Le 27 avril, une partie d’entre eux se sont retrouvés autour de leur ancien maître de stage. Ils avaient tous apprécié ce séjour dans l’exploitation au point de vouloir retrouver l’homme qui les a accompagnés dans l’entame de leur vie professionnelle.

Car une conviction forte anime Raymond Ducarre. « J’ai pris des stagiaires, car dans cette activité agricole, l’individu tout seul ne peut pas aller loin. Chacun d’entre nous a besoin d’autres personnes pour avancer ; la complémentarité, c’est quelque chose de très important », assume l’ancien éleveur. « C’est mon leitmotiv depuis longtemps : je soutiens qu’il faut apprendre pour comprendre. Dès lors, j’ai souhaité partager mon vécu avec d’autres. » Raymond Ducarre enfonce le clou : « Même les personnes avec un bon diplôme ou un niveau intellectuel élevé ont besoin de personnes complémentaires. C’était mon choix : je voulais partager mon savoir. »

Une installation particulière

Cette idée d’avancer à plusieurs trouve sans doute son origine dans son début d’activité. « J’étais venu travailler ici avant mon service militaire. Celui qui devait reprendre la ferme, après sa mère, devait se marier, mais l’union n’a pas eu lieu et il a renoncé aussi à devenir agriculteur. Il est donc venu me débaucher pour reprendre l’exploitation de sa famille. J’ai commencé comme salarié pendant trois ans ; puis le fils a demandé à sa mère de cesser l’activité et j’ai effectué une reprise, en louant la ferme. » Ce qui n’était pas une mince affaire pour lui !

« Quand on m’a présenté cette offre, je n’avais pas beaucoup de ressource financière. Le fils de l’exploitante en place m’a aidé à obtenir le prêt et à monter le dossier auprès de la chambre d’agriculture. J’ai repris l’exploitation presque sans rien. C’est avec le fils de la personne qui m’a cédé l’exploitation que j’ai démarré. Nous avions de très bons rapports ; on se mettait d’accord sur un processus de travail et un programme de travaux. » Cette assistance inespérée allait lui donner ensuite envie d’aider d’autres jeunes gens à avancer dans la vie.

Mettre le pied à l’étrier !

Le premier stagiaire, ce fut Roland, en 1971 et ensuite, chaque année, il y a eu au moins un stagiaire dans la ferme de Raymond et Marie-Thérèse Ducarre. « J'étais à Agrosup, à Paris-Grignon. A l’époque, l’école organisait en première année, dès notre arrivée, des stages dans les exploitations », décrit Roland, qui a fait carrière dans les organisations agricoles, dans les Safer et les chambres d’agriculture. « L’idée, c’était de suivre un cycle de production d’une année, de septembre à l’été suivant. D’emblée, il nous a mis le pied à l’étrier en nous installant au volant du tracteur, ou en nous confiant l’élevage ; ainsi, nous pouvions découvrir son monde. » 

Un déroulement comparable pour Christophe, en formation à Purpan en 1975. « Je venais d’Argentine et bilingue, j’ai fait mes études en France car mon père était français. J’ai découvert une agriculture bien différente de celle de l’Argentine, en particulier dans l’élevage bovin. J’ai beaucoup appris ; j’ai fait les foins et tout ce qu’il avait àf aire. Je me suis senti comme chez moi même si mes  parents étaient loin chez ce couple accueillant, qui m’emmenait au bal tous les samedis soir. »

Ce qui a marqué tous ces jeunes gens qui n’ont pas oublié leur maître de stage, c’est qu’il « était attentif aux stagiaires ; c’était quelqu’un de très ouvert qui trouvait un intérêt à avoir des stagiaires chez lui. Comme si c’était un bénéfice partagé. Cette expérience a permis aux uns et aux autres de progresser, d’avancer. » Parfois, le boulot n'était pas fait « à ma façon. Mais je n'avais rien à dire » , signale Raymond. Certains stagiaires rigolent : « On nous avait interdit d'aller en tracteur dans une parcelle avec une "mouille", les jours de pluie. Pas toujours obéissants, nous avons été un peu disputés ; mais on nous expliquait aussi comment nous en sortir. »

Pour Raymond Ducarre, ce concept de bénéfice partagé s’est vite imposé. « J’ai appris beaucoup avec eux. Si on veut rester dans le contexte d’une profession, quelle qu’elle soit, c’est obligé d’avoir l’avant et l’après. Il faut un échange qui permette d’analyser ; nous avons tous des capacités, des façons de ressentir et de travailler. Et il faut les confronter : ça m’a toujours permis d’être pratiquement en phase avec la réalité », indique l’ancien exploitant. « Toutes ces années de collaboration avec des jeunes m’ont permis de continuer à avancer. »

Des stagiaires pour le remplacer 

La difficulté pour un agriculteur, c’est de se rendre disponible. Ce dont témoigne Raymond Ducarre : « quand le boulot est là, il faut le faire : le jour et l’heure ne sont pas toujours faciles à déterminer. Plus que les hommes, ce sont souvent les événements qui les imposent. On ne peut pas faire sécher du foin s’il pleut à plein temps. Mais parfois, quand il fait beau, il y a des responsabilités à assumer au même moment. » Les stagiaires ont alors remplacé le chef d'exploitation qui partait pour ses engagements. 

Le fait d’être appelé à l’extérieur pour ces engagements (chambre d'agriculture, Crédit agricole puis Crédit mutuel, municipalité) « m’a appris à éviter de se focaliser sur le pourquoi et le comment ; car il faut surtout agir. Alors on exécute plus tard ce qu’on avait parfois prévu pour le jour J, à la ferme comme dans les responsabilités », ajoute Raymond Ducarre. « Pendant des années, j’ai eu des nuits courtes, pas plus de 4 ou 5 heures. Mais je ne regrette rien. »

Aujourd'hui, les anciens stagiaires et maître de stage sentent des divergences entre l’évolution des filières et l’état d’esprit des jeunes dans les grandes écoles, « branchés écologie et environnement. Certains refusent d’aller dans la production ou dans l’agriculture productiviste. Ce qui révèle un hiatus entre la théorie des écoles et la réalité de l'agriculture ;  faut-il réinventer des stages qui se dérouleraient sur plusieurs exploitations ? »