Label Agri-Éthique
Toute une filière engagée sur un prix

Françoise Thomas
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La notion de juste rémunération des producteurs fait, bon an mal an, progressivement son chemin. Du point de vue du consommateur, c’est tout autant pour une question de respect du travail accompli que pour se garantir des aliments de qualité. Ainsi, la démarche Agri-Éthique est née en 2013 du côté de la Vendée. Ce commerce équitable à la française entrait alors dans la droite ligne du commerce équitable envers les petits producteurs du monde entier, quelles que soient les productions en question. Lundi 21 septembre du côté de Saint-André-de-Corcy (Ain), il était question de blé panifiable.

Toute une filière engagée sur un prix
Baptiste Bernard, Karine Forest, Frédéric Geneste et Barthélémy Le Gove, représentant l'organisme stockeur Descréaux-Groupe Bernard, la minoterie Forest et le label Agri-Éthique.

Pourquoi ne pas appliquer à l’agriculteur du champ voisin le même principe de juste rémunération que l’on trouve normal de respecter pour les productions des paysans situés à l’autre bout du monde lorsque l’on achète des produits issus du commerce équitable ?
Si les consommateurs en sont de plus en plus conscients et acceptent de payer un peu plus cher un produit certifié, si les agriculteurs sont bien évidemment en attente d’une plus juste rémunération, quitte à faire évoluer leurs pratiques culturales, il faut également que le reste de la filière soit dans cette même dynamique.
La minoterie Forest et l’organisme stockeur Descréaux – Groupe Bernard (situé entre l’Ain et l’Allier) ont tenu à rappeler leur adhésion et leur engagement dans cette voie.

Visibilité rare

Ainsi les deux structures ont rejoint la démarche Agri-Éthique en 2017. L’occasion notamment pour la minoterie de Saône-et-Loire de s’engager via un contrat sur quatre ans (à l’époque) auprès de ses céréaliers partenaires en termes de prix et de volumes de blé. « C’est notre rôle d’entrepreneur de comprendre la filière et d’agir sur la rémunération des agriculteurs », affirme Karine Forest, directrice générale de la minoterie. « Nous sommes donc partis du prix du blé, et non plus du prix final du pain, pour que les agriculteurs soient bien rémunérés, le tout dans une démarche de respect de l’environnement ». Ainsi le prix déterminé il y a trois ans était de 180 € la tonne de blé. Soit une rémunération d’environ 30 € supérieure au Matif blé de l’époque. « Ce prix a été construit en toute transparence en concertation avec les producteurs », rappelle-t-elle. Engagés sur une durée déterminée, le prix établi reste fixe et ne sera ni dévalué, ni en revanche réévalué si le cours du blé vient à augmenter. Mais, tient à faire remarquer Frédéric Geneste, le responsable en devenir de la filiale Descréaux, au sein de Descréaux - Groupe Bernard, « c’est unique pour les producteurs d’avoir un prix ainsi assuré sur trois ans. Les producteurs connaissent le prix qu’ils seront payés avant même de semer le blé ! ». 

Les céréaliers demandeurs

Concernant l’organisme-stockeur, 55 de ses producteurs sont engagés dans la démarche Agri-Éthique, « 22 dépendent du Groupe Bernard, le reste dépendent de Descréaux ».
« La fin de ce premier contrat arrivera à échéance avec la récolte 2021, souligne Baptiste Bernard, et nous constatons une forte demande de nos clients producteurs d’entrer à leur tour dans la démarche ».
Compte tenu du contexte actuel de sensibilisation générale à la problématique, les volumes à déterminer pour le prochain contrat seront forcément plus importants, « mais nous ne savons pas encore si nous allons augmenter les surfaces chez nos céréaliers partenaires, ou faire appel à de nouveaux producteurs », expliquent ces dirigeants.
Pour l’instant la demande est là, même si la notion de label Agri-Éthique pêche encore en terme de reconnaissance par le grand public « d’où notre volonté de multiplier les animations chez nos boulangers partenaires », rappelle Barthélémy Le Gove, chargé de développement pour le label.

Parfaite traçabilité

Du côté de Decréaux - Groupe Bernard, cet engagement Agri-Éthique représente aujourd’hui 4.500 tonnes, sur les 100.000 tonnes de blé traités chaque année par le stockeur. « Notre volonté est de poursuivre dans cette politique de filière avec prix garanti au producteur et que cela concerne une tonne sur deux d’ici deux ans », poursuit Baptiste Bernard. Si aujourd’hui, 35.000 tonnes en tout sont concernées par une filière qualité, l’objectif affiché est donc de 50.000 tonnes.

En contrepartie, un cahier des charges est évidemment à respecter, notamment dans le cadre d’Agri-Éthique : « le principe est celui d’une agriculture raisonnée, avec un nombre de traitements de protection des plantes ou de fertilisation des sols parfaitement encadrés ». Toutes les applications de produits ne sont effectuées qu’après visite de terrain de l’un des sept techniciens de l’organisme stockeur. « La traçabilité est complète du champ au fournil », insiste Karine Forest. La démarche se veut ainsi « vertueuse » sur l’ensemble de la filière.

« L’assurance prix »

Installé en Gaec depuis bientôt 12 ans et rapidement engagé dans des filières qualité, Julien Taboulot n’a pas hésité à intégrer la démarche Agri-Éthique, via son collecteur Descréaux. « Jusqu’en 2018, nous étions en filière blé améliorant. Nous avons opté pour Agri-Éthique car cela correspondait plus à la qualité de nos semences et à notre type de sol. La rémunération a fini de nous convaincre ».

Aujourd’hui, les 120 ha de blé produits sur ce Gaec de l’Allier sont tous conduits selon le cahier des charges Agri-Éthique, même si seulement 100 tonnes, soit environ 20 ha, partent dans la filière. C’est plus simple à gérer « et au moins, nous pourrons tout de suite être opérationnels le jour où Agri-Éthique demande plus de tonnage ». Car Julien Taboulot et son associé se retrouvent tout à fait dans cette démarche et sont prêts « à passer la totalité de la production ».

Il faut dire qu’avec un cours du blé soumis au marché mondial, « on ne sait jamais à quel prix il va être vendu, il y a trop de fluctuation », relate Julien Taboulot. Là, au moins, « le prix a été fixé et le blé nous est payé entre 180 et 185 €/tonne, selon notamment le taux de protéine ». Et quand bien même les cours pourraient être épisodiquement plus hauts, « je préfère le vendre tout le temps pendant trois ans à 180 €, plutôt que quelquefois à 200 € et le reste à 130 € ! », argumente le jeune agriculteur. « Agri-Éthique, c’est notre assurance prix ! poursuit-il. Nous avons une vision à trois – quatre ans avec un montant qui correspond à nos charges ».

L’adhésion à la démarche n’a pas engendré de modification de conduite de culture : « nous étions déjà dans une optique de diminution des produits phytosanitaires et des engrais ». Leur principe est de labourer une année, procéder à un travail en profondeur avec un outil à dent l’année suivante, puis la troisième année de ne passer qu’un outil de surface. Leur Gaec en polyculture élevage leur apporte le fumier nécessaire pour amender les sols. Convaincu que l’agriculture de demain ne peut être que l’agriculture raisonnée comme ils la pratiquent, ne reste plus désormais qu’à communiquer sur cet engagement à partir même du Gaec.