Jeunes et agriculture
Je t’aime moi non plus ?

#Agridemain a organisé fin septembre un débat sur le thème « Jeunes et agriculture : un regard désenchanté ? ». Entre d’un côté méconnaissance, parfois défiance et désintérêt et de l’autre une bonne image, les jeunes générations cultivent aisément bien des paradoxes. Un peu sur le mode, « je t’aime moi non plus ».

Le président d’#Agridemain, Guillaume Lefort, a bien résumé le sentiment général qui prévaut actuellement dans le milieu agricole : « Nous éprouvons des difficultés à communiquer auprès des jeunes qui ont des codes et des approches différentes sur l’agriculture ». L’inquiétude est d’autant plus grande que des dizaines de milliers d’agriculteurs vont partir à la retraite dans les dix prochaines années et qu’il serait opportun qu’une partie des jeunes reprennent le flambeau. Mais comment faire pour rendre attractif un métier sur lequel les jeunes de 18-35 portent un regard contradictoire ?

Pas à un paradoxe près

Car la jeunesse française est bien déroutante et paradoxale. Selon un récent sondage BVA-#Agridemain, les 18-24 ans ont une image plutôt positive de l’agriculture mais « en retrait par rapport au reste de la population, avec moins d’enthousiasme », a noté Florence Gramond, directrice du département Agriculture au sein de l’institut BVA. « Ils ont un intérêt marqué pour les grandes cultures, plus que la moyenne nationale et dégagent le sentiment que l’agriculture a évolué de façon positive depuis cinq ans », a-t-elle ajouté. Mieux : ils sont, selon le sondage BVA, 44 % à juger que l’agriculture française est meilleure que les autres agricultures de l’Union européenne. Mais d’un autre côté, ces mêmes jeunes sont deux fois plus nombreux à penser que l’agriculture est fermée à l’innovation. Ils reconnaissent aussi une grande méconnaissance dans les modes de culture et d’élevage. N’étant pas à un paradoxe près, ils préfèrent majoritairement (47 %) une agriculture biologique en France, « quitte à réduire notre production et devoir importer ». De même, préfèrent-ils renoncer à produire certaines cultures en France pour lutter contre le réchauffement climatique.

« Sécession douce »

« On sent poindre une certaine radicalité », ont analysé Frédéric Dabi, directeur général de l’IFOP et Florence Gramond. Une radicalité qui se traduit dans la désaffection pour le vote (84 % des 18-24 ans se sont abstenus lors des dernières élections régionales) et la défiance vis-à-vis du gouvernement, des syndicats, des corps intermédiaires et d’une manière générale des structures collectives. « C’est parce qu’ils sont frustrés de l’action politique vis-à-vis des enjeux comme le changement climatique et que leur conscience les incite à penser que l’urgence commande de régler ce dossier qu’ils se nourrissent de radicalité », a jugé Frédéric Dabi. « Le pire, c’est qu’ils ne savent pas que l’agriculture est une des solutions au réchauffement climatique », a-t-il ajouté. Les 18-35 ans semblent être une population à part à qui l’épisode du Covid semble avoir créé une conscience générationnelle. Doutant sur la démocratie, sa représentativité, ne souhaitant pas déléguer son pouvoir, elle est une sorte de génération, « dépolitisée mais pas désengagée », une génération en « sécession douce », selon les termes de Frédéric Dabi.

Réalité du métier

Comment dans ces conditions attirer de futurs repreneurs face à des cédants ? « En commençant peut-être par développer nos arguments face à la désinformation qui entoure notre métier et ses pratiques, en amenant du positif dans nos réponses plutôt que d’être systématiquement sur la défensive », a développé Pauline Morin, membre du bureau d’#Agridemain. « En repensant la cible des Fermes ouvertes. Il ne faut pas tout centrer sur les plus jeunes, mais aussi viser les adolescents. Il faudrait faire venir des agriculteurs dans les lycées et les collèges pendant la saison morte, aux côtés des professeurs d’histoire et de SVT pour qu’ils expliquent la réalité du métier », a suggéré Florence Gramond. Pauline Morin a acquiescé faisant part de sa propre expérience auprès d’une classe de troisième : « Plus on discute de nos métiers, plus ils ont soif d’apprendre ». Autrement dit, commencer par renouer le dialogue avec les jeunes générations pourrait dissiper quelques malentendus.