EXCLU WEB / Les chênes de Tronçais au patrimoine culturel français

L’inscription au patrimoine culturel immatériel français de la futaie régulière de chêne consacre la reconnaissance des savoir-faire de générations de forestiers de l’Office National des Forêts. Cette démarche, pilotée par le ministère de la culture, est le résultat du soutien de nombreux acteurs de la filière forêt-bois, forestiers publics et privés, scieurs, tonneliers, mais aussi viticulteurs, scientifiques, naturalistes et anthropologues. 

La cérémonie en l’honneur de ce classement s’est déroulée dans la forêt de Tronçais, à cheval sur le Cher et l’Allier. Rien d’étonnant, c’est l’une des forêts les plus prestigieuses de France. Elle s’étale sur 10 000 hectares, l’équivalent de la surface de Paris. C’est là que l’on trouve les plus beaux chênes destinés à la merranderie pour la fabrication des tonneaux, à la parqueterie mais aussi ceux qui serviront à reconstruire la flèche de Notre Dame.

Tronçais : une forêt historique

Mais la forêt de Tronçais est surtout celle où, fin XVIIe s., à la demande de Colbert, les sylviculteurs français ont mis en place les prémices de cette « futaie régulière » pour fournir des bois nécessaires au renouveau de la marine française mais aussi garantir un approvisionnement régulier en bois. Depuis le siècle de Louis XIV une quinzaine de générations de forestiers se sont donc succédé et ont amélioré les principes de cette sylviculture moderne. L’école forestière de Nancy, créée en 1824, va ainsi prôner la futaie régulière au détriment du taillis-sous-futaie.

L’objectif est de conduire des arbres à 250 ans, même si maintenant, avec le réchauffement climatique, on imagine plutôt descendre à 200 ans. Les forestiers recherchent des longs fûts, une pousse lente pour obtenir un grain le plus fin possible, idéal pour la tonnellerie ou l’ébénisterie. Pour cela, ils vont sélectionner les chênes les plus costauds, les entourer d’essences comme le charme qui serviront de gainage et protégeront le fût du chêne. Enfin, il leur faut jouer sur la lumière pour maîtriser une croissance régulière.

Le savoir-faire forestier

Il faut se promener en forêt avec ces forestiers passionnés de l’ONF pour mieux saisir, de visu, comment leur travail et celui de leurs prédécesseurs, permettent d’obtenir ces futaies cathédrales bicentenaires. La forêt de Tronçais, comme les 500 000 hectares de chênaies domaniales de France gérées en futaie régulière, est divisée en parcelles correspondant chacune à des peuplements d’âge différent.

À chaque stade, les forestiers effectuent un travail différent. Dans un peuplement de cinquante ans, on enlève deux tiges sur quatre pour donner de la place aux arbres les plus vigoureux. Les bois coupés serviront de chauffage ou de poteaux à bouchots. La concurrence et la sélection font que les arbres ont le moins de branches possible. L’accent est mis sur la protection des sols et la biodiversité. Des bois morts sont abandonnés à leur sort pour favoriser la mycologie et les insectes. Au-delà de 75 ans, des coupes d’éclaircie ciblées sont effectuées tous les 10 ans afin de laisser la place aux arbres dominants. C’est quand la futaie est mûre, que les chênes dépassent les 200 ans, que s’effectue la régénération naturelle. Le sol est alors parsemé de glands et viennent ensuite les semis. On en compte 500 000 par hectare, qui donneront au final une centaine de chênes remarquables, de plus de trente mètres de hauteur, qui seront coupés en une dizaine d’années et s’arracheront à prix d’or (lire encadré). La vente des bois d’éclaircie permet d’avoir des recettes régulières, l’entretien de peuplements d’âge distincts favorise la diversité des sous-bois et réjouit le public visiteur. Gestion de la forêt, protection de la biodiversité, accueil du public sont aussi les apports de cette futaie régulière de chêne à la française sans oublier cet étonnant rapport au temps, qui fait que l’on recueille le fruit du travail des anciens tout en le transmettant aux futures générations.

 

 

Vente record des plus beaux chênes de l’ONF à Cerilly

La vente de chênes des forêts communales et domaniales organisée par l’ONF le 18 octobre dernier, à Cerilly (Allier), constitue un record. Les 62 lots représentant 44 000 m3 de bois se sont arrachés en deux heures pour un montant de 15 millions d’euros (M€). Une quarantaine d’acheteurs, essentiellement des tonneliers, se sont disputés les plus beaux chênes de France, dont ceux de la forêt de Tronçais. Le dernier lot, un arbre seul de 220 ans s’est vendu 25 000 euros, soit 2 600 euros le mètre cube. La société Tonnellerie François Frères (TFF) a emporté la mise à 1,1 M€ pour un lot de 1 500 mètres cubes de cette même forêt. Jean-François Robert, président du conseil de surveillance de TFF explique cette envolée des prix par « le regain de demande pour ces bois exceptionnels. La forêt de Tronçais reste mythique. Les bois qu’on y trouve apportent toute la complexité au vin. » Les tonneaux et les barriques fabriqués avec ces bois sont destinés en partie à l’exportation, notamment aux États-Unis, qui restent le premier marché. Claire Quinones, responsable commerciale à l’ONF, constate qu’après deux années difficiles les cours ont même dépassé ceux de 2018. « Après les incendies, le vignoble californien a connu une bonne récolte et les vignerons reconstituent leurs stocks de tonneaux ».