Bovins viande
« Il faut des actions dures maintenant »

Marc Labille
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Devant les éleveurs de Bourgogne Franche-Comté réunis à Dracy-Saint-Loup, le président de la FNB Bruno Dufayet a révélé l’étrange comportement de la filière et du gouvernement face à l’asphyxie de l’élevage allaitant. Constatant l’échec de toutes les démarches constructives, la profession n’a plus d’autre choix que de durcir le ton.  

« Il faut des actions dures maintenant »
Bruno Dufayet, président de la FNB : « nous sommes à une période cruciale pour l’avenir de la production : Mercosur, négociations de la Pac, loi Climat. Il faut une mobilisation syndicale sans précédent car nous allons devoir durcir le ton pour sauver l’élevage ».

Vendredi dernier, la fédération nationale bovine (FNB) a fait escale en Saône-et-Loire dans le cadre de sa tournée régionale Bourgogne Franche-Comté. Rendez-vous était donné à Dracy-Saint-Loup sur l’exploitation de Thomas Brusson. Devant des éleveurs et des représentants des sections bovines de la région, le président de la FNB Bruno Dufayet a rendu compte des actions nationales face à une situation de l’élevage dramatique. Son discours sans langue de bois a donné un éclairage souvent saisissant sur les comportements tant de la filière que du pouvoir politique…

« Cela fait 17 ans que je suis installé et on ne voit pas le bout du tunnel ». Tels étaient les mots d’accueil de Thomas Brusson qui, en une phrase, synthétisait tout le désarroi d’une profession en grand danger. Très inquiet pour l’avenir, l’éleveur de l’Autunois évoquait, au nom de ses collègues, les difficultés à investir, les charges croissantes et « une viande qui se vend si peu cher… ». La dégradation chronique des prix de vente pendant que les charges ne font qu’augmenter amène à un « constat dramatique », confirmait Bruno Dufayet. « En 2020, le revenu moyen annuel des éleveurs allaitants a chuté de 25 % pour atteindre moins de 8.000 € ! En perpétuelle baisse, ce revenu a chuté de 33 % entre 2017 et 2020. Une alerte comme on n’en a jamais connue ! », déplorait le président. 

Constat d’échec

Devant cette crise sans précédent, qui n’a jamais cessé de s’amplifier depuis des années, Bruno Dufayet ne cachait pas « le constat d’échec » ressenti à la FNB. « On a tenté plein de choses, mais personne ne veut avancer », se désolait le représentant national qui, assumant « un discours de vérité », n’hésitait pas à parler du spectre « d’un abandon de production. À un tel niveau de revenus, il faut être honnête, on ne va plus prôner un discours d’installation ! », lançait-il.

À la source de la problématique de revenus, il y a ces fameux dysfonctionnements propres à la filière bovine qui agacent tout le monde depuis des années…. « Globalement, tous les indicateurs de marché sont au vert : une bonne année export en volume (+1 % sur l’Italie) ; une consommation de viande bovine française en hausse (le steak haché star) ; des vaches finies qui partent bien ; une situation du jeune bovin assainie avec désormais un sous-stock… ». Et pourtant, « les prix payés aux producteurs sont toujours aussi bas », déplorait Bruno Dufayet. Et ce alors même que la décapitalisation se poursuit. À l’autre bout de la chaîne, « les distributeurs parviennent toujours à passer 3 % de hausse par an sur les prix aux consommateurs ! Comme quoi, l’alibi du pouvoir d’achat est une tromperie », faisait remarquer le président de la FNB.

Force est de constater qu’en dépit des alertes répétées par la profession, « il n’y a toujours pas de prise de conscience de la part des acteurs de la filière », regrettait-il. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé : « on a tendu la main à tout le monde ; on a voulu être constructif. Aucun retour. Ou très peu d’avancées, que ce soit sur le label Rouge, la contractualisation, la recherche de valeur, l’exportation de maigre… », dénonçait Bruno Dufayet qui n’hésitait pas à parler d’un « échec total des Égalim », d’opérateurs « auxquels on ne croit plus » et d’une GMS qui a pour seul objectif « d’acheter moins cher aux éleveurs… ».

Le mépris du gouvernement

« Quand les règles de marché n’opèrent plus », à tel point que le revenu des éleveurs est devenu indécent, « le rôle d’un ministre, c’est de les protéger », estime le président de la FNB. Malheureusement, ce dernier est bien placé pour savoir le « mépris » manifesté par le gouvernement… Plutôt que de se contenter de renvoyer la profession aux querelles internes de filières en insultant au passage les intéressés de noms d’oiseaux, « le courage politique serait d’imposer un prix qui intègre les coûts de production pour sauver les exploitations », suggérait Bruno Dufayet. Vingt euros par foyer français et par an suffiraient pour enfin rémunérer le travail des éleveurs, fait-on valoir à la FNB. 

Cette attitude cynique des gouvernants se retrouve dans la plupart des dossiers qui menacent l’élevage français. C’est notamment le cas des accords de libre-échange avec en tête l’accord Union européenne-Mercosur… Le président de la République avait au départ dit « non », mais aujourd’hui, la France étudie les mesures qu’elle imposera au moment de signer…, révélait Bruno Dufayet.

Sauver le couplage pour sauver l’élevage…

Les perspectives ne sont pas plus réjouissantes concernant les négociations de la nouvelle Pac. « Les intentions du ministère ne sont pas bonnes du tout. Cela ne va pas dans le sens de l’élevage », révélait le président de la FNB. Le budget est pourtant là, convenait-il. Mais encore faut-il que les soutiens s’orientent vers l’élevage… Ce qui n’est pas gagné devine-t-on. Avec des éleveurs à moins de 8.000 € par an, la FNB se bat pour sauver le couplage. Car la menace, c’est que des aides soient prises aux bovins pour être attribuées à la filière protéine végétale…, révèle-t-on à la FNB. Derrière, se cacherait un projet à la fois sociétal, industriel et financier avec la volonté de déployer « une alimentation humaine végétale… », expliquait Bruno Dufayet. Un scénario « déjà dans les tuyaux », qui flatte la sensibilité écologiste du consommateur et promet un secteur juteux à une poignée d’investisseurs qui ont déjà flairé « le prochain coup de bourse planétaire avec l’essor de la viande végétale ! ».

« Nous sommes à une période cruciale pour l’avenir de la production », estime la FNB. « D’ici juin, les choses vont avancer très vite : Mercosur, négociations de la Pac, loi Climat… », mettait-on en garde. Aussi la fédération nationale et ses sections départementales invitent-elles à une mobilisation syndicale sans précédent. « Il faut des actions dures maintenant », insiste Bruno Dufayet qui encourage les éleveurs à maintenir la pression sur les élus, les parlementaires, etc.
L’heure est grave avec deux questions à la clé : « veulent-ils seulement maintenir l’élevage en France ? » et « que ferait-on des onze millions d’hectares d’herbe libérés ? ».

Broutards vers l'Italie : importateurs en cause

Très inquiet de voir le prix du broutard ne pas décoller, Bruno Dufayet a expliqué que la cause en était un problème d’organisation côté France. En clair, connus pour être très forts en affaires, les engraisseurs italiens savent parfaitement jouer de la concurrence entre les quatre gros importateurs de broutards français. Or pour remporter le droit de placer leurs animaux dans les cases d’engraissement italiennes, les importateurs en question n’ont d’autre choix que de céder sur le prix… Au final, dans cet univers de mastodontes, chacun travaille sa marge, mais pas le prix, estime le président de la FNB qui renvoie dos à dos coopératives et privés tant ils appliqueraient la même stratégie export, assure-t-il. Cette situation est d’autant plus déplorable que les naisseurs français sont les seuls fournisseurs de leurs collègues engraisseurs italiens. Ils devraient être en mesure de mieux être défendus…

Viande française dans les cantines et contractualisation obligatoire…

Dans la viande, la FNB se fixe deux objectifs concernant la restauration collective : repositionner la viande d’origine française et revaloriser le prix, informait Bruno Dufayet. En effet, les coutumes de la restauration scolaire privilégient la viande d’import. Or sachant que les écoliers n’ont de la viande de bœuf au menu qu’une fois par semaine, l’enjeu est que cette viande soit de qualité. Un amendement va être proposé en ce sens. « Il faut encourager les députés à le voter », incite-t-on à la FNB. Viande française, signes de qualité… : la filière est en mesure de répondre à une montée en gamme dans la restauration collective. Mais cela reste une question de volonté politique, observait-on. Certaines collectivités donnent l’exemple. C’est le cas du Grand Autunois Morvan où l’approvisionnement local atteint 100 % pour la viande bovine dans les cantines, faisait valoir Didier Talpin, président du CSEA.  « Il faut capitaliser sur ceux qui le font déjà pour amener les autres à le faire », suggérait Christian Bajard, président de la FDSEA. Pour étendre l’approvisionnement local dans la distribution, Bruno Dufayet lançait l’idée de rendre la contractualisation obligatoire. De même que la fixation d’un prix minimum.