Académie d’Agriculture et de viticulture de Mâcon
Un département peu académique

Cédric MICHELIN
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Le 24 mai à l’Académie de Mâcon, les membres de son pôle Agriculture Viticulture commentaient son imposant travail qui a conduit, après de multiples entretiens, à un diagnostic complet sur l’histoire récente de l’agriculture de Saône-et-Loire, accompagné de prospectives.

Un département peu académique
Jean-Pierre Sylla à l’Académie de Mâcon.

N’allez pas croire que l’Académie de Mâcon somnole. Bien au contraire, ses membres étaient en effervescence ce 24 mai pour la restitution d’un long travail qui a nécessité l’audition de nombreuses personnalités (le sénateur Émorine, Xavier Bardet, Jean-Marie Pierre-Guy…) par les membres du pôle Agriculture et viticulture. Fruit de ces entretiens et recherches, un diagnostic de 72 pages disponibles sur le web. Si ce travail « précis » revient sur l’histoire passée, il éclaire également le futur. « On ne parlera pas ici de recommandations mais de points d’attention, au nombre de quatre » (lire encadré), introduisait Jean-Pierre Sylla, le président du Pôle. La restitution se faisait donc à quatre voix.

1875, l’optimum agricole

En véritable défenseur de la Saône-et-Loire agricole et viticole, Jean-Pierre Sylla retraçait le fort ancrage - historique et culturel – de ces derniers. « De par leur identité, de par leur  structuration territoriale, de par leur notoriété, l’agriculture et la viticulture de Saône-et-Loire sont au croisement d’enjeux qui dépassent la seule question de la production et constituent bien le levier de l’aménagement du territoire. Cela concerne les populations et l’environnement et pas seulement la dimension économique », rappelait-il, en référence à François-Louis Lamartine, physiocrate (gouvernement de la nature) et oncle d’Alphonse, célèbre homme politique du Mâconnais au XVIIIe siècle.
C’est à partir de cette époque que la « trajectoire impressionnante » de l’agriculture va réellement changer. De « l’autarcie, aux rendements précaires, ne permettant que de vendre le surplus », l’agriculture va permettre et accompagner la modernisation des industries, des techniques, des transports, des traités commerciaux… Rien n’aura été linéaire, ni facile, connaissant déjà des crises économiques (blé…) ou sanitaires (phylloxéra de la vigne…), mais permettant le développement de l’agriculture vers un « optimum daté à 1875 » côté paysannerie.
À la sortie des deux grandes guerres mondiales, la France, l’Europe et l’occident décident de « s’appuyer sur l’agriculture » (plan Marshall) pour nourrir les nations. Une nécessité, encore aujourd’hui, avec l’exode rural et l’essor des villes totalement dépendantes. Les années 1960 voient le pouvoir « ériger une véritable économie autour du monde agricole », bien organisé. L’État légifère puis c’est au tour de l’Europe, du traité de Rome à l’actuelle Pac.
Aujourd’hui, avec les progrès (médecine, alimentation…) ainsi permis et exponentiels, « quatre générations cohabitent et la plus ancienne a pourtant connu la pioche, le cheval » et les premiers tracteurs. Une chance donc d’analyser le présent à l’aune du passé et vice-versa, tant ils se font écho encore aujourd’hui.

La plus forte des intensifications

« L’intensification se fera à des taux supérieurs à l’industrie », compare admiratif Jean-Pierre Sylla, preuve que les agriculteurs ont su éradiquer les craintes de famines en France. « En 1960, un paysan nourrit sept personnes contre 40 en 1980 », juste vingt ans après. Mais déjà, cette « intensification » va avec d’autres corollaires, « spécialisation des territoires quasi obligatoire » et aussi, avec une « reconfiguration de la hiérarchie économique » laissant déjà entrevoir nombre « d’interrogations technoscientifiques et polémiques ».
Était-ce évitable ? En sages, les Académiciens rappellent l’évolution des modes de vie. « L’urbanisation s’intensifie. La consommation de viande passe de 50 à 100 kg pendant les Trente Glorieuses. Idem pour les vins ». Surtout, la grande distribution alimentaire a fait le vide autour et « capte 84 % des achats, avec une marge bénéficiaire de 24 à 35 % dessus entre 1975 et 2005 », repoussant toute concurrence, avant Internet. Le panier alimentaire de la « ménagère » - ménages qui évoluent - ne représente plus que 14 % des revenus en 2010. L’agriculture ne pèse plus que 2 % du PIB contre 20 % en 1938. La mondialisation des centrales d’achats et chaînes de valeur va finir le tableau « d’exploitations au profil agro-industriel, dans l’Ouest surtout (près des ports maritimes, NDLR), à la diagonale du vide qui passe par la Saône-et-Loire ».

Productivistes intensifs et vertueux

Ingénieur chimiste et ex-maire de Bray, Dominique Dehouck s’attachait ensuite à décrire les tendances présentes. Avec environ 7.000 exploitations agricoles, la Saône-et-Loire ne fait pas exception et continue de perdre des forces vives (-21 % en 10 ans ; 28.000 paysans en 1970). Pourtant, le département installe (115 en 2021), l’âge moyen se stabilise autour de 50 ans et la profession se féminise (23 %). « En nombre, les éleveurs sont les plus nombreux mais en chiffre d’affaires, la viticulture est plus rentable. Les céréaliers ont des revenus plus volatils », analysait-il sur les dernières décennies. Si aucune des douze personnalités interrogées ne plaide pour un modèle unique, tous sont d’accord pour dire que « l’agriculture doit produire pour nourrir ». C’est pourquoi il se montrait un brin « provocateur » en séparant arbitrairement deux modèles : « productiviste intensif » et « productiviste vertueux ». Ce « retour » à « plus d’agronomie » ou à des « exploitations plus petites et moins spécialisées » conservent finalement les mêmes exigences : adaptation aux sols, aux climats, aux végétaux, au besoin d’eau… Les solutions divergent sur les attentes sociétales par contre lorsqu’il s’agit de génétique (OGM, NBT…), d’intrants (chimique, synthèse…), de numérique… Dans tous les cas, « la profession est aujourd’hui trop petite et la formation est le point fondamental » pour tous.

Les GMS s’emparent du bio et du local

Autre obligation, « augmenter le niveau des prix des produits agricoles, qui à part les vins, sont à la ramasse ». Ce qui s’avère extrêmement périlleux alors que les risques climatiques et sanitaires augmentent avec le changement climatique.
Les filières ne sont pas toutes à égalité sur la question de la captation de leur valeur ajoutée : entre filières longues, courtes, possibilité de transformer et vendre, produits périssables ou longues conservations, sur des marchés « de masse ou élitistes »… Dominique Dehouck rajoutait qu’après le plébiscite du local avec les confinements Covid, une fois de plus, « les GMS ont été habiles pour s’en emparer, comme le Bio, Label, AOP… », rendant son diagnostic sur l’avenir encore « hésitant », face à la globalisation des produits et de la concurrence.
Pourtant, comme le rappelait Jean-Pierre Sylla, de nombreuses possibilités restent ouvertes. « Dans une société d’abondance, l’agriculture ne peut se limiter à produire. Elle doit utiliser la multifonctionnalité des ressources territoriales, développer de nouvelles activités en termes de paysage, de tourisme, de résidentiel, de patrimonial… pour élargir la base économique des territoires agricoles, ce tiers-secteur ». Pour beaucoup, la pandémie de Covid a mis à jour des « opportunités » à saisir, et ce, « en insistant bien sur les valeurs identitaires agricoles, sur notre modèle familial ou coopératif à fortes valeurs ajoutées. Il faut bien appréhender l’aval, les attentes des consommateurs, pour mieux organiser l’amont des filières », concluait-il.

 

Les limites de la spécialisation

Docteure en histoire et directrice du Pays Charolais-Brionnais en charge de la candidature du paysage culturel de l’élevage bovin charolais au patrimoine mondial de l’Unesco, Dominique Fayard s’attardait sur la « spécialisation » des exploitations, « cette simplification des modèles de production qui est venue parachever la spécialisation des régions, sur le temps long, cherchant à optimiser les ressources, les potentiels locaux et les débouchés ». Une définition qu’a oubliée notre société contemporaine, pourtant elle aussi, faite de métiers et régions spécialisés. L’historienne questionne sur « le véritable défi : la transmission » d’exploitations spécialisées. L’agrandissement attire-t-il toujours ? « L’agrandissement peut se poursuivre avec des robots mais il restera les limites humaines », tranchait-elle pour « des systèmes de production plus autonomes, plus diversifiés, plus économes, plus écologiques… ». Ex-Président du BIVB, de la Cave de Lugny et membre du Cese Bourgogne Franche-Comté, Michel Baldassini mettait en garde toutefois à l’excès inverse : « 1.000 métiers, 1.000 misères ». Il en profitait pour nuancer les effets du climat. « La qualité des vins rouges a plutôt profité du réchauffement, qui n’ont plus besoin d’être chaptalisés, alors que les blancs arrivent à une bascule », en raison de maturité rapide et hauts degrés d’alcool.
Si l’adaptation du matériel végétal est une priorité, « le renchérissement du foncier » en est une autre pour transmettre à la juste valeur présente et future donc. Idem pour l’élevage ou les cultures, si demain la captation du carbone, rétribuée via des crédits carbone, encourageait le maintien des haies et autres prairies.
Ancien directeur des services départementaux, Marc Forêt attend donc de voir les évolutions « dans deux-trois ans » avec la nouvelle Pac (éco-régimes…), ÉGAlim2 ou encore avec les plans alimentaires territoriaux. Il listait « quatre points d’attention » en attendant. « Les décisions sont souvent perçues comme venant d’en haut et que les agriculteurs n’ont plus que peu de pouvoir dessus », avec des centres de décisions qui « se sont éloignés ». Le tout accompagné de « contraintes permanentes et nouvelles », soit réglementaires, soit climatiques ou sanitaires. Si la Région « complexifie les décisions », l’échelle départementale reste « très présente malgré la loi NOTRe ». Respect de l’environnement, produits alimentaires de qualité, circuits courts, ventes à la ferme, PAT, restauration collective… « de nouvelles synergies sont à envisager en local », plaidait-il. La notion de qualité des produits et les mentalités des clients « évoluent ». Reste le triptyque : « bon produit, bon terroir, beau paysage » (AOP, IGP…), selon lui, bien que menacé par « le dénigrement fréquent, voire systématique d’une minorité agissante sur les réseaux sociaux ». Seule exception à la règle, la viande bovine charolaise – « trop dépendante de l’aval » - reste en difficulté malgré ses atouts (bien-être, viande de qualité, espace herbager…). Heureusement, sa force réside dans son autonomie et ses coûts de production moindres actuellement. Est-ce le retour de l’engraissement et des prés d’embouche ? Les Académiciens s’interrogent encore…