Vins de Bourgogne
Covid, l’accélérateur des changements

Mis en ligne par Cédric MICHELIN
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Le 29 juin, le BIVB tenait son assemblée générale dans un format « dégradé » au Palais des Congrès à Beaune, avec de nombreux sièges condamnés en raison du Covid-19. La crise sanitaire et économique était d’ailleurs au centre de nombreuses réflexions et témoignages. Même si les autres sujets de fond et actions de l’Interprofession se poursuivent, notamment ceux techniques, puisque le réchauffement accélère aussi côté climat.

Covid, l’accélérateur des changements
Outre les points économiques liés au Covid-19, le BIVB a également présenté des résultats de recherche. Nous en reparlerons.

Après la partie statutaire et la présentation des actions des trois pôles, le bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne (BIVB) a consacré un long moment pour tenter d’analyser ces derniers mois, à la suite de la crise sanitaire du Covid-19. Et notamment sur la partie commerciale. Élus au pôle Marchés du BIVB, Nicolas Thévenot et Manoël Bouchet en présentaient les « impacts économiques », faisant ainsi ressortir le caractère soudain, brutal et pas forcément que négatif d’ailleurs. Première conclusion : « nous sommes incapables d’en prédire toutes les conséquences ». Mais globalement, la Covid-19 aurait plutôt tendance à être un « accélérateur des changements » qui étaient déjà en cours. Évidemment, tout le monde pense immédiatement au e-commerce (+240 % aux États-Unis) mais pas seulement.
Alors avant de tirer des plans sur la Comète, à qui prédira le pire scénario comme trop souvent, le viticulteur des Hautes-Côtes-de-Beaune et le négociant d’une Maison beaunoise donnaient respectivement une vision plus nuancée de la "crise" en cette fin juin : « En Bourgogne, on s’en sort plutôt très bien par rapport à la situation, par rapport à d’autres régions viticoles, par rapport aux concurrents... ».

Retour salutaire à la vigne

Le BIVB avait souhaité faire témoigner des acteurs économiques pour illustrer comment chacun a vécu cette période. Premier à s’exprimer, Michel Barraud, vigneron et président des Terres Secrètes à Prissé. « Une période formidable » lançait-il pour couper court à toutes rumeurs qui pourraient « instaurer la peur auprès des vignerons les plus fragiles. Il nous faut être serein entre négoce et viticulture sinon nous serons tous perdants ». Une façon également de rappeler la raison d'être du modèle coopératif. Au-delà de la formule choc, il égrenait les faits et les chiffres : « nous n’avons eu que peu d’arrêt d’activité sauf sur la vente directe et en secteur traditionnel. Sinon, les commandes ont continué d’arriver notamment en appellations régionales et communales Saint-Véran. Côté exportations aussi et nous avons performé plus que l’an dernier à fin mai. Nous sommes à +15 % en grande distribution, -30 % en CHR mais le secteur trad redémarre et les carnets de commandes de juin sont équivalent à ceux de 2019. Nous tablons sur un retour à l’équilibre 2019 d’ici la fin d’année » 2020. Alors pourquoi si « formidable » ? « Tout s’est arrêté. On a arrêté de courir après le temps. On a vidé la cave, le stock est à refaire. On a réfléchi à l’organisation. On a appréhendé le capital humain, car tout est basé dessus, sur l’exploitation comme à la cave. L’implication des salariés et de la direction a été énorme. Reste cette désagréable impression que des milliards d’euros tombaient du ciel. On sait que toute dette se rembourse donc on croit en notre bon sens paysan : savoir rebondir, s’adapter, développer la communication et surtout renforcer la proximité avec nos clients car sinon : loin des yeux loin du cœur ».

Nouveaux outils financiers ?

Un discours optimiste clairement à l’opposé de l’introduction du négociant Manoël Bouchet qui anticipe lui des « valeurs négatives » pour l’ensemble de la filière dans les mois à venir. « On va rentrer dans un cycle, après les aides, dans une période compliquée avec des stocks et beaucoup de dettes. Il va falloir appréhender le ralentissement de l’activité économique générale. Capacité de remboursement, d’investissement… nous travaillons avec les banques pour avoir de nouveaux outils financiers pour nos travaux (plantations…) ». Les forces d’hier ne sont plus celles d’aujourd’hui. Les premiers crus et grands crus sont à la peine. Dès lors, l’augmentation des prix « ne pourra pas tout résoudre ». Au contraire, les régionales et appellations aux bons rapports qualité-prix-plaisir cartonnent.

Deux ans de stock à Chablis

Pour l’Yonne et Chablis en particulier, le vigneron Louis Moreau témoignait : « la crise est là : très brutale. Les clients sont revenus, en France, en Europe (Angleterre…) ou Amérique du Nord mais pas aux niveaux » d’avant. Il se montrait alors critique de la gestion de l’appellation : « on est des enfants gâtés, c’est vrai. Notre développement se veut libéral par le marché. Sauf que l’on a 18 mois de stocks à Chablis et ce, malgré cinq années déficitaires. Avec la belle récolte 2020, on va se retrouver avec plus de deux ans de stock. On va tout droit à la catastrophe. Il va falloir piloter l’appellation, aller plus loin sur l’agro-écologie, la qualité des vins… on regarde justement du côté de la gestion des crémants, non pour restreindre mais pour être acteur de notre appellation ».

Les crémants se méfient du Champagne

Justement le président de l’UPECB, Édouard Cassanet avait à peine le temps d’expliquer les multiples leviers de pilotage des crémants de Bourgogne. Les chiffres de l’appellation sont effectivement impressionnants. En dix ans (comparativement à 2009 après crise financière 2008 d’ailleurs), le nombre d’opérateurs a doublé (3.690 contre 1.894), les surfaces ont augmenté de +53 % (tout en restant de petites surfaces) passant de 1.809 ha à 3.080 ha pour une production de 129.000 hl (contre 232.000 en 2018) soit 20 millions de bouteilles en moyenne par an. Les ventes ont bondi de +28 % en dix ans, dont +9 % juste encore en 2019. La France boit toujours 12 millions de cols mais l’export a doublé (8 millions de bouteilles). « En mars-avril, l’export a temporisé avec une baisse de seulement -7 %. En France, en GMS de -40 % ». Des baisses impressionnantes mais qui sont à relativiser par rapport aux Champagnes (100 millions de bouteilles non vendues sur une production de 300 ; -1,7 milliard d’€ estimés). « Les effervescents sont dans l’œil du cyclone », avertissait-il. L’UPECB envisage donc « d’abaisser le rendement pour mettre en réserve à la place, éviter ainsi le pic prévu en 2022 et tabler sur un retour à la normale des ventes dès 2021 ».

Le Bourgogne va faire « grincer des dents »

Le président du syndicat des Bourgognes, Bruno Verret avouait aussi « appréhender dans quelques mois. Le vrac se tend, les charges sont constantes, de grosses lacunes de trésorerie vont avoir lieu à un moment. Il faudra recourir aux emprunts ou au prêt garanti par l’État (PGE) ». Si l’ODG a « décidé d’anticiper » et souhaite piloter (plantations, rendements, etc.), « il nous faut comprendre les replis, Mâcon ou communales, crémants… mais on veut piloter l’appellation Bourgogne et on sait que cela va faire grincer des dents. Mais prenons exemple sur ce qui s’est passé ou se passe dans d’autres régions », glissait-il, en référence au Beaujolais sans doute puisque le dossier de délimitation n’est pas résolu.

Pas de catastrophisme

D’autres témoignages confirmaient des situations très hétérogènes, entre crise et opportunités.
En tout cas, le pôle Marchés du BIVB est sur la brèche. Nicolas Thévenot rappelait « qu’on a développé des outils comme Demat’vin qui nous fournit des chiffres chaque mois. On va chercher à anticiper pour rassurer les opérateurs, amont comme aval ». Même si un autre vigneron regrettait de ne toujours pas « avoir les stocks à l’aval » côté négoces.
Président du BIVB, Louis-Fabrice Latour n’est visiblement pas en opposition pourtant avec la viticulture et ne cherche pas la guerre des prix. « On ne va pas nier les difficultés, ni faire de catastrophisme. On tient le cap et on espère rebondir avant Noël », annonçait-il. La situation avant Covid-19 était aussi exceptionnelle avec le « cap du milliard d’euros » à l’export malgré la taxe Trump ou le Brexit qu’il relativisait. « Pour l’heure, notre région est celle qui s’en sort le moins mal avec -2 % en volume et -8 % en valeur. On pense finir l’année à -10 %. La crise est donc moins violente qu’en 2008 (-30 %). On a des appellations régionales et des vins accessibles », plaidait-il, « indispensables pour traverser cette crise ».
Président délégué, cette fois pour la famille viticulture, François Labet se réjouissait de voir une « récolte qui s’annonce prometteuse ». Lui, le Nuiton mettait en avant pourtant les vins blancs et plaidait pour rechercher des solutions à leur oxydation prématurée, ainsi qu’aux dépérissements de la vigne. « Il nous faut croire en l’avenir quand tout va mal, comme nos pères au temps du phylloxera ou de la guerre. Nous allons traverser des temps difficiles mais nous devrons le faire ensemble, sans nous désunir, avec détermination ».