Fermoscopie Bovins Viande
Un répit qui fait du bien au moral !

Marc Labille
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2021 aura été une année de répit pour les éleveurs allaitants. Pas de sécheresse, des stocks de fourrages reconstitués, un cheptel rentré en état et des prix de vente à la hausse. Le moral des éleveurs va mieux et la santé financière des exploitations aussi.

Un répit qui fait du bien au moral !
Le revenu bovins viande 2021 atteint 24.000 €/Utaf pour les systèmes avec finition des femelles.

Le 23 novembre dernier à Gueugnon, CER France Saône-et-Loire a présenté sa synthèse économique de l’exercice 2021 en bovins viande. Une fois n’est pas coutume, les comptables des exploitations d’élevage constatent une embellie dans les résultats économiques et financiers de leurs clients. La conséquence d’un contexte moins défavorable à l’élevage allaitant depuis environ un an. Tout d’abord, le retour d’une année climatique pluvieuse a donné un précieux répit aux éleveurs après trois années de sécheresse sévère. L’abondance d’herbe a permis de remplir les hangars. Les éleveurs n’ont pas eu besoin d’affourager en été et ils ont rentré des animaux en meilleur état que ces dernières années.

Au niveau de la conjoncture, « tous les marchés sont au vert ! », vont jusqu’à dire les experts de CER France. Le fait est que la situation des marchés semble plus porteuse qu’auparavant. À l’échelon mondial, c’est le statu quo ; les négociations avec le Mercosur sont au point mort et la Chine siphonne la demande de viande bovine. La décapitalisation du cheptel viande en France (- 7 % en quatre ans) a des conséquences positives sur les marchés… L’Europe manque de viande bovine et les importations sont en recul de -17 %. En France, la restauration hors domicile tire la demande…

Des prix, de l’herbe, du résultat…

Tout cela se traduit aujourd’hui par une hausse des prix des vaches (+ 20 centimes/kg de carcasse en vache R en 2020). Hausse également pour les jeunes bovins (+ 35 centimes au second semestre) et l’amélioration vaut aussi pour les broutards dont le prix moyen est passé de 2,38 €/kg vif à 2,72 €/kg vif. L’abondance d’herbe a permis de mieux étaler les sorties et la décapitalisation fait qu’il y a moins de mâles allaitants sur le marché… Cette embellie des prix devrait se maintenir dans le temps, prévoit-on. La forte hausse de la demande de viande hachée devrait soutenir le cours des femelles.

Concrètement, ces évolutions se sont traduites par un retour du résultat dans la comptabilité des exploitations. La hausse du prix des animaux - en particulier des femelles - et davantage de kilos vifs ont fait gonfler le produit bovins viande. La part des aides – qui équivalent à 1,5 fois l’EBE - compte aussi pour beaucoup dans le résultat avec notamment l’effet bénéfique des aides sécheresse. Au niveau des charges, le retour de conditions météorologiques favorables à la pousse a permis de limiter les achats de paille et autre palliatif au déficit de fourrage. Mais la hausse du prix des aliments s’est tout de même faite ressentir. Échaudés par les difficultés des années passées, les éleveurs ont aussi mis un coup de frein sur les investissements, rapportent les comptables de CER France.

Un revenu moyen de 18.500 €/Utaf

Alors qu’il n’était que de 12.000 € par Utaf en 2020, le revenu bovins viande 2021 revient au niveau de ce qu’il était en 2017 soit 18.500 €/Utaf. Ce revenu atteint même 24.000 € pour les systèmes avec finition des femelles. À cela s’ajoute une santé financière qui reste saine avec 84 % des exploitations en bonne santé, indique-t-on. En dépit des baisses de trésorerie, les éleveurs font montre d’une grande capacité à s’adapter… De fait, la stabilité des capitaux engagés traduit une certaine prudence dans les investissements. Cette « bonne santé » financière liées à une stabilité des résultats ne se retrouve pas dans les autres productions du département, fait remarquer CER France 71.

Mais ces bons chiffres n’enlèvent rien au point noir qu’est l’insuffisante rentabilité de la production de viande bovine. Calculée en divisant l’EBE par le produit, cette rentabilité est passée de 33 % en 2010 à 26 % en 2020. Et si elle remonte à 29 % en 2021, « il faudrait qu’elle soit supérieure à 30 % », préconisent les experts de CER France. Sans ce niveau de rentabilité, les trésoreries demeurent dans le rouge et les éleveurs n’ont d’autre choix que « de se serrer la ceinture sur leur rémunération », constatent les conseillers de gestion.

Le point noir de la rentabilité

Au centre de ce manque de rentabilité, il y a le coût de production que le marché ne couvre toujours pas. Ce coût de production qui comprend les charges opérationnelles, les charges de structure et la rémunération de la main-d’œuvre est évalué à 4,29 €/kg vif, indique CER France. Un tiers de ce coût de production est couvert par les primes, d’où un prix de revient (coût de production – aides) qui s’établit à 2,79 €/kg vif. En 2020, il était loin d’être couvert par les prix de vente des broutards (2,36 €/kg vif). Quant aux vaches grasses, il faudrait qu’elles soient payées plus de 5 € le kilo de carcasse…

Si l’embellie de 2021 et les perspectives de marché ont de quoi redonner un peu de moral aux éleveurs, l’avenir n’est pas totalement rassurant pour autant. Outre le déploiement de la nouvelle Pac, la flambée des charges a de quoi inquiéter. Sur le marché mondial des matières premières, la Chine prend tout, commente un expert de CER France. Les agriculteurs vont être confrontés à la flambée du prix des engrais et de l’énergie (GNR). La hausse du prix du blé et des autres graines se traduit déjà par une hausse de + 30 €/T dans l’aliment. Cette volatilité des approvisionnements incite à anticiper, prioriser, peser…, conseille-t-on.

Changement climatique, transmission…

Le défi de l’adaptation au changement climatique reste entier : « en dix ans, cinq sécheresses ! », rappelle-t-on. Nul doute que le phénomène va se reproduire avec peut-être même plus d’intensité, prédisent les scientifiques… Aussi les conseillers de CER France incitent-ils à sécuriser les systèmes fourragers en sachant récolter au bon moment ; en usant des analyses de fourrages ; en introduisant du pâturage tournant ; en essayant de nouvelles espèces telles le méteil…

Un autre grand enjeu est la transmission des exploitations. La Bourgogne n’est pas la meilleure des régions en termes de renouvellement des générations avec seulement un sortant sur trois qui parvient à être remplacé… La question de la rentabilité n’est pas étrangère à ce désintérêt. Il faudrait pouvoir rendre plus attractif l’activité d’élevage, recommande CER France.

Pac, ÉGAlim, filières nouvelles…

Le passage à une prime Pac à l’UGB (et non plus à la vache) interroge sur les schémas d’élevage à choisir pour demain. « Faut-il relancer l’engraissement ? », questionnent les experts de CER France. En 2022, l’application des ÉGAlim et de la contractualisation obligatoire changera la donne en gras comme en maigre. La baisse des importations accentue la demande de viande de la part de la RHD. Des grandes enseignes sont en attente de carcasses françaises selon un cahier des charges très précis. Des filières se créent comme autant d’opportunités… Les conseillers évoquent aussi le « manger local » avec des consommateurs friands de circuits courts… Et CER France d’évoquer aussi la voie de la diversification qui demeure une piste à explorer (photovoltaïque, volailles, pondeuses, etc.).

Comment font les premiers de cordées ?

L’analyse des chiffres des exploitations fait ressortir des différences de performances entre éleveurs. Les « premiers de cordées », on les retrouve dans toutes les régions naturelles du département, même dans les zones défavorisées. Ils ont en commun une meilleure productivité des exploitants (plus de vêlages, plus de bêtes vendues…). On note que ce n’est pas forcément la performance technique sur les broutards qui paie, mais plutôt une meilleure valorisation de la voie femelle (femelles vendues grasses). Les élevages aux meilleurs chiffres sont plus économes en termes de rations. Idem pour la mécanisation, et ce, avec des charges salariales moindres. En 2020, la rentabilité des meilleurs (EBE/produit) atteignait jusqu’à 31 % et dépassait de 15 points de plus celle des moins performants, pointe CER France.

Être technique, attentif aux marchés et résister à la tentation…

Si ces chiffres sont parlants, ils n’en demeurent pas moins qu’une analyse statistique sur des situations toutes singulières et différentes. « Il n’y a pas de recette miracle », convenaient les experts de CER France. Mais force est de constater que ces élevages se distinguent par un certain équilibre, une cohérence de système, constate-t-on. Parmi les conseils à retenir, il faut jouer sur la technique : un veau par vache et par an, un intervalle vêlage-vêlage le plus court possible, des vêlages groupés, de la marge brute… Les experts recommandent d’être attentifs aux marchés en sachant se montrer « agiles sur ses ventes ». Sur la mécanisation, il faut savoir « résister à la tentation » mettent en garde les conseillers qui alertent aussi sur « les achats plaisirs… ». Face à la flambée du prix des matériels, on encourage à regarder les nombres d’heures annuels ; acheter à plusieurs quand c’est possible ou bien déléguer les travaux à des entreprises…