Bilan agricole d’Emmanuel Macron
Entre réformes et désillusions, décryptage !

Le président de la République a-t-il tenu ses promesses de campagne de 2017 en matière d’agriculture ? C’est ce que nous avons cherché à savoir en passant au crible les mesures annoncées avant l’élection d’Emmanuel Macron. Si tous les chantiers envisagés ont bien été ouverts, l’aboutissement de certains dossiers de premier plan peut laisser un goût d’inachevé. C’est le cas de la répartition de la valeur au sein des filières, un sujet phare qui a fait l’objet de deux lois, dont tous les effets se font encore attendre. Sur des thèmes plus sociétaux comme les pesticides ou le bien-être animal, l’exécutif est resté bon an mal an sur une ligne de crête entre opinion publique et intérêts économiques. Finalement, au-delà de la crise de la Covid-19, le bilan agricole du quinquennat qui s’achève oscille entre réformes abouties – revalorisation des petites retraites, refonte du système de gestion des risques – et franches désillusions – plan d’investissement de 5 Mrd€, séparation vente-conseil des phytos.

Vaste exercice que celui de dresser le bilan d’un quinquennat… En matière agricole, le candidat Emmanuel Macron avait proposé un programme complet, promettant notamment de prendre à bras-le-corps deux sujets totémiques : le partage de la valeur dans les filières et les pesticides. Le début du quinquennat aura été marqué par les États généraux de l’alimentation, puis la loi ÉGAlim qui a servi de véhicule à nombre de ses promesses de campagnes : introduction de produits de qualité dans les cantines, interdiction des cages en poules pondeuses, séparation vente-conseil en phytos, etc. Des mesures dont l’application se révèle parfois un cran en deçà des intentions affichées.

Deuxième temps : la réforme de la Pac, au cours de laquelle l’exécutif a défendu la préservation du budget et des grands équilibres. Elle débouchera sur une déclinaison nationale, le PSN, marquée par une stabilité assumée par la Rue de Varenne.

Et enfin, troisième temps : la crise sanitaire. Un séisme qui a secoué la chaîne alimentaire sans la faire craquer, mais a aussi replacé l’agriculture au centre de l’attention. La guerre en Ukraine avec la Russie n’arrivant qu’en fin de mandat.

Le plan de 5 Mrd€ pour l’agriculture : un raté

Durant la campagne, Emmanuel Macron avait annoncé le lancement d’un « plan de transition agricole » de cinq milliards d’euros (Mrd€), pour soutenir la « montée en gamme des exploitations » en vue de s’adapter « aux normes environnementales et de bien-être animal ». Volet agricole du « grand plan d’investissement » de 50 milliards d’euros sur cinq ans, ce « plan Marshall » devait permettre de multiplier par quatre les fonds du Plan pour la compétitivité et l’adaptation des exploitations agricoles (PCAEA).

C’est probablement le plus gros raté du gouvernement. Il a conduit la Rue de Varenne à un exercice de « ripolinage » sans précédent au printemps 2018. Pour parvenir au fameux chiffre de 5 Mrd€, le ministère a ajouté des enveloppes de toutes natures et provenances, et parfois éloignées de l’annonce, sans préciser au passage si elles avaient été déjà engagées ou non. La seule mesure agricole dont la nouveauté était avérée n’était pas une enveloppe de subvention, mais un « fonds de garantie » de 800 M€. Et ce fonds incluait les montants des prêts obtenus grâce à lui par les agriculteurs auprès des banques.

Les cinq milliards comprenaient également des budgets dédiés aux MAEC et aux aides bio, dont il n’a pas été précisé de quelle programmation elle relevait, ni quelle était la part de fonds européens. Une ligne était bien dédiée à la « subvention aux investissements matériels » (500 M€), correspondant à l’actuel PCAEA, et dont l’origine n’a pas été précisée. « Il n’y a aucun argent frais, c’est recyclé », avait conclu en 2018 la présidente de la FNSEA Christiane Lambert. De l’argent frais, il en arrivera finalement avec la Covid en 2020. Mais pas cinq milliards. Sur les 100 Mrd€ du plan de relance, 1 Mrd€ fut dédié à l’agriculture… et à l’agroalimentaire.

Répartition de la valeur : deux lois sans effet ?

Promesse de campagne phare d’Emmanuel Macron, les États généraux de l’alimentation (EGA) se sont tenus de juillet à décembre 2017. Au cœur des discussions : une « meilleure » répartition de la valeur dans la filière alimentaire afin de garantir un prix « juste » pour les agriculteurs, en contrepartie d’une montée en gamme des produits alimentaires. Les propositions retenues par le gouvernement ont été traduites dans la loi Agriculture et alimentation (ÉGAlim), promulguée en novembre 2018. Sur le principe d’un « inversement de la construction du prix » de l’amont vers l’aval, les contrats et les prix doivent être proposés par les agriculteurs sur la base d’indicateurs de coûts de production. Le relèvement du seuil de revente à perte à 10 % et l’encadrement des promotions devaient également mettre fin à la déflation des prix alimentaires dans les grandes surfaces. Dès 2019, les prix alimentaires ont cessé de baisser, mais les spécialistes estiment que ce n’est pas seulement dû aux effets de la loi. Quant aux retombées économiques pour les agriculteurs, elles ont été inégales selon les filières.

Face aux effets limités de la première loi ÉGAlim, la majorité a mis au point la loi ÉGAlim 2, adoptée en octobre 2021 pour une application aux négociations annuelles en cours. Dans le même esprit, cette dernière encadre plus fortement les négociations commerciales et introduit de nouvelles garanties pour les producteurs, dont la contractualisation pluriannuelle obligatoire et la « sanctuarisation » du coût de la matière première agricole. La loi comprend cependant de nombreuses exemptions, et les acteurs décrivent une mise en œuvre complexe.

Pesticides : un leadership affiché, mais hésitant

En campagne, le candidat Emmanuel Macron avait affiché son intention de placer la France « en tête du combat contre les perturbateurs endocriniens et les pesticides ». Une position réitérée en promettant « une initiative de sortie accélérée des pesticides » dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne.

Mais, avec son fameux « en même temps », à l’image de sa position sur l’emblématique glyphosate, sa « position est devenue moins claire qu’en 2017 alors que l’Allemagne semble plus volontaire ». Et, par la directive européenne Sud en cours de révision, Paris semblerait même espérer ajouter l’épandage par drone à la définition de la protection intégrée des cultures. Au niveau national, les positions ont été au moins aussi souples. En février 2017, le candidat Macron avait affirmé qu’il ne reviendrait pas sur l’interdiction des néonicotinoïdes. Des déclarations démenties en 2020 par la loi accordant une dérogation de deux années aux semences enrobées de betteraves. De même sur le glyphosate, alors que le président récemment élu avait promis une interdiction sous trois ans, le même s’est vu forcé de reconnaître en 2020 « un échec collectif ».

 

 

Fin de la surtransposition des normes : un principe à géométrie variable

« Nous ne rajouterons aucune norme nationale aux normes européennes » en matière d’agriculture, martelait Emmanuel Macron dans son programme de 2017. Une ligne de conduite qui s’est avérée à géométrie variable. Elle a globalement été tenue dans l’élaboration du PSN (plan stratégique national), la déclinaison française de la future Pac. Alors que la réforme introduisait au niveau européen un nouvel outil de conditionnalité environnementale (les éco-régimes), le ministre de l’Agriculture Julien Denormandie s’est fixé « la consolidation pour maître mot » (communiqué du 21 mai). Son objectif ? Des enveloppes par « grande filière ou territoire » qui ne varient pas de plus de 4 %, contre « jusqu’à 20 % » lors de la précédente réforme. Le locataire de la Rue de Varenne n’a pas touché aux principaux curseurs budgétaires que sont le transfert entre 1er et 2d pilier (7,5 %) et le niveau du paiement redistributif (10 %).

Autre signe de cette volonté de ne pas surtransposer les normes européennes : la dérogation accordée en 2020 aux néonicotinoïdes en semences de betteraves. Le retour de cet insecticide controversé restera comme la première décision de Julien Denormandie à son arrivée Rue de Varenne. Confrontée à une grave infestation de pucerons vecteurs de la jaunisse, la France a rejoint la dizaine d’États membres de l’UE réautorisant temporairement les néonicotinoïdes.

En matière de bien-être animal, toutefois, l’exécutif a pris deux décisions franco-françaises lourdes de conséquences pour les filières. La première ? L’interdiction de la castration à vif des porcelets au 1er janvier 2022, annoncée par le ministre de l’Agriculture Didier Guillaume en février 2020. Difficile ici de parler de surtransposition : cette mesure découle du règlement européen sur la protection des animaux d’élevage, interdisant les pratiques « qui causent ou sont susceptibles de causer des souffrances ». Un texte adopté… le 20 juillet 1998.

Quant à la fin de l’élimination des poussins mâles, ce chantier a d’abord été mené dans le cadre d’une initiative franco-allemande, même si Paris et Berlin avancent finalement chacun de leur côté. Outre-Rhin, cette pratique sera interdite début 2022. Les professionnels français bénéficieront, eux, d’un an de sursis alors que cette même échéance était envisagée dans l’Hexagone. Au-delà du couple franco-allemand, la filière des œufs demande une interdiction à l’échelle européenne. En juillet, Paris et Berlin ont gagné le soutien de dix autres États membres, mais le dossier ne devrait pas aboutir avant la révision de la réglementation européenne sur le bien-être animal en 2023.

Gestion des risques : une réforme à concrétiser en fin de quinquennat

Durant sa campagne, Emmanuel Macron avait promis de « proposer des outils de gestion des risques efficaces et adaptés » à caractère non obligatoire. Il évoquait « l’épargne de précaution individuelle qui permet de surmonter la baisse des prix de vente ou l’assurance climatique ». Comme annoncé, son gouvernement a créé, dans la loi de finances pour 2019, la déduction épargne de précaution (DEP), pour remplacer la déduction pour investissement (DPI) et la déduction pour aléas (DPA).

La réforme de l’assurance multirisques climatiques (MRC, ou "assurance récolte") est quant à elle encore en cours. Après presque trois ans d’une large consultation, le projet de loi « portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture » sera discuté en première lecture à l’Assemblée le 12 janvier 2022. Le texte prévoit de réformer la MRC afin de la généraliser. Il prévoit aussi de refondre le régime des calamités agricoles en faisant intervenir le Fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA) pour les pertes de récoltes catastrophiques. Si le projet de loi fixe le cadre de la réforme, tous les paramètres techniques seront fixés par la suite par décrets ou ordonnances (conditions du subventionnement public de la MRC, franchises et seuils de déclenchement de l’assurance et des calamités, missions du Codar, règles de fonctionnement pour les assureurs). L’objectif du gouvernement est de parvenir à une réforme opérationnelle dès le 1er janvier 2023.

Produits durables dans les cantines publiques : un déploiement inégal

Côté alimentation, le candidat Macron proposait d’imposer 50 % de « produits bio, écologiques ou issus de circuits courts » dans les cantines scolaires et les restaurants d’entreprises d’ici 2022. Cette promesse a été concrétisée par la première loi ÉGAlim, promulguée le 1er novembre 2018, qui fixe un seuil de 50 % de produits durables ou sous signe de qualité dans la restauration collective publique au 1er janvier 2022. En août 2021, la loi Climat et résilience est venue compléter cette mesure en incluant la restauration collective privée au 1er janvier 2025. Cet objectif comprend l’introduction de 20 % de produits bio. En 2019, ces derniers représentaient 5,6 % des approvisionnements, contre 3 % avant la mise en place de la loi.

Si la restauration scolaire publique est proche d’atteindre l’objectif global des 50 % de produits durables (en comptant les produits locaux), d’autres secteurs ont plus de difficultés à changer leurs approvisionnements. C’est le cas, par exemple, de la restauration hospitalière qui serait « au-dessous des 5 % » selon Restau’Co. « Les chiffres de l’administration publique ne sont pas encore disponibles, mais les échos sont encourageants », observe la directrice de Restau’Co, Marie-Cécile Rollin. La restauration des armées a, elle, d’ores et déjà annoncé qu’elle passerait au-dessus des 50 % courant 2022. ÉGAlim a donc poussé la restauration collective à se fournir en produits plus durables, mais ses objectifs semblent encore loin d’être atteints partout.

Retraites : petites pensions agricoles revalorisées, réforme globale ajournée

« Nous mettrons fin aux injustices de notre système de retraites » : telle était la promesse inscrite dans le programme électoral d’Emmanuel Macron en 2017. Il voulait instaurer des « règles communes de calcul des pensions » pour qu’un euro cotisé ouvre les mêmes droits pour tous. Le projet de loi discuté à l’Assemblée en février 2020 prévoyait de remplacer les 42 régimes actuels par un régime universel par points. Il prévoyait aussi, pour tous les assurés, de calculer le montant de la pension en fonction de la rémunération perçue sur l’ensemble de la carrière – et non plus sur les 25 meilleures années (pour les salariés du privé) ou sur les six derniers mois (pour les fonctionnaires). Globalement, la réforme semblait plutôt favorable aux futurs agriculteurs retraités à carrière complète, quand des zones d’ombre subsistaient pour d’autres.

Alors que de nombreuses manifestations ont eu lieu en France pour protester contre la réforme, le gouvernement a utilisé l’article 49.3 de la Constitution pour faire passer le texte en force à l’Assemblée, le 3 mars 2020. Mais l’épidémie de Covid-19 a mis la réforme globale en stand-by. En parallèle, deux réformes ont tout de même été actées en 2021 pour les non-salariés agricoles percevant une petite retraite. La pension minimale de retraite des chefs exploitants est passée de 75 à 85 % du Smic depuis le 1er novembre. De leur côté, les conjoints collaborateurs verront leur pension revalorisée de 62 € en moyenne à partir de janvier.

Quant à la réforme globale des retraites, Emmanuel Macron a revu son ambition à la baisse. Interrogé sur TF1 le 15 décembre, le président de la République a confirmé qu’un nouveau projet de réforme serait mis sur la table en 2022. Cette fois, il envisage « un système simplifié » avec « grosso modo trois grands régimes » : l’un pour la fonction publique, l’autre pour les salariés, et un troisième pour les indépendants, rapporte FranceInfo.

Phytos : la séparation entre vente et conseil, un chantier inabouti

« Dès le début du quinquennat, nous séparerons les activités de conseil aux agriculteurs et de vente des pesticides qui peuvent susciter des conflits d’intérêts ». Ce chantier, mis en œuvre dans le cadre de la première loi Egalim, était censé aboutir au 1er janvier 2021. Dans les faits, beaucoup s’accordent à dire que peu de choses ont changé. Les textes sont pourtant clairs : le distributeur n’est plus autorisé à faire des préconisations en phytos. C’est ce que la loi désigne comme du conseil spécifique, répondant à un besoin ponctuel de recommandation sur l’emploi de produits. Les coopératives et négoces ont fait une croix dessus, en optant massivement au 1er janvier pour la distribution.

Reste que, sur le terrain, le conseil fait toujours bon ménage avec la vente. À défaut de pouvoir être écrit, il devient oral. La loi n’a donc pas mis fin à d’anciennes pratiques, aujourd’hui interdites. Elles évoluent, l’accompagnement du producteur se faisant davantage au coup par coup. « Soit l’agriculteur fait appel au conseil spécifique, un choix onéreux, ce qui arrive très rarement, résume à la FNSEA Christian Durlin. Soit il se débrouille par lui-même, en compilant ce que dit le vendeur, les infos recueillies à droite à gauche, notamment dans la presse ». Et de conclure : « Le conseil est affaibli ».

La loi ÉGAlim rend de plus obligatoire une partie du conseil, en l’occurrence, le conseil dit « stratégique », qui diffère du conseil spécifique. Le premier est inédit et pluriannuel, quand le second, facultatif, existait déjà. Cette nouveauté peine à se mettre en route. Car rien ne presse pour les agriculteurs : la date butoir est fixée au 31 décembre 2023.

Foncier : un pas important d’accompli vers la transparence des transactions

« Nous renforcerons la transparence des transactions agricoles en soumettant toutes les sociétés foncières au contrôle des Safer », avait promis le candidat Macron en 2017. Pour Emmanuel Hyest, président de la Fédération nationale des Safer (FNSafer), « un pas important vers la transparence des transactions foncières a été accompli avec la loi Sempastous ». En effet, « il suffisait de se mettre en société pour échapper au contrôle de l’agrandissement foncier. Ce qui était opaque pourra désormais être contrôlé ». Si la grande loi foncière n’a pas pu voir le jour en raison de l’embouteillage législatif dû à la pandémie, l’avancée que représente le contrôle de l’agrandissement par des transferts sociétaires est d’une portée « comparable à la création des Safer dans les années 1960 », considère M. Hyest. Concernant les autres dossiers fonciers, il restera à légiférer sur le travail à façon et sur le statut de l’agriculteur, ajoute-t-il.

Une autre promesse d’Emmanuel Macron en 2017, concernant le financement du foncier et du capital d’exploitation en facilitant le recours à des outils de portage, a été partiellement réalisée : le fonds de portage que les Safer sont en train de monter avec le ministère de l’Agriculture « devrait être opérationnel pour le Salon de l’agriculture fin février ». La mise en place des autres outils annoncés par Emmanuel Macron, comme « le crédit-bail immobilier, la location-vente progressive, le prêt viager hypothécaire », n’a pas démarré.

Droit à l’erreur pour tous : encore très flou

Le candidat Emmanuel Macron avait promis un « droit à l’erreur pour tous » face à l’administration. Mais sa mise en œuvre a rapidement posé un problème dans le secteur agricole, où les politiques publiques relèvent essentiellement de la réglementation européenne. Elle s’est donc déroulée en deux temps : à Paris, puis à Bruxelles. En France, une ordonnance issue de la loi Essoc a imposé aux chambres d’agriculture départementale une mission « nouvelle » d’information sur la réglementation aux agriculteurs, que le député LREM Jean-Baptiste Moreau a appelé « contrôle à blanc ». Une mission qui réapparait clairement dans le Contrat d’objectif et de performance 2021-2025, ce qui n’était pas le cas dans le précédent (2014-2020). Dans les faits, ce type de service est déjà proposé de longue date par le réseau consulaire. Il fait partie, aux yeux des élus, des missions d’intérêt général fournies par les chambres, à titre gratuit (pour l’information collective) ou payant (pour l’accompagnement individuel), comme le rappelait un récent rapport du CGAAER. En Bretagne, le président des chambres d’agriculture promet simplement de « remettre l’accent » sur la diffusion de l’information, notamment numérique.

Dans le cadre de l’accord conclu au mois de juin sur la future Pac qui entrera en vigueur début 2023, ce « droit à l’erreur » – exigé à de multiples reprises par Julien Denormandie à ses confrères ministres de l’Agriculture de l’UE – est bien prévu. Ainsi, le règlement horizontal (sur la gestion, les contrôles et le financement de la Pac) prévoit que les États membres aient la possibilité pour les infractions involontaires aux règles de conditionnalité d’appliquer un dispositif de « droit à l’erreur », qui tiendra compte des erreurs de bonne foi commises par les bénéficiaires. Reste à voir comment il sera transposé.

Fin des cages pour les poules pondeuses : une application incomplète

Le candidat Macron s’était engagé à « interdire d’ici 2022 de vendre des œufs de poules élevées en batterie ». Une promesse à demi tenue : l’interdiction ne portera finalement pas sur la vente, mais sur la construction de nouveaux bâtiments. Cette mesure a été incluse dans la première loi Egalim de 2018, qui a inscrit dans le Code rural l’interdiction de « mise en production de tout bâtiment nouveau ou réaménagé d’élevage de poules pondeuses élevées en cages ». À l’époque, le débat parlementaire avait vu « quasi tous les amendements visant à interdire ce système d’élevage balayés », rappelle le CIWF dans un communiqué du 15 décembre.

Il aura ensuite fallu un recours devant le Conseil d’État, déposé par cette même ONG welfariste, pour que sorte le décret d’application. Paru le 15 décembre au Journal officiel, le texte précise la notion de « réaménagement » : il s’agit des « travaux ou aménagements d’un bâtiment existant conduisant à augmenter le nombre de poules pondeuses pouvant y être élevées en cage ». Autrement dit, les réaménagements à capacité de production égale restent autorisés. Cette interprétation n’est « pas conforme ni aux engagements du président de la République, ni à la volonté du législateur », déplore le CIWF, qui a annoncé saisir à nouveau le Conseil d’État.

En 2021, les modes de production alternatifs représentaient 72 % des ventes d’œufs en magasins. Les œufs produits en cages restent très présents dans les ovoproduits destinés à l’agroalimentaire (44,9 %) et surtout à la restauration (83,7 %). Finalement, selon le CIWF, « les élevages évoluent, mais plus de 17 millions de poules subissent toujours ce mode d’élevage intensif ».

Assurance chômage pour tous : les agriculteurs bien inclus

Le candidat Emmanuel Macron avait promis de faire en sorte que « tous les travailleurs [aient] droit à l’assurance-chômage », citant nommément les agriculteurs. C’est chose faite depuis l’été 2019 via la parution d’un décret le 26 juillet. Depuis, et au même titre que les travailleurs indépendants, les non-salariés agricoles ont le droit de bénéficier d’une assurance chômage sous réserve de remplir cinq conditions, rappelle le site officiel Service-public.

Les conditions ? Avoir exercé une activité non-salariée « sans interruption pendant au moins deux ans dans une seule et même entreprise » ; être en recherche active d’emploi ; et disposer de ressources personnelles (revenus annexes et allocations) inférieures au montant du RSA (565,34 €/mois pour une personne seule en 2021). En outre, l’activité doit avoir pris fin « à cause d’une liquidation judiciaire ou d’un redressement judiciaire » ; et la personne doit avoir perçu un revenu « d’au moins 10.000 € par an sur les deux années qui ont précédé la cessation ».

Ces deux dernières conditions devraient pourtant être assouplies, comme annoncé par Emmanuel Macron lors de la présentation du Plan indépendants le 16 septembre. Le projet de loi correspondant, déjà discuté au Sénat et qui sera examiné à l’Assemblée le 10 janvier, prévoit de créer « une nouvelle voie d’accès à l’allocation travailleurs indépendants (assurance chômage pour les indépendants, NDLR) dès cessation d’une activité économique attestée comme non viable, ainsi que la possibilité de bénéficier de l’ATI une fois tous les cinq ans », a confirmé le cabinet de la ministre du Travail Élisabeth Borne le 23 décembre.

En outre, le critère relatif aux 10.000 € de revenus issus de l’activité non-salariée « sera à l’avenir apprécié sur la meilleure des deux années précédant la cessation d’activité (et non plus en moyenne sur ces deux années) », selon le cabinet de la ministre, en précisant que cela sera acté « par décret » après promulgation de la loi. Or, « les mesures relatives à l’ATI […] concernent toutes les catégories de travailleurs indépendants, y compris dans le secteur agricole », a assuré le cabinet d’Élisabeth Borne.

Protection des filières contre la volatilité des prix : quelques avancées dans la Pac

Négociateur du Parlement européen sur le volet OCM unique de la future de la Pac, le socialiste Éric Andrieu s’était félicité fin juin que pour la première fois une réforme de la Pac « se conclue par davantage de régulations que de dérégulation ». La France durant ces discussions s’est souvent retrouvée bien seule au milieu des autres États membres de l’UE quand il s’agissait de plaider pour plus de régulation dans la gestion des crises et davantage de liberté aux organisations de producteurs pour gérer leurs volumes de production. Mais elle a pu compter sur le soutien du Parlement européen, plus enclin à faire avancer ces questions. Résultat : des mesures de gestion de crise qui seront plus simples à activer – notamment pour financer des réductions de production si besoin –, des efforts sur la transparence du marché et une réserve de crise plus facilement mobilisable. En outre, à l’instar de ce qui est déjà d’application pour les producteurs de vins, de jambons et de fromages, il sera dorénavant possible pour tous les produits sous indication géographique protégée de réguler les quantités mises sur le marché.

Baisse du coût du travail : promesse tenue

Dans son programme de campagne, Emmanuel Macron s’était engagé à réduire le coût du travail « en baissant les cotisations sociales patronales de six points en remplacement du CICE, et jusqu’à dix points au niveau du Smic ». Une promesse tenue, puisque depuis le 1er janvier 2019, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) a été remplacé par un allègement pérenne des cotisations sociales – excepté à Mayotte où le CICE est maintenu. Créé en 2015, le CICE bénéficiait à toutes les entreprises employant des salariés, à partir du moment où elles relevaient d’un régime réel d’imposition sur les bénéfices (impôt sur le revenu ou sur les sociétés). Depuis 2019, les employeurs bénéficient d’une réduction de six points des cotisations sociales patronales d’assurance maladie pour leurs employés dont la rémunération ne dépasse pas 2,5 Smic. Ils profitent d’une réduction supplémentaire de 4,05 points pour les rémunérations allant jusqu’à 1,6 fois le Smic. En outre, les entreprises qui n’avaient pas utilisé tout leur CICE au moment de la réforme peuvent encore s’en servir pour payer leurs impôts de 2021.

Installation : déploiement inachevé du prêt d’honneur, chantier lancé sur la transmission

« Nous soutiendrons l’installation des jeunes agriculteurs : en plus de la dotation jeunes agriculteurs (DJA), nous permettrons un prêt d’honneur à la personne sans demande de garantie d’un montant de 50 000 € maximum avec un différé de deux ans », indiquait le site de campagne du candidat Macron en mars 2017. Au dernier Salon de l’agriculture en 2020, les chambres d’agriculture ont signé une convention de partenariat avec Initiative France (réseau associatif de financement des créateurs et repreneurs d’entreprise) afin d’ouvrir le dispositif des prêts d’honneur dans toute la France. Depuis, il se développe, mais de façon hétérogène : dans certaines régions (Bretagne, Île-de-France, Corse), il est cumulable avec la DJA. Mais en Nouvelle-Aquitaine, première région à les mettre en place en 2010, il est réservé aux jeunes non éligibles à la DJA. Il est proposé dans les Hauts de France, en Auvergne-Rhône-Alpes et en Centre Val de Loire, mais n’est pas généralisé. Quant au groupe de travail sur la transmission qu’Emmanuel Macron veut mettre en place, il doit porter sur « la transmission dans son intégralité » : transmission des exploitations, du patrimoine et du foncier. Pour le moment, aucune information n’a émané concernant le calendrier.